Il a photographié l'aigle en 2018: «Les Serbes n'ont peut-être pas digéré»
22 juin 2018, 52e minute du match de Coupe du monde entre la Suisse et la Serbie. Granit Xhaka envoie un boulet de canon du pied gauche qui fait trembler les filets du gardien serbe. Egalisation pour la Suisse. Explosion de joie du joueur qui fait le geste d'un drôle d'oiseau sur la poitrine. Le match se poursuit et la Suisse arrache la victoire par un tir croisé de Xherdan Shaqiri à la 90e. La célébration du joueur né au Kosovo est similaire, il s'agira du symbole de l'aigle albanais.
La suite, vous la connaissez. La polémique enfle, la Fifa ouvre une enquête contre Xhaka et Shaqiri qui écopent chacun d'une amende de 10 000 francs. Mais cette histoire, c'est surtout celle d'une photographie, réalisée par Laurent Gilliéron de l'agence Keystone-ATS. A quelques heures de la rencontre Suisse-Serbie, watson a demandé au photographe comment il se préparait pour ce nouveau choc décisif.
Suisse-Serbie, c'est un match particulier pour vous en tant que photographe?
Je suis dans un milieu où je suis entouré de journalistes suisses qui suivent exclusivement l'équipe suisse. Evidemment, chacun fait ses pronostics, mais je n'ai pas d'attente particulière quant au résultat du match de ce soir. Si la Suisse gagne, je continue mon job et je reste pour les huitièmes de finale.
Mais au-delà de l'aspect sportif, ce match reste particulier, car on sait les tensions qu'il pourrait y avoir entre ces deux équipes. Pour l'instant, je dirai que je suis dans l'incertitude. Mon boulot, c'est d'être prêt à tout moment pour saisir les instants et ne pas rater quelque chose d'important.
Qu'est-ce que vous ne devez pas rater ce soir?
Je vais photographier les buts, les émotions des joueurs, les réactions des supporters, j'ai comme priorité aussi de faire de belles photos d'action, mais toujours en gardant le regard que pourrait avoir le public suisse sur cet événement.
Tout peut arriver, mais je pense que sur le volet politique, les joueurs ne vont pas réitérer le symbole de l'aigle ce soir. Le signe ne se reproduira pas ce soir à mon avis.
Pourquoi?
Parce que l'ambiance est vraiment à l'apaisement. Je le remarque dans les conférences de presse, dans ce qui est communiqué par l'équipe suisse. Regardez la célébration tout en sobriété de Breel Embolo sur son but contre le Cameroun.
Je ne sais pas si vous vous rappelez, mais il n'y a pas que le symbole de l'aigle durant ce match, Xherdan Shaqiri avait mis un drapeau du Kosovo sur ses chaussures ce soir-là. Rien de tout ça aujourd'hui du côté de l'équipe suisse. Par contre, je dirai que la charge émotionnelle est peut-être du côté des Serbes. Eux se souviennent très bien de cet événement et ne l'ont peut-être pas encore digéré.
Revenons à ce célèbre cliché du 23 juin 2018 ou Xhaka et Shaqiri célèbrent leur but en mimant l'aigle albanais, est-ce que vous vous attendiez à l'impact gigantesque de cette image?
Pas du tout. Vous savez, vous êtes dans le match avec le stress et tout ce qui va avec et vous ne vous rendez pas compte de la réaction qu'elle peut susciter. L'image primée, c'est la célébration de Granit Xhaka, cela se passe en une fraction de seconde. C'est dans la boîte, je l'envoie dans la minute au bureau par Internet et je passe à la suite du job. Après le deuxième but suisse, la scène se reproduit devant moi avec Xhaka et Shaqiri cette fois.
A ce moment, vous vous dites que vous l'avez votre photo historique?
Mon état d'esprit n'a jamais été de faire des photos virales ou de remporter des récompenses. Je crois en mon métier qui est de faire des images de qualité à long terme. Si le métier de photographe de presse peut être reconnu et apprécié avec ce genre d'image, c'est positif, mais je ne cherche pas les honneurs. Je suis juste un photographe, j'étais au bon endroit au bon moment. La photo, c'est un gros stress sur le moment et parfois, on a de la chance.
La photo de Granit Xhaka a fait le tour du monde, mais est-ce que vous êtes satisfait du résultat? Vous l'aimez cette image au final?
Non (rires), cette image ne m'a pas plu. Je me dis que j'aurais pu avoir un meilleur objectif à ce moment précis. Le résultat aurait pu être meilleur soit dit en passant. Visuellement, j'étais un peu déçu, mais je n'aurais jamais pu deviner l'impact qu'elle aurait.
