Thomas De Gendt se souviendra longtemps de sa chute en début de saison au Tour des Emirats arabes unis. D'abord parce qu'elle a été largement commentée, ensuite parce qu'il n'a jamais véritablement compris ce qu'il s'était produit.
Alors qu'il figurait dans le peloton, il s'est soudain retrouvé à terre. Puis les images de sa machine ont été partagées. Sa roue avant était endommagée. Nous pouvions apercevoir un pneu déjanté, du mastic éclaboussé et un insert anti-crevaison coincé dans sa fourche.
Le Belge utilisait le jour de sa chute une jante sans crochets, autrement dit hookless. Ce système - de plus en plus courant sur route depuis l'avènement du tubeless - a alors été placé au centre de l'attention. Notamment parce que le CPA (Cyclistes professionnels associés), seul syndicat de coureurs reconnu par l'UCI (Union cycliste internationale), a tiré la sonnette d'alarme à la vue des images, expliquant qu'il pourrait y avoir «un crash massif» dans le peloton si personne n'agissait.
Suite aux inquiétudes du CPA, l'Union cycliste internationale a réagi. Le 1er mars, nous recevions un communiqué, précisant que l'instance allait examiner «la situation de manière urgente, en vue de décisions rapides dans l’intérêt de la sécurité des coureurs».
Les roues hookless, utilisées par certains professionnels et amateurs depuis plusieurs saisons, sont-elles véritablement dangereuses? Un système similaire est en place dans le milieu de l'automobile. Il fonctionne sans le moindre risque. Car les tringles des pneus rigides favorisent le serrage contre la jante. La technologie est également utilisée en VTT en raison de sa plus forte résistance. Elle est en revanche controversée sur route depuis ses débuts, pour des questions de pression, si bien que tous les fabricants ne la proposent pas.
Les pneus d'un vélo de course sont en effet davantage gonflés. Le système hookless, lui, impose de ne pas dépasser les 5 bars, au risque de voir sortir le pneu de la jante. C'est pourquoi les marques vantent les mérites d'un gonflage basse pression, notamment sur route dégradée. Problème: la pression pourrait parfois augmenter et dépasser ces 5 bars, à cause de l'élévation de la température voire d'un impact. C'est ce que pointe le CPA. Adam Hansen ne cite aucune équipe, mais il affirme que certaines ont vu des pneus éclater en laissant les vélos au soleil.
Cette limite de pression, associée à une rainure de jante plus ouverte dans le cas du dispositif hookless, implique l'utilisation de pneus plus larges. Aucun ennui, puisque les sections se sont élargies ces dernières années dans le peloton professionnel. On s'est en effet rendu compte qu'en adaptant la pression, le rendement n'était pas moins bon avec une taille supérieure. En prime, on y gagne en confort.
La formation du Belge a affirmé suivre les recommandations des marques avec lesquelles elle collabore. Les fabricants incriminés, ceux produisant la jante et le pneu, ont également réagi à cet incident. Ils précisent que le système hookless ne doit pas être remis en question, et qu'une pierre est à l'origine de la chute. Hookless ou non, tubeless ou pas, l'accident se serait produit, l'impact ayant été violent. Après tout, nous avons déjà vu des déjantages avec d'autres dispositifs.
Les problèmes de compatibilité jante/pneu ont très vite été balayés par les deux fabricants. Peu avant Gand-Wevelgem, Zipp a néanmoins conseillé aux équipes utilisant sa technologie de monter sur sa jante de largeur interne de 25 mm un pneu de 29 mm de section, par «prudence», afin de suivre les exigences ISO mises à jour à l'été 2023. Une décision qui a fait suite à un incident similaire, subi par un autre coureur Lotto Dstny lors des Strade Bianche: l'Allemand Johannes Adamietz.
Si le hookless ne semble pas dangereux lorsque le gonflage et les compatibilités sont respectés, ces incidents et ce changement demandé aux équipes professionnelles interrogent néanmoins. Surtout pour les cyclistes amateurs qui utilisent ce dispositif et ne sont pas toujours au fait des dernières nouveautés technologiques. D'ailleurs, des médias comme L'Automobile et Matos Velo rappellent que l'on peut parfois lire sur certains pneus des pressions minimales conseillées jouxtant la limite maximale des 5 bars en cas de jante hookless. Autant dire que la marge de manœuvre au gonflage est faible.
Le système sans crochets a toujours eu ses détracteurs. Ils sont certainement encore plus nombreux aujourd'hui, ayant notamment de solides arguments. Certains pensent en effet que le hookless n'apporte rien aux pratiquants. Les jantes seraient simplement plus simples à usiner, et moins coûteuses à produire, étant donné que l'on retire les crochets. Tout cela se ferait donc au détriment de la sécurité.
Fin mars, l'UCI communiquait une fois de plus à propos de cette technologie. L'instance rappelle aux équipes de suivre les normes de l'Organisation internationale de normalisation (ISO), n'excluant pas que le non-respect de celles-ci ait pu contribuer aux incidents rencontrés. Elle a mandaté SafeR, un organisme indépendant créé pour renforcer la sécurité du cyclisme professionnel sur route, «afin d'explorer les améliorations» et clarifier la situation. Un rapport est attendu et le règlement pourrait évoluer en 2025. L'instance mènera également une enquête pour s'assurer que les fabricants n'agissent pas uniquement dans leurs propres intérêts.
Adam Hansen a réagi samedi à ces annonces. Dans le magazine américain Velo, il appelle à «des règles plus strictes et à des normes appropriées». Le président du CPA regrette aussi la marge de sécurité à 1,1 dans le cas du gonflage hookless, contre 1,5 avec crochets. «Nous voulons des explications», a ainsi déclaré l'ancien professionnel. Début mars, Hansen avait déjà expliqué ce problème.
Adam Hansen estimait samedi que cette façon de procéder n'avait aucun sens: «Ce devrait être inversé. Les jantes traditionnelles devraient avoir une marge de sécurité plus petite car les crochets sont justement là pour la sécurité. Et le hookless, qui n'a rien, devrait disposer de la marge la plus grande, ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle».
Il sera intéressant de surveiller dimanche - à l'occasion de Paris-Roubaix - les coureurs Lotto Dstny et tous ceux arborant du sans crochets. Sur les pavés de l'Enfer du Nord, les incidents en course avaient été nombreux la saison dernière. On pense à celui de Derek Gee, qui avait déjanté à l'entrée de la Trouée d'Arenberg, en tubeless mais avec des crochets. La formation Movistar, testant ce jour-là le hookless, avait semble-t-il été épargnée, si bien que les discussions à l'issue de l'épreuve portaient davantage sur le tubeless de manière générale.
Les inserts de pneu étaient également au cœur des conversations. Luke Rowe estimait ainsi que les incidents à Roubaix étaient dus au fait que certaines équipes ne les utilisaient pas.
Nul doute que ces inserts seront également surveillés, puisqu'Adam Hansen, président du CPA, n'a pas manqué de rappeler qu'ils avaient grandement participé à la chute de Thomas De Gendt: «Regardons le vélo du coureur. Son pneu s'est détaché, la mousse de sécurité s'est coincée dans la fourche - cela a bloqué sa roue avant». C'est peut-être de ce côté-ci qu'il faudra également s'interroger. Après tout, Arnaud De Lie, autre coureur Lotto Dstny, a déjanté la saison dernière lors d'un sprint sur Paris-Bourges. Il était en tubeless, mais sa jante disposait de crochets. Le pneu était resté en place. En revanche, son insert sortait très largement de sa roue.