Le cyclisme est intraitable. Il réclame d'aller au bout de soi-même, d'avaler des kilomètres et du dénivelé. C'est surtout un art de taire sa souffrance pour écraser les pédales le plus fort possible.
Alors quand l'adrénaline s'arrête, que le peloton continue son chemin sans vous, il y a comme un vide pour certains. Dépression, alcoolisme, drogue, plusieurs cyclistes perdent le fil après leur carrière. «L'enfant terrible du cyclisme belge» Frank Vandenbroucke est mort d'une embolie pulmonaire au milieu de ses nombreuses frasques; Marco Pantani a rapidement sombré après ses années de gloire en compétition; Lieuwe Westra s'est ôté la vie en 2023; José Maria Jimenez a succombé à une profonde dépression; Christophe Moreau a fait les gros titres en disjonctant; Jack Bobridge a été inculpé pour trafic de drogue en 2019; Pascal Richard avouait en 2004 avoir pensé en finir avec la vie une fois le vélo rangé à la cave.
À cette longue liste s'ajoute désormais le nom de Rohan Dennis. Déjà connu pour son tempérament difficile sur la selle, le néo-retraité a percuté sa femme (Melissa Hoskins) en voiture peu avant le 31 décembre dernier, dans des circonstances qui restent encore à éclaircir. La malheureuse est décédée à l'hôpital. Une tragédie qui fait réfléchir à la condition des cyclistes après leur carrière et pose la question de savoir si ce sport ronge jusqu'au trognon.
Danie Atienza, ancien pro et consultant pour la RTS, s'agace des raccourcis qui touchent le milieu cycliste. «Beaucoup de retraités sont en difficulté, et ce quelque soit leur âge ou leur profession. Le fléau est général et ne concerne pas uniquement les coureurs cyclistes. Quand on arrête son métier, le rythme de vie change, les tâches à assumer au quotidien changent aussi. Il ne faut pas parler de retraite sportive, mais de retraite tout court.»
L'ancien pensionnaire de la Cofidis et de la mythique formation Saeco rappelle l'importance de se poser des objectifs clairs au moment de raccrocher: «A la fin de ma carrière (réd: en 2006, à l'âge de 32 ans), je savais que je devais travailler. Il me fallait une reconversion, non pas pour m’amuser, mais pour subvenir à mes besoins», clarifie l'ancien coureur espagnol.
La transition est une science parfois complexe pour beaucoup de sportifs. Le patron du syndicat des coureurs cyclistes français Pascal Chanteur, dans Le Parisien, assurait que le taux de divorce après les carrières de coureurs pro se situait à 95%. «Ces chiffres tombent un peu de nulle part», tempère Daniel Atienza.
Les coureurs reviennent au bercail et trouvent une maison «qu'ils désertaient 220 jours par an, entre les camps d'entraînement et les courses», poursuit Pascal Chanteur dans le quotidien français. Il rappelle aussi que «les charges quotidiennes étaient gérées par les épouses. Les coureurs retraités ont à présent de la peine à trouver leur place».
Pour Rubens Bertogliati, vainqueur d'une étape du Tour de France et ancien maillot jaune, retiré depuis 2012 des pelotons, le salut est venu d'une absence de temps mort après avoir épinglé son dernier dossard. «L’année d’après, en 2013, j’étais déjà directeur sportif chez IAM. Ma transition a été facilitée après ma carrière. Je n'étais plus cycliste, mais je restais dans le milieu.»
Après le clap de fin de l'équipe IAM en 2016, le Tessinois a repris ses études et senti «un manque dans ma vie quand je suis resté à la maison», rappelant que dans le sport en général, l'arrêt d'une carrière reste «très délicat».
La bascule peut être déstabilisante pour certains néo-retraités. Après avoir bataillé pour sauver sa place dans le peloton et les différentes structures, le coureur pro, une fois descendu du vélo, découvre un nouveau quotidien. «Quand on est pro, l'équipe est aux petits soins. Une fois retraité, il faut penser à aller chercher du pain, faire les courses», recentre Daniel Atienza. L'important est de ne pas tergiverser au baisser de rideau.
Mais Daniel Atienza demeure catégorique: «Parmi tous mes anciens collègues, la majorité a trouvé une voie professionnelle et a ainsi géré à merveille son après-carrière».
Rubens Bertogliati abonde également en ce sens:
Même son de cloche pour Danilo Wyss, 13 ans de carrière en pro et interlocuteur en Suisse romande d'Athletes Network, un réseau pour les sportifs d'élite en reconversion. Le Vaudois rappelle que ce n'est pas plus difficile d'arrêter pour un cycliste qu'un autre athlète: «De manière générale, les sportifs sont mieux préparés s'ils ont conjugué des études avec leur carrière d'athlète.»
L'ancien champion de suisse concède que dans les équipes cyclistes, «il y a très peu de soutien». Il dit avoir toujours pensé à son après-carrière. «J'ai toujours travaillé à côté de ma carrière (réd: chez Audemars Piguet), entre novembre et décembre, avant les stages de pré-saison.»
Les différents cyclistes interrogés par nos soins insistent pour éviter les généralités. «Le sportif est le reflet de la société. Des faits divers, il y a en tous les jours. Quand ça tombe sur un athlète pro, ça fait inévitablement les gros titres.»
Il est donc inutile de jeter l'opprobre sur la petite reine. Or un détail demeure: une petite partie des coureurs est en surmédicamentation. Il n'est pas question de produits dopants, mais de paracétamol ou de caféine. «J’ai connu des coureurs qui prenaient souvent des somnifères pendant leur carrière et ont poursuivi après. Ces médicaments peuvent favoriser ces soucis de dépression», conclut Rubens Bertogliati.