«L’idole» du cyclisme français s'apprête à prendre sa retraite, à seulement 33 ans. Celui que tout un peuple attendait pour succéder à Bernard Hinault, dernier Français vainqueur de la Grande Boucle, aura échoué dans cette quête. Trop difficile, pour quelqu'un qui ne se sentait «pas capable d'être leader».
Mais qu’importe, plus que son palmarès — composé de victoires d’étape sur chaque Grand Tour, d’un Lombardie, de maillots distinctifs et d'une 3e place sur le Tour de France — nous retiendrons autre chose de Thibaut Pinot: ses hauts, ses bas, et toutes ces émotions qu’il a su véhiculer, comme lorsqu'il abandonnait sur le Tour de France ou le Giro, si proche du maillot de leader. Tragique.
C'est en 2019 que la poisse associée à Thibaut Pinot va faire le plus parler. Lors du Tour de France, il montre lors des différentes ascension qu’il est le plus fort. Tout s'écroule pour lui au cours de la 19e étape où il est contraint à l'abandon. L'éternel regret de sa carrière pic.twitter.com/gHHNUvrdY2
— Cycling Times (@cycling_times) July 22, 2023
Longtemps catalogué dans la case des «défaitistes», Pinot est passé de «pleurnichard» à «perdant magnifique», de par ses nombreux revers et cette capacité à toujours se relever. Et c’est sans doute ce qui lui a valu cette si grande popularité dans l’Hexagone — les Français ayant toujours eu un penchant pour les «malheureux deuxièmes».
En Italie aussi, Pinot jouit d'une excellente cote de popularité. Lui qui a toujours confié préférer le Giro au Tour s'est d'ailleurs fait tatouer «Solo la vittoria è bella». Seule la victoire est belle. Les tifosis lui reconnaissent son panache, sa façon de courir sans jamais compter les coups de pédale.
Le protégé de Marc Madiot est également parvenu à conquérir les cœurs en Suisse. Lors du dernier Tour de Romandie, Pinot était généreusement salué, et pas seulement à Morteau, en France, au départ de la 3e étape. Comme l'expliquaient nos confrères de 20 Minutes, nombreux étaient les Suisses séduits par le coureur, 162 kilomètres plus loin, à l'arrivée à La Chaux-de-Fonds. Il faut dire que ce jour-là, Pinot était encore à l'attaque dans le final.
En Romandie, Pinot poursuivait sa tournée d'adieu, commencée quelques jours plus tôt dans sa région natale, la Franche-Comté. Il avait enchainé le tryptique Classic Grand Besançon Doubs - Tour du Jura - Tour du Doubs.
«Tibo Pino» a grandi à Mélisey, près du Jura suisse. Un petit village de Haute-Saône, auquel il est attaché, et qu'il n'a jamais souhaité quitter. À l'heure où les grands leaders s'expatrient, à Monaco, en Andorre ou dans la région de Gérone, lui détonne en vivant sur les terres ayant appartenues à ses grands-parents. Rustique, comme beaucoup de Franc-Comtois, il y élève des chèvres, en marge de la société.
Formé au CC Étupes, dans la région de Montbéliard, à deux pas de Porrentruy, Pinot s'est dévoilé au grand public sur le Tour de France 2012. Il y gagna la 8e étape, reliant Belfort à... Porrentruy, justement. Comme si, lorsqu'il évoluait non loin de chez lui, il pouvait se sublimer.
Thibaut Pinot l'assume: le Tour de France n'a jamais été sa tasse de thé. Un trop grand capharnaüm, beaucoup trop de pression — notamment de la part des médias français. Est-ce pour cela qu'il a si souvent délaissé les principales courses à étapes disputées en France, comme Paris-Nice et le Dauphiné, au profit du Tour de Romandie et du Tour de Suisse? Certainement.
Au cours de sa carrière, le Français a pris part à huit Tours de Romandie, une course qu'il a toujours affectionnée. D'abord, parce qu'elle correspondait à ses qualités et qu'elle lui permettait de préparer le Tour d'Italie. Ensuite, parce qu'il en était proche géographiquement. Enfin, parce qu'on y trouve ce petit côté «familial». L'ambiance est sereine, l'après-course paisible, un fait rare pour une épreuve de niveau World Tour. Idéal quand on est un grand introverti.
En Romandie, Pinot s'est offert deux étapes. La première en 2015, à Champex-Lac, la seconde l'année suivante, un contre-la-montre individuel couru à Sion. Ce printemps encore, il jouait les premiers rôles sur l'épreuve chère à Richard Chassot. À deux doigts de décrocher l'étape reine, celle de Thyon 2000, uniquement devancé par Adam Yates, au prix d'un effort — au courage — dont lui seul a le secret.
Pinot a participé à cinq reprises au tour national. Avec là aussi, deux victoires d'étape au compteur. L'une en 2015, à Sölden, l'autre en 2022, à Malbun. Un succès qui, forcément, lui tient à cœur. Il s'agit de sa dernière victoire en World Tour, la seule depuis son retour de blessure (il a fait face à des pépins physiques en 2021, après sa chute à Nice sur le Tour de France 2020).
Celui que Marc Madiot, son manager, décrit comme un «romantique égaré au XXIe siècle», s'est illustré une dernière fois en Suisse, cette année, lorsque le Giro faisait étape à Crans-Montana. Le grimpeur tricolore avait coché l'événement: il était au rendez-vous. Deuxième, après une dernière montée haletante, à la lutte avec un certain Jeferson Cepeda. À mesure que la ligne d'arrivée approchait, les «Allez Tibo!» ne manquaient pas, comme si tous souhaitaient le voir en claquer une dernière sur un Grand Tour, qui plus est, en Suisse.
Au sein du collectif Groupama-FDJ, Pinot a longtemps cotoyé des Suisses. Sébastien Reichenbach et Steve Morabito, tous deux excellents grimpeurs, ont été ses plus fidèles lieutenants en montagne, et ce, durant de nombreuses années.
L'histoire aurait été belle si, à Crans-Montana, le Franc-Comtois était parvenu à s'imposer. Et pour cause, l'organisateur de l'étape suisse du Giro 2023 n'était autre que son ancien coéquipier, le Valaisan Steve Morabito.
Dans sa formation, qu'il n'a jamais quittée pour une autre, Pinot a aussi fait équipe avec Stefan Küng. Durant quatre saisons, le Thurgovien aura été d'une grande aide, en plaine comme dans l'exercice chronométré. Lui non plus n'aura pas ménagé ses efforts pour son leader.
Thibaut Pinot nous réserve une dernière danse sur les routes de Lombardie. L'homme est capable de s'offrir un ultime raid, un baroud d'honneur. Le connaissant, rien d'impossible. Il s'était déjà illustré pour sa dernière sur le Tour de France, fin juillet. Chez lui, devant son public, il avait amorcé seul en tête le «virage Pinot» et fait vibrer tous ses supporters. Avant de tomber sur plus fort que lui, comme trop souvent dans sa carrière.
Le virage Pinot, les émotions : c'est Marc Madiot qui en parle le mieux.
— Eurosport France (@Eurosport_FR) October 5, 2023
Entretien avec le boss de la Groupama-FDJ avant la dernière course d'un coureur pas comme les autres #LesRP https://t.co/l6W3rfX7Zk pic.twitter.com/SGkmP1Oc15
Pinot pourrait être un acteur de ce Lombardie, mais attention, avec lui, ce sont toujours les montagnes russes. Mieux vaut être prévenu.
Quelle que soit sa performance, il sera en tout cas soutenu. Près de 500 fans, membres du CUP (Collectif Ultra Pinot), seront présents à Bergame pour le célébrer.