Double champion du monde du contre-la-montre, Rohan Dennis a marqué de son empreinte le cyclisme mondial. Pourtant, il n'était pas prédestiné à monter sur un vélo. Sa jeunesse, l'Australien l'a passée dans l'eau. Il s'entraînait six jours par semaine et performait au niveau régional, en brasse et 4 nages. A l'époque, on disait de lui qu'il était déjà «quelqu'un de très compétitif».
Ce n'est qu'à 15 ans que Dennis s'est intéressé pour la première fois au cyclisme. Et ce, après avoir été contacté par le South Australian Sports Institute, qui voyait en lui un futur grand coureur, de par ses qualités physiologiques. L'adolescent s'est pris au jeu, sans pour autant délaisser la natation. Ses performances dans les bassins restaient une priorité et le vélo ne lui servait qu'à se préparer.
Le garçon s'est construit sur la route et la piste, comme le veut le modèle australien. A 18 ans, et après seulement trois ans de pratique, son palmarès chez les juniors en faisait déjà rêver plus d'un. Il était alors champion national du contre-la-montre, de la poursuite individuelle et par équipes. Mais aussi titré aux Mondiaux, là encore avec la poursuite par équipes.
Ses débuts chez les élites remontent à fin 2008 - six mois après sa majorité. Il participait avec l'Australie à une manche de Coupe du monde de cyclisme sur piste. Dennis fera partie du gratin mondial de la discipline durant quatre saisons, soit l'équivalent d'une olympiade, ce qui le conduira aux Jeux olympiques de Londres.
L'Australien n'abandonne pas pour autant la route. De 2009 à 2012, il intègre des formations continentales. L'équipe de développement de la Rabobank ainsi que Jayco–AIS, à ne pas confondre avec la Jayco–AlUla, pour laquelle il n'a jamais couru. Cette Jayco–AIS visait à préparer les jeunes australiens au plus haut niveau. Rohan Dennis a côtoyé là-bas Michael Matthews, Luke Durbridge et Michael Hepburn.
La fin du cycle olympique marque le début d'une nouvelle ère pour le coureur. Il se retire de la piste et n'y reviendra qu'en 2015, afin de s'approprier le record du monde de l'heure (52,491 kilomètres), le temps de quelques semaines.
Auréolé du titre de champion d'Australie sur route et d'une médaille d'argent sur le chrono des Mondiaux, catégorie espoirs, Dennis découvre le World Tour en 2013 sous les couleurs de la Garmin–Sharp.
L'Australien, qui se caractérise lui-même comme un hyperactif, intègre au cours de sa carrière les meilleures formations du peloton. BMC, Bahrain–Merida, puis Ineos et Jumbo–Visma.
Rouleur né, Rohan Dennis a construit son palmarès autour du contre-la-montre. Il a néanmoins dû attendre ses 28 ans pour devenir champion du monde de la discipline, commençant presque à s'impatienter. Le coureur a aussi remporté des étapes sur les trois Grands Tours, uniquement grâce à l'exercice chronométré.
Ses entraîneurs le pensaient capable de performer sur les classiques, à l'instar d'un Fabian Cancellara. Il n'en sera finalement rien. Dennis montrera plutôt des aptitudes en montagne et sur les courses à étapes. Il se fera remarquer sur les épreuves d'une semaine, remportant le Tour Down Under, le Tour du Colorado et le Tour d'Alberta. Il terminera 2e de Tirreno Adriatico, 2e du Tour de Suisse (à 19 secondes d'Egan Bernal), 2e du Tour de Californie, 7e du Tour de Romandie et 8e du Critérium du Dauphiné.
Tout cela lui a bien sûr donné des ailes. L'Australien a eu l'ambition de gagner un jour un Grand Tour. Il s'est préparé pour, en suivant les exemples Bradley Wiggins et Tom Dumoulin. Un projet loin d'être évident, consistant à modifier sa morphologie sans perdre ses qualités de rouleur. Il abandonnera finalement son rêve, pour se cantonner aux chronos, aux épreuves d'une semaine et à un rôle d'équipier lors des dernières années de sa carrière.
La carrière de Rohan Dennis n'est pas un long fleuve tranquille. Il y a eu de grands résultats, mais aussi des passages à vide. Des comportements spectaculaires, qui ont parfois surpris. Comme sur le Tour de France 2019, lorsqu'il abandonna sur un coup de tête, sans prévenir sa formation, la veille d'un contre-la-montre qui lui était pourtant promis.
🇫🇷 #TDF2019
— Team Bahrain Victorious (@BHRVictorious) July 18, 2019
Our priority is the welfare of all our riders so will launch an immediate investigation but will not be commenting further until we have established what has happened to @RohanDennis.
Meantime we continue to support our riders who are mid-race.
Tout le monde souhaitait connaître la raison de cette disparition mystérieuse. Certains avançaient un coup de gueule lié au matériel. Le coureur, nouvelle recrue de l'équipe Bahrain–Merida, aurait voulu exprimer son mécontentement - son nouveau vélo n'étant pas aussi performant que celui qu'il utilisait dans sa précédente formation. Gorazd Stangelj, directeur sportif de l'équipe bahreïnie, tentait tant bien que mal d'éteindre le feu après l'étape.
Sauf que la situation était plus grave. Ce n'est que plus tard que Dennis a évoqué des «problèmes mentaux», refusant toutefois le terme «dépression». Ses troubles impactaient sa vie familiale, comme mentionné dans le podcast Home Roads. Avant le Tour, sa femme - Melissa Hoskins, ancienne pistarde, championne du monde de poursuite par équipes - lui avait fait comprendre qui il était en train de devenir. S'il est rentré au pays en pleine compétition, c'est parce qu'il ne se sentait pas bien dans sa tête et qu'il voulait sauver son mariage.
Les semaines qui ont suivi n'ont pas été évidentes pour le rouleur australien. Il devait faire face à des troubles alimentaires, survenus selon lui à cause des contraintes qu'il s'imposait pour devenir un coureur de classement général.
Deux mois après son étonnant retrait du Tour de France, Dennis remettait néanmoins les pendules à l'heure. Il conservait son titre sur le chrono des Championnats du monde, et ce, sans avoir couru depuis juillet. Sa participation se faisait avec la monture de son ancienne équipe, la BMC, adaptée pour que la marque ne soit pas représentée. Car si en interne, il venait de résilier son contrat avec la Bahrain–Merida, l'information n'avait pas encore été officialisée. Pour le bien du coureur, à quelques jours d'une grande échéance.
Malgré ce nouveau titre mondial, obtenu avec l'Australie, l'avenir de Rohan Dennis était incertain. Il faut dire qu'avec le coup infligé à la Bahrain, et la personnalité exigeante, voire maniaque du coureur, les équipes ne se sont pas pressées pour lui offrir un contrat.
Au sein du peloton, l'athlète était également décrit comme volcanique et impulsif. Versatile et sujet aux sauts d'humeur. Ecraser fort les pédales ne lui permettait pas toujours de canaliser sa rage. Preuve en est à l'arrivée du chrono des derniers Mondiaux, lorsqu'il déversait sa frustration sur un caméraman.
Finalement, et à la surprise générale, Dennis est parvenu à rebondir chez Ineos. Il a même impressionné lors du Tour d'Italie 2020. Battu par Ganna sur chaque contre-la-montre, il a conduit son leader Tao Geoghegan Hart vers la victoire, empreignant un tempo d'enfer dans le Stelvio et le Col de Sestrières. On se disait alors, une fois de plus: ce coureur a les capacités pour jouer le général d'un Grand Tour.
Rohan Dennis a donc réalisé le record de l’ascension du Stelvio, mieux que tous les grimpeurs de légende qui y sont passés. Marginal gains... https://t.co/Hq1nejxVgY
— David Guénel (@davidguenel) October 22, 2020
Rohan Dennis ne restera finalement que deux saisons au sein du collectif Ineos. Il rejoindra ensuite la Jumbo, sa dernière équipe avant sa retraite sportive à la fin de l'année 2023. Juste après son arrivée dans sa nouvelle formation, le coureur en profitera pour lancer une petite pique à son ancien employeur.
Rohan Denis a fait parler de lui dans d'autres circonstances, notamment en pleine pandémie, lorsque le Covid venait de frapper et qu'il ne respecta pas le confinement. Il résidait alors à Gérone en Espagne et s'était vanté d'une petite escapade en voiture.
I think it is safe to say that Rohan Dennis is not coping well at the moment. pic.twitter.com/Kx2b1Npb11
— Susan Westemeyer (@WestemeyerSusan) April 18, 2020
Les critiques avaient été nombreuses, si bien que l'Australien s'était résigné à quitter momentanément les réseaux sociaux.
Le nom de Dennis est également apparu dans une sordide affaire de violence conjugale. En octobre 2021, El País rapportait qu'une femme avait fui son domicile, car son mari l’avait brutalisée. L'auteur des faits serait un coureur cycliste professionnel. L'agression ayant eu lieu à La Massana en Andorre, un autre lieu de vie du couple Dennis - Hoskins, le média ibérique - s'appuyant sur divers témoignages - estimait que l'Australien était impliqué.
Néanmoins, les autorités andorranes n'ont jamais dévoilé le moindre nom, d'où cet état de suspicion.
Les événements relatés précédemment semblent minuscules à côté de ce qu'il s'est produit le 30 décembre 2023. Au volant de sa voiture, Rohan Dennis aurait renversé sa femme, Melissa Hoskins, avec qui il était marié depuis 2018.
Les circonstances restent à élucider, mais selon les premiers éléments de l'enquête, Hoskins se serait retrouvée sur le capot du véhicule, puis se serait agrippée à une poignée sur plusieurs mètres, jusqu'à ce qu'elle tombe. La jeune femme de 32 ans - championne du monde de poursuite par équipes à Saint-Quentin-en-Yvelines (France), qui avait par ailleurs mis un terme à sa carrière pour se consacrer à celle de son mari ainsi qu'à ses enfants - est décédée des suites de ses blessures, un jour après l'accident.
Rohan Dennis, lui, est accusé d’«homicide involontaire pour conduite dangereuse», de «conduite dangereuse» et de «mise en danger de la vie d'autrui». Libéré sous caution, il comparaît ce 13 mars devant le tribunal de première instance d’Adélaïde.