Nous n'avons rencontré qu'une seule fois Simone Inzaghi et c'était il y a dix ans, sur les rives du lac de Garde, dans le nord de l'Italie. Le Transalpin était encore un jeune entraîneur, plus exactement un entraîneur de jeunes: il coachait les moins de 17 ans de la Lazio Rome, alors en camp de préparation dans le Trentin-Haut-Adige, et personne alors ne pouvait se douter qu'il deviendrait un si grand technicien. Lorsque nous l'avons approché ce jour-là, nous lui avons demandé s'il pouvait nous aider à obtenir une interview avec son grand frère Pippo, star du football italien, que Sir Alex Ferguson avait suspecté un jour d'être «né hors-jeu». L'entretien n'a finalement jamais eu lieu, mais Simone avait accepté la demande avec bienveillance et même appelé son aîné devant nous pour essayer de fixer un rendez-vous.
Cette anecdote dit beaucoup de ce qu'a vécu Simone Inzaghi, qui a grandi au jeu dans l'ombre de son frère, né trois ans avant lui. Les deux garçons ont passé leur enfance dans un petit village appelé San Nicolò a Trebbia, situé juste à côté de la ville de Piacenza, auprès de mamma Marina e papà Giancarlo. Pour Simone, grandir dans le sillage et dans l'ombre de son frère Filippo était à la fois une malédiction et une bénédiction. Car les deux sont et étaient inséparables. Le grand emmenait le petit partout avec lui, le plus souvent pour jouer au ballon sur le terrain en dur à côté de l'école. Filippo ouvrait la voie et Simone suivait. Cela rendait les choses plus faciles pour le petit, mais il devait surmonter moins d'obstacles que le grand. Filippo est ainsi devenu un attaquant maniaque et ambitieux, tandis que Simone, bien que doté de plus de talent, est devenu un attaquant avec une tendance à la frugalité.
«Simone était meilleur que moi, reconnaîtra Filippo plus tard dans les colonnes de La gazzetta dello sport. Mais il n'a pas eu de chance sur le plan physique. Il a marqué quatre buts dans un match de Ligue des champions (réd: contre Marseille en 2000), ce que je n'ai jamais réussi. Sans son problème de dos, il aurait fait mieux que moi parce qu'il était meilleur sur le plan technique.»
A l'âge où Filippo marquait déjà ses premiers buts en Serie A, pourtant, son frère jouait encore dans le club de quatrième division de Brescello. Plus tard, Simone est lui aussi devenu professionnel, mais les deux fratelli n'ont jamais pu réaliser leur rêve d'évoluer ensemble dans le même club. Ils n'ont partagé qu'une seule fois le même maillot sur le même terrain, défendant les couleurs de l'Italie face à l'Espagne lors d'un match amical disputé le 29 mars 2000 à Barcelone. Mais des deux, c'est surtout Pippo qui a eu le plus de succès comme joueur: il a empilé 57 sélections internationales (contre 3 pour son frère), a été champion du monde, a remporté trois fois le titre de champion d'Italie et deux fois la Ligue des champions.
Simone s'est rendu compte au printemps 2000 à quel point il ne serait jamais l'égal de son frère sur les pelouses. Il venait d'être sacré champion avec la Lazio lorsque l'entraîneur national Dino Zoff a refusé de le convoquer pour la phase finale de l'Euro. Un Inzaghi dans l'équipe suffisait, argumentait Zoff. Et cet Inzaghi, c'était Filippo.
Simone n'est sorti de l'ombre de son grand frère qu'en tant qu'entraîneur. Depuis 2016, il entraîne sans interruption en Serie A (Lazio puis Inter) tandis que Filippo, après une première saison médiocre avec le Milan (2014), s'est engagé dans des clubs comme Venezia, Bologna, Brescia, Benevento ou la Reggina.
Mais c'est surtout par son style que Simone est en train de s'imposer comme un cador de sa profession, et on ne dit pas seulement cela parce que ses principes s'approchent de ceux du génial Antonio Conte.
En signant à l'Inter il y a deux ans, Simone s'est appuyé sur l'héritage de Conte en reprenant la verticalité chère au cœur de son prédécesseur, et que lui-même avait déjà appliqué à la Lazio lorsqu'il en était l'entraîneur. Simone aime que ses joueurs se projettent rapidement vers l'avant, au risque de souffrir lors des phases de transition. En cela, sa confrontation avec Pep Guardiola samedi promet beaucoup.
L'aspect humain sera aussi au centre des enjeux car Inzaghi, comme son adversaire catalan d'ailleurs, est reconnu pour ses qualités managériales. Il sait comment pousser ses troupes à se surpasser et l'a encore démontré cette saison. Très tôt distancé par Naples en championnat, Inzaghi était menacé de licenciement avant de réussir une fin de saison fantastique: en l'espace d'à peine quatre mois, l'Inter a remporté quatre derbys contre le Milan, dont les deux demi-finales de la Ligue des champions, tout cela sans encaisser le moindre but. Le club nerazzurro a aussi soulevé la Coupe contre la Fiorentina.
Voici Simone Inzaghi au pied d'une montagne, au début d'un chemin qui peut le mener à l'Olympe des entraîneurs. Il faut se souvenir de Carlo Ancelotti, de la manière dont il avait dû lutter pendant des semaines contre son licenciement à Milan (2002/03) avant de remporter la Ligue des champions contre la Juventus à Old Trafford, et d'entamer ainsi une ère triomphale, ce que les Italiens appellent un ciclo vincente.
Il ne manque plus qu'une victoire à Simone Inzaghi, ce triomphe en Ligue des champions contre Manchester City, pour ouvrir un nouveau cycle et devenir un très grand entraîneur.
Collaboration: Stefan Wyss