En avril, Marcel Koller remporte la Coupe. En mai, il ajoute la Supercoupe. La victoire en Ligue des champions africaine suit en juin, juste avant le titre national. A 62 ans, Marcel Koller entraîne Al Ahly, le plus grand club d'Egypte, avec un succès indécent. Après ses miracles avec l'équipe nationale d'Autriche, l'ex-coach de Bâle (notamment) a retrouvé un lieu où son message passe. Il nous en parle.
Y a-t-il un balcon au Caire pour célébrer les trophées en football?
Marcel Koller: Non. En Égypte, les célébrations sont fondamentalement différentes de l'Europe. Nous n'avons pas du tout fêté la victoire en Ligue des champions. Après la finale au Maroc, le staff s'est envolé directement pour la Suisse, 15 joueurs ont rejoint leur équipe nationale et les autres sont rentrés à la maison. Ils ont pris le trophée avec eux et ont fêté un peu. Mais sans les grands défilés que nous connaissons en Europe.
Avez-vous au moins fêté à l'hôtel le soir?
Il y avait des ventilateurs dans le hall. Impossible de s'asseoir. Nous voulions fêter ensemble avec le staff mais le bar du dernier étage était déjà fermé. Et le restaurant du hall était désert. Nous sommes donc allés dormir et nous nous sommes levés tôt le lendemain matin pour aller à l'aéroport.
Et après avoir remporté le titre national?
Nous sommes devenus champions sans jouer. Je mangeais avec notre interprète Khaled Elgawady quand notre concurrent, Pyramids, a perdu le titre. Au restaurant, des fans nous ont félicités et ont pris quelques photos. Ensuite, nous avons reçu le trophée dans le stade. Puis ce fut la fête sur place, dans les vestiaires et dans les tribunes avec les supporters qui escaladaient la clôture. Mais le lendemain matin, nous avons recommencé à nous entraîner. C'est le 43e titre de champion. Les fans et les joueurs d'Al-Ahly sont habitués.
Regrettez-vous que ces trophées, qui sont très importants à titre personnel, ne soient guère fêtés?
Autres pays, autres mœurs. Nous nous adaptons. Pas de problème.
Selon les articles de presse, il y a 60 millions de fans d'Al Ahly en Égypte. Pouvez-vous même simplement vous promener au Caire?
Non (rires). Je suis reconnu partout et énormément de gens demandent des selfies ou des autographes. Je devrais sortir déguisé si je voulais me promener en ville sans être dérangé. Avec masque et bonnet. C'est pourquoi j'ai l'habitude de rester à la maison ou de prendre la voiture pour aller au restaurant, où nous pouvons manger tranquilles car notre venue est organisée à l'avance. Seuls les chefs et les employés repartent avec une photo (rire)
Vous avez tout gagné, sauf la Coupe du monde des clubs. Comment avez-vous transformé une équipe sur le déclin, championne pour la dernière fois en 2020? La pression était forte. Surtout pour les joueurs. Parce que les fans ne veulent que des victoires. Le club doit remporter chaque compétition qu'il dispute. Mais je n'ai rien fait de différent qu'avec mes équipes précédentes. J'ai travaillé avec mon coéquipier de l'époque, Harald Gämperle, en tant qu'entraîneur adjoint, mais aussi avec avec d'autres anciens de Bâle et de GC. Un super staff. Nous nous sommes vites intégrés et nous avons pu développer l'équipe sans beaucoup de temps, principalement grâce aux analyses vidéo car nous jouions tous les trois à quatre jours. Nous étions cohérents et nous exigions une concentration qui n'était peut-être pas toujours là auparavant. L'équipe l'a très bien pris et l'a appliqué.
Avez-vous inculqué une philosophie de jeu relativement suisse qui consiste d'abord à bien défendre?
Je dis toujours la même chose: il faut marquer des buts, attaquer, mais tout le monde doit contribuer à défendre. Ici, c'est un peu différent. Contre Al Ahly, toutes les équipes, à part quelques-unes, jouent avec un bloc bas. C'est pourquoi il s'agit surtout de trouver des solutions offensives.
Comment communiquez-vous?
Quelques joueurs parlent l'anglais. Mais la plupart des causeries se font avec un interprète. C'est un fan d'Al-Ahly, il a vécu 18 ans en Allemagne et, très important, il maîtrise aussi la langue du footballeur. Il traduit simultanément et c'est une personne formidable.
Avez-vous pris des cours d'arabe?
Non. C'est trop compliqué. Deux de mes adjoints ont essayé, mais ils ont fini par abandonner.
Comment vous êtes-vous retrouvé en Égypte en septembre 2022? Au printemps, vous aviez refusé l'équipe nationale de Pologne à cause d'une opération à un genou.
Je ne pouvais pas accepter l'offre de la Pologne car je n'étais pas mobile. Voler en avion aurait été difficile et je voulais aussi pouvoir bouger sur le terrain. Puis, pendant l'été, j'ai reçu un appel d'Égypte, j'ai découvert le club et j'ai trouvé la proposition intéressante.
Qu'est-ce qui vous a convaincu?
Al Ahly est le plus grand club d'Afrique. Il compte un nombre incroyable de fans très passionnés. Cela m'a plu, surtout après avoir fréquenté des stades vides en Suisse pendant le Covid.
Vous avez tout gagné, sauf la Coupe du monde des clubs. Comment avez-vous transformé une équipe sur le déclin, championne pour la dernière fois en 2020?
La pression était forte. Surtout pour les joueurs. Parce que les fans ne veulent que des victoires. Le club doit remporter chaque compétition qu'il dispute. Mais je n'ai rien fait de différent qu'avec mes équipes précédentes. J'ai travaillé avec mon coéquipier de l'époque, Harald Gämperle, en tant qu'entraîneur adjoint, mais aussi avec avec d'autres anciens de Bâle et de GC. Un super staff. Nous nous sommes vites intégrés et nous avons pu développer l'équipe sans beaucoup de temps, principalement grâce aux analyses vidéo car nous jouions tous les trois à quatre jours. Nous étions cohérents et nous exigions une concentration qui n'était peut-être pas toujours là auparavant. L'équipe l'a très bien pris et l'a appliqué.
Mais depuis les émeutes de Port-Saïd en 2012, qui ont fait 75 morts, les mesures gouvernementales ont considérablement réduit les affluences au stade?
Malheureusement. En championnat, quand je suis arrivé, environ 3000 personnes étaient disséminées dans cet immense stade, qui peut en contenir 50 000. Quand j'ai vu ça, j'ai été déçu parce qu'on ne m'avait pas donné cette information. Mais ensuite, les stades sont redevenus pleins et ce fut incroyable.
Avez-vous déjà ressenti une telle effervescence?
Peut-être en tant que joueur lors d'un voyage à Kiev avec GC. Là, nous étions sifflés à chaque touche de balle par 100 000 spectateurs. Mais Al Ahly s'approche de cette expérience. En tant qu'entraîneur, vous pouvez crier aussi fort que vous le voulez, personne ne vous entend. L'ambiance est particulièrement chaude en Afrique du Nord.
Vous aimez ça?
J'en ai la chair de poule. Mais je dois aussi m'assurer qu'aucune bouteille ne me touche. Mon garde du corps a déjà été frappé à la tête avec une bouteille d'eau.
Qu'a dit votre femme quand vous lui avez dit que vous alliez entraîner au Caire?
Qu'elle me soutenait, mais que je devais savoir ce que je faissais.
Quelles histoires folles avez-vous vécues au cours de la dernière année?
À Hilal, au Soudan, au beau milieu de la dernière séance d'entraînement avant la Ligue des champions, un pétard a atterri dans le stade depuis l'extérieur. Soudain, il y a eu des cris et nos yeux ont commencé à piquer. Les fans de Hilal nous ont tiré dessus avec des gaz lacrymogènes. Quelques-uns de nos joueurs avaient déjà vécu cela auparavant et m'ont interdit de me frotter les yeux, ils m'ont dit de les laver. Nous avons dû interrompre l'entraînement jusqu'à ce que tout le monde puisse à nouveau voir correctement. Puis nous avons perdu le match. Après, un steward du stade a frappé un de nos joueurs à la tête. Ce fut un voyage hors du commun.
D'autant plus important que vous avez pu passer devant Hilal lors de l'ultime journée de cette phase de poule.
Mais seulement parce que Hilal a raté un penalty juste avant la fin de son match. Sinon, nous aurions été éliminés. Cela peut aussi s'appeler le karma.
Qu'avez-vous vécu en dehors du terrain? Avez-vous fait un peu de tourisme à Gizeh ou sur le Nil?
Je l'avais déjà fait. Comme joueur, avec l'équipe de Suisse, j'étais allé au Caire et nous avions visité les pyramides. J'y suis retourné deux fois avec des amis qui sont venus me rendre visite. L'interprète Khaled Elgawady nous a également emmenés manger du Kushari, le plat national. Mais je fais rarement des voyages comme celui-ci à cause du travail qui m'attend.
Le club d'Al Ahly est-il plus grand que le FC Bâle?
La valeur marchande de l'équipe est comparable, soit environ 30 millions de francs.
Et le foot?
La mentalité est différente. Le style de jeu est plus émotionnel. Il y a aussi le ramadan et cinq prières quotidiennes dont il faut tenir compte.
Avez-vous déjà programmé une causerie à laquelle personne ne s'est présenté parce que tout le monde priait?
Non. Nous sommes flexibles dans notre planification hebdomadaire et nous organisons nos réunions en fonction de la position du soleil. Mais j'ai été épaté par la Coupe du monde des clubs au Maroc. A la mi-temps, j'ai fait un discours rapide pour que les joueurs puissent encore prier. Mais quand j'ai regardé le banc de remplaçants après la pause, il n'y avait qu'un seul joueur. Les autres ont continué de prier dans le vestiaire et ne sont revenus que dix minutes plus tard. Heureusement, personne n'a été blessé pendant ce moment, sinon je n'aurais pu eu de remplaçant disponible.
Quels sont vos projets? En fait, vous devriez prendre votre retraite car vous ne gagnerez plus jamais cinq trophées en une seule saison. Mais vous avez encore un an de contrat.
On pourrait encore gagner la Coupe du monde des clubs... Non, blague à part, je dois parler au président. Il aimerait prolonger. Mais nous avons certainement aussi besoin de vacances.