Marcel Koller, le FC Zurich de cette année vous rappelle-t-il l'an 2000?
Il y a des parallèles. A l'époque, personne ne croyait non plus que nous pourrions y arriver avec le FC Saint-Gall.
Mais vous l'avez fait - champion avec Saint-Gall, un outsider de taille. Le football suisse n'a plus connu ça depuis.
Oui, ça s'était très bien passé, même si à l'époque j'avais eu six mois pour réorganiser l'équipe pour la saison suivante, celle du titre. Je suis arrivé à Saint-Gall le 1er janvier 1999. A l'époque, il y avait encore le tour final. Nous avons pris un excellent départ, mais nous avons ensuite connu 12 matches sans victoire (ndlr: Saint-Gall terminera dernier cette saison-là). Heureusement, j'ai compris où se situait le problème.
Et où se situait-il?
Il y avait une certaine satisfaction. Les joueurs avaient une prime dans leur contrat pour la participation au tour final. Nous avons changé ça. On a instauré des primes pour la victoire en Coupe, pour le titre de champion ou encore pour les places en Coupe d'Europe.
Ce système de primes a-t-il suffi pour motiver les joueurs?
Non, ce n'était qu'un détail. À mon arrivée, tout était plus petit. Quand il y avait deux victoires d'affilée, tout le monde se tapait sur l'épaule.
Cela ne vous a pas plu.
Non. J'ai beaucoup insisté sur l'esprit d'équipe. C'est très important dans un petit club, cela permet d'accomplir beaucoup de choses. Cet esprit, je le vois maintenant au FC Zurich, par exemple après l'égalisation à Sion. Tout le banc a participé à la fête.
L'esprit d'équipe, la mentalité. Que faut-il d'autre pour obtenir un flow comme celui que vit actuellement Zurich, et que vous avez connu à l'époque avec Saint-Gall ?
Il faut bien sûr de la qualité. Et avoir un peu de chance aide aussi - comme contre Sion, avec ce but zurichois dans les arrêts de jeu.
Est-ce que ce sont des moments où l'on pense que tout est possible ?
Absolument. Plus on vit de telles expériences, plus cela nous donne confiance en nous. À un moment donné, on a tellement d'énergie positive en soi qu'on peut aussi surmonter un revers.
Avec Saint-Gall, il y a eu ce fameux match au début du tour final, le 20 mars 2000...
À l'extérieur contre GC, oui (il rit).
Saint-Gall est arrivé en tant que champion d'hiver surprise chez le grand GC, qui avait 6 points de retard.
Et comme j'avais longtemps joué à GC, je savais exactement ce qui nous attendait. Après 15 minutes, nous étions menés 3-0 et n'avions pas tiré une seule fois au but. Puis nous avons réussi à marquer, mes joueurs ont récupéré le ballon au fond des filets, signe qu'ils y croyaient encore. Nous avons fini par égaliser, mais nous avons de nouveau été menés au score en toute fin de match. J'ai vu Roy Hodgson, l'entraîneur de GC de l'époque, exulter et j'ai pensé: «Oh non!»
Mais Saint-Gall est revenu une nouvelle fois.
Oui, Charles Amoah, 4-4. Ce point au Hardturm, cette expérience, c'était le moment décisif sur le chemin du titre.
Comment faire pour que tout le groupe se réjouisse du succès commun, comme maintenant au FCZ, comme à l'époque à Saint-Gall ?
Tout le monde ne peut pas jouer, mais tout le monde doit se rendre compte qu'on peut faire de grandes choses ensemble. Le caractère des joueurs est alors très important. A l'époque, j'avais Thomas Alder comme deuxième gardien à Saint-Gall. Il n'avait aucune chance de passer devant Jörg Stiel. Mais il avait un sens aiguisé du collectif, il donnait tout à l'entraînement.
De quels moyens dispose-t-on en tant qu'entraîneur pour façonner un groupe uni?
A l'époque, Saint-Gall n'avait pas remporté de titre de champion depuis 1904. Au bureau, il y avait une photo de l'équipe championne de l'époque. Je l'ai agrandie, accrochée et j'ai dit qu'à la fin de la saison, on y mettrait notre photo avec la Coupe. Et puis, à Saint-Gall, j'ai eu Charles Amoah ...
... l'attaquant ghanéen qui a terminé meilleur buteur.
Exact. Je l'avais fait signer en provenance de Wil. C'était un grand footballeur. Mais il était aussi réservé, la barrière de la langue était difficile pour lui. A l'époque, nous avions une cassette avec des morceaux que les joueurs choisissaient. J'ai remarqué qu'Amoah avait le cœur qui battait la chamade lorsqu'il entendait sa chanson ghanéenne avant le match. Je l'ai donc toujours passée dans le vestiaire. Il me regardait, me souriait, sortait...et marquait un but!
Quelle est l'importance de la continuité, notamment pour l'esprit d'équipe? Au FC Zurich, il y a eu peu de changements en hiver, alors qu'il y en a eu beaucoup à Bâle et à Berne.
La continuité est évidemment très importante. L'esprit d'équipe, ça se construit. Les joueurs doivent apprendre à se connaître, ça ne se fait pas en un ou deux mois. Il en va de même pour le projet de jeu notamment. De manière générale, je pense qu'il est devenu plus difficile de créer une communauté.
Pourquoi ?
Parce qu'aujourd'hui, chaque footballeur est une entreprise individuelle.
Etait-ce moins le cas avant ?
Oui, bien sûr.
Que s'est-il passé? Pourquoi une telle évolution?
Il y a Instagram, les téléphones portables. Chacun est préoccupé par lui-même.
Lorsque vous étiez entraîneur à Bâle, vous avez interdit les portables dans le vestiaire une heure avant le match. Faut-il davantage de règles de ce type aujourd'hui?
Je pense que oui. Mais je dois avouer que je n'ai pas encore trouvé comment faire avec le téléphone portable. Il s'agit aussi d'une question de responsabilité personnelle, on ne peut pas constamment surveiller les joueurs. Je trouve en tout cas qu'il est important de se parler, par exemple pendant les repas communs. Cela donne de l'énergie positive.
Les footballeurs ont-ils changé de personnalité au cours des 30 années où vous avez exercé la fonction d'entraîneur ou d'entraîneur adjoint?
Oui, bien sûr, et pas forcément pour le pire. Mais je me demande, tout de même: comment peut-on encore apprendre à se connaître si on ne se parle plus?
A Zurich, staff et joueurs évitent de parler ouvertement du titre de champion. Vous aviez fait pareil à Saint-Gall en 2000. Pourquoi?
Il y a simplement le risque qu'une certaine satisfaction s'installe. Si l'on regarde trop loin devant, tout le monde estime alors que le titre est déjà dans la poche, la famille, les amis, les journalistes aussi. À un moment donné, le joueur pense qu'il n'a plus besoin d'aller au duel. Tout peut ensuite basculer très vite. On perd une fois, peut-être deux. C'est difficile par la suite d'inverser la dynamique. C'est la raison pour laquelle il ne faut penser qu'au prochain match.
Un flow est donc quelque chose de fragile, qu'il faut chérir et entretenir.
Il faut un peu de temps avant de vaciller, tout de même. Mais une défaite peut en entraîner une autre, et alors on perd la décontraction nécessaire pour rester dans le flow. Il serait intéressant de voir comment le FC Zurich réagirait à une défaite.
D'un point de vue plus personnel, vous avez quitté Bâle il y a un an et demi. Quand serez-vous à nouveau sur un banc?
J'ai eu des entretiens, mais je ne voulais pas partir à l'étranger à cause du Covid. Dernièrement, j'ai reçu deux offres de la part d'équipes nationales, l'une d'elles était même sur la table, prête à être signée. Mais j'ai refusé à cause de mon genou.
Vous parlez de l'offre de la fédération polonaise?
Exactement. J'aurais dû recueillir rapidement de nombreuses informations pour pouvoir travailler comme je l'entendais. Cela aurait impliqué de nombreux voyages, qui ne sont pas encore possibles avec mon genou, encore gonflé après l'opération.
Qu'avez-vous fait ces 18 derniers mois ?
J'ai passé beaucoup de temps à la maison avec ma femme. Nous avons construit une maison, c'était intense, il y avait beaucoup de choses à planifier.
Avez-vous peur de tomber dans l'oubli après presque deux ans sans travail ?
Non, j'ai toujours eu des demandes, et mon expérience m'aide à garder mon calme. On pourrait me voir à nouveau sur la ligne de touche.
Adaptation en français: Julien Caloz