Il y avait de l'ambiance lors de Mexique - Pologne, le premier des matchs du Mondial disputés au stade 974, il y a un peu plus d'un an. Des dizaines de milliers de supporters mexicains avaient fait le voyage au Qatar, transformant l'enceinte en une véritable arène mexicaine.
Cela n'a pas suffi puisqu'à cette occasion, les Mexicains ont concédé le nul 0-0. Les footballeurs d'Amérique centrale et leur fantastique public ont d'ailleurs quitté la compétition dès la phase de groupes.
Ce stade 974, justement, a accueilli son dernier match du tournoi en 8e de finale: une victoire du Brésil face à la Corée du Sud, 4 à 1. Cette enceinte se voulait particulière, car construite avec des conteneurs maritimes. Avant la Coupe du monde, la Fifa en avait fait la promotion en parlant du «premier stade conforme aux nouvelles normes de la Fifa qui peut être entièrement démonté après le tournoi, tous les modules pouvant être réutilisés ailleurs».
Le comité d'organisation qatari de ce Mondial avait fait part de ses projets de démonter l'arène immédiatement après la fin de la compétition et de la donner à un autre pays qui n'avait pas les moyens de s'offrir un stade aussi grand. Le tournoi s'est terminé en décembre 2022. Un an plus tard, le stade est toujours debout, exactement au même endroit. Et on ne sait pas pourquoi le Qatar attend.
Bernd Neuendorf, président de la Fédération allemande de football (DFB), s'est montré surpris et a déclaré en mars au média Redaktionsnetzwerk Deutschland:
Tous les autres stades de la Coupe du monde 2022 n'ont pas non plus été touchés. Pourtant, ils faisaient eux aussi l'objet de plans concrets pour l'après-tournoi. La capacité de certains d'entre eux devait être réduite afin de s'adapter au nombre de spectateurs des clubs locaux. D'autres devaient être transformés en hôpitaux, en centres commerciaux ou en hôtels.
Souvent dans un but caritatif, selon le Qatar. Les sièges superflus de l'enceinte Ahmad bin Ali devaient par exemple être donnés à un pays qui manque d'infrastructures sportives. Rien d'entrepris, pour l'instant. Un immobilisme constaté par les travailleurs immigrés de t-online, partenaire de watson, et des médias comme le Spiegel ou la Deutschlandfunk.
La procrastination des Qataris a porté ses fruits. En effet, la Chine s'est retirée de l'organisation de la Coupe d'Asie, l'équivalent asiatique de l'Euro, en mai 2023, en raison de la pandémie de Covid-19. L'Association asiatique de football (AFC) s'est alors mise à la recherche d'un remplaçant à court terme et a trouvé son bonheur... au Qatar.
Ainsi, du 12 janvier au 10 février 2024, l'Etat du Golfe accueillera la Coupe d'Asie des nations. La compétition se déroulera dans neuf stades au total. Sept de ces arènes ont accueilli des matchs du Mondial 2022. Seul le fameux stade 974 manque à l'appel. Il servira néanmoins de terrain d'entraînement pour certaines équipes, comme le rapporte la Deutschlandfunk.
Après la Coupe d'Asie, la situation sera à nouveau la même qu'après la Coupe du monde: les stades ne seront plus utilisés, ou en tout cas plus à leur pleine capacité. Les travaux de démontage pourraient donc commencer fin février. Mais débuteront-ils un jour?
Il n'y a pas que le recyclage des enceintes qui stagne au Qatar. En ce qui concerne les progrès sociaux, le diagnostic est également l'immobilisme. C'est du moins ce qu'a affirmé Amnesty International en novembre dernier. Avant la Coupe du monde, l'Etat du Golfe avait montré quelques lacunes en matière de droits des femmes et des travailleurs immigrés. Salaires non versés, conditions de travail déplorables, insalubrité des logements: ces ouvriers venus de l'étranger ont souvent vécu une réalité totalement différente de celle qui leur avait été promise.
On espérait alors que ces manquements soient corrigés. Mais si de légères améliorations ont été constatées dans le domaine de la protection contre la chaleur et celui des droits de sortie du pays, Amnesty International a relevé des abus notamment dans les domaines du vol de salaire et du changement d'emploi. Un triste constat s'impose: sans la loupe de la Coupe du monde, les dirigeants qataris ne font que peu d'efforts pour améliorer la situation.
Katja Müller-Fahlbusch, spécialiste de la région du Golfe pour Amnesty International, souligne:
Les observateurs avaient généralement porté un regard inquiet sur les réformes sociales entreprises au Qatar au cours des années précédant le Mondial, en doutant de leur sérieux et de leur avenir une fois le tournoi achevé. Le système de la kafala semble toujours bel et bien en place.
Il s'agit de garanties que les employeurs doivent donner aux travailleurs étrangers, qui deviennent ainsi quasiment leurs serfs. Les organisations de défense des droits de l'Homme qualifient cette pratique d'«esclavage moderne».
Le chef du Mondial 2022, Hassan al-Thawadi, avait souligné avant la compétition que les réformes seraient venues même sans le football et qu'elles n'avaient rien à voir avec la pression publique. Les critiques en doutaient. Un an après le tournoi, ces doutes semblent fondés.
L'intérêt de la Fifa pour cette question semble également s'estomper. Les appels publics prônant des améliorations sont pratiquement inexistants, tout comme la pression sur le Qatar. Katja Müller-Fahlbusch critique l'instance du football mondial:
Mais l'attention de la Fifa semble se porter depuis longtemps sur d'autres pays. Les hôtes de la Coupe du monde 2026, par exemple. Ou l'Arabie saoudite, qui devrait selon toute vraisemblance accueillir le Mondial 2034 et dont la situation en matière de droits humains est encore plus critique que celle du Qatar.
Les mêmes thèmes que ceux de la Coupe du monde 2022 apparaîtront alors et domineront le débat. Un grand point d'interrogation subsiste quant à savoir s'ils seront, cette fois, encore au centre de l'attention du public en 2035, un an plus tard.
Adaptation en français: Yoann Graber.