«La vie est pleine de contradictions», a dit un jour l'ancien agent des services secrets israéliens Yossi Kuperwasser à propos de l'attitude d'Israël vis-à-vis de la coopération entre le Qatar, riche émirat du Golfe, et l'organisation terroriste Hamas. Ces dernières années, le Qatar a soutenu le gouvernement du Hamas à Gaza en lui versant des millions - et ce au su et avec l'accord d'Israël.
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Des fonctionnaires du Hamas en exil vivent au Qatar et y tiennent leur bureau politique pour diriger l'organisation. Le chef du Hamas Ismail Haniyeh, qui a quitté Gaza il y a quatre ans, vit la plupart du temps à Doha - dans l'opulence, comme le disent les critiques. Il y a deux ans, il aurait payé avec son entourage un million de dollars pour un séjour dans un hôtel de luxe.
La semaine dernière, le Parlement européen a exigé que le rôle du Qatar, de la Russie et de l'Iran «dans le financement et le soutien du terrorisme» fasse l'objet d'une enquête. Lors de la récente visite de l'émir Tamim bin Hamad al-Thani à Berlin, le journal Bild a titré que le «principal sponsor du terrorisme» venait en Allemagne.
Le groupe de réflexion FDD à Washington, proche d'Israël, a critiqué les efforts internationaux visant à obtenir un cessez-le-feu à Gaza avec l'aide de la Turquie et du Qatar: les deux pays seraient des financiers du Hamas. Mais le rôle du Qatar est plus complexe que ne le présentent les politiques occidentaux.
Il est vrai que le Qatar soutient depuis longtemps les Frères musulmans, un mouvement international de l'islam politique auquel appartient le Hamas. Il s'agit certes pour le Qatar d'une proximité idéologique, mais surtout de pouvoir jouer, en tant que petit pays, dans le concert des puissances régionales au Proche-Orient.
D'autres Etats arabes font un grand écart autour du Hamas. En 2017, l'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, Bahreïn et l'Egypte ont tenté de forcer le Qatar à cesser sa coopération avec les Frères musulmans en bloquant les frontières. Mais le Qatar a refusé. Le blocus sur le Quatar a été levé en 2021.
L'Emirat continuera de coopérer avec le Hamas à l'avenir, affirme Joe Macaron, expert du Proche-Orient auprès du think tank américain Wilson Center. Toutefois, il y a d'une part la direction politique du groupe palestinien, soutenue par le Qatar et la Turquie, et d'autre part sa branche militaire, plus proche de l'Iran, a déclaré l'expert.
Le Hamas reçoit de l'argent pour les armes principalement de l'Iran, mais dans d'autres domaines, l'organisation de Haniyeh peut compter depuis des années sur l'aide financière du Qatar. Jusqu'en 2021, l'Emirat a envoyé des millions en espèces à Gaza pour payer les salaires des fonctionnaires du gouvernement du Hamas, acheter du carburant pour les générateurs électriques et aider les familles pauvres.
Parfois, des émissaires qataris partaient d'Israël pour Gaza avec des valises pleines d'argent. Israël était d'accord parce qu'il voulait attiser en sa faveur le conflit entre le Hamas à Gaza et le gouvernement palestinien en Cisjordanie. L'argent devait servir à améliorer les conditions de vie des civils à Gaza, avait alors déclaré l'ex-agent du renseignement israélien Kuperwasser à la chaîne américaine NPR.
De 2012 à 2021, environ 1,5 milliard de dollars ont été versés à Gaza par le Qatar, selon les médias. Il y a deux ans, Israël et le Qatar se sont mis d'accord pour mettre fin aux transports d'argent liquide. Aujourd'hui, l'aide financière du Qatar est distribuée via l'ONU.
Depuis l'attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre, les diplomates qataris ont contribué à la libération de quatre otages de Gaza. Le premier ministre Mohammed bin Abdulrahman al-Thani a déclaré cette semaine que de nouveaux progrès avaient été réalisés sur le sujet, de sorte que l'on peut espérer qu'une «percée» soit bientôt réalisée sur la question des otages.
Les Etats-Unis et Israël se gardent donc bien de critiquer le Qatar. Washington a qualifié l'émirat de «partenaire de longue date» qui aide à la libération des otages et a envoyé son ministre des Affaires étrangères Antony Blinken à Doha. Le conseiller israélien à la sécurité Tzachi Hanegbi a commenté que les efforts diplomatiques du Qatar étaient «décisifs».
L'expert du Proche-Orient Joe Macaron s'attend à ce que l'importance du Qatar dans la guerre entre Israël et Gaza continue de croître dès qu'un cessez-le-feu pourra être obtenu. Actuellement, l'influence de l'Iran sur les combattants du Hamas prédomine, explique Macaron. Mais dès que les armes se tairont, les forces du Qatar seront selon lui au centre de l'attention: sa puissance financière et ses relations étroites avec la direction politique du Hamas.
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)