A part un bar à tapas et la météo caniculaire de cette fin de mois d'août, pas grand chose à Payerne (VD) rappelle Barcelone. Pourtant, la cité broyarde pourrait bientôt ressembler plus que jamais à la capitale catalane. Un homme est à l'origine de ce rapprochement: Alexis Meva.
Non, ce Camerounais de 25 ans n'est pas propriétaire d'une compagnie aérienne et n'a donc aucune intention d'établir une liaison entre l'aérodrome vaudois et la ville de Gaudi (désolé de décevoir les locaux qui se voyaient peut-être déjà siroter une sangria sur les Ramblas sans avoir à transiter par Cointrin). C'est grâce au football que cette ancienne pépite du Barça espère donner à Payerne un petit air de Barcelone.
Car oui, Alexis Meva, joueur du Stade-Payerne (deuxième ligue interrégionale, soit la 5ème division suisse) depuis 2021, a bel et bien porté le prestigieux maillot blaugrana. Et même longtemps: huit ans, précisément. Il y a fait presque toutes ses classes juniors, a signé pro mais a quitté le quintuple vainqueur de la Ligue des champions juste avant de rejoindre l'équipe première.
Cet été, il vient d'être promu chef technique des juniors du Stade-Payerne, où il souhaite amener sa grande expérience du très haut niveau. «Mon objectif sera atteint si les jeunes du club décident d'y rester pour se former et de jouer un jour pour l'équipe fanion, plutôt que de déserter à Yverdon ou dans d'autres clubs davantage cotés», pose le Camerounais.
Pour toucher au but, il ira notamment voir les matchs de chaque catégorie juniors du club payernois, des F (7ans) jusqu'aux A (18 ans). «J'observerai par exemple les systèmes de jeu ou la manière de communiquer des coachs», explique-t-il.
L'ex-Barcelonais n'est pas du genre à rouler les mécaniques. Il n'aime pas mettre en avant son prestigieux CV. La preuve? «Vous êtes le premier journaliste suisse à faire mon portrait», rigole-t-il. Sa modestie sera confirmée quelques minutes plus tard quand, gêné, il baisse le volume sur la terrasse au moment d'évoquer ses souvenirs avec Lionel Messi, histoire de ne pas attirer l'attention des badauds.
A côté de son expertise, Alexis Meva guidera aussi les coachs de la relève payernoise en les aidant à concocter des séances d'entraînement – en s'inspirant de celles qu'il a connues au Barça – et assurera la coordination entre eux, afin d'unifier la manière de jouer.
Il s'apprête à créer aussi un groupe élite, constitué des footballeurs les plus prometteurs du club, toutes catégories d'âge confondues. C'est lui-même qui prendra en charge l'entraînement d'environ une heure et demi chaque mercredi.
Mais comment le Camerounais, né en 1997 dans «un quartier difficile» – selon ses mots – de Douala (ville portuaire) a-t-il posé ses valises dans la Broye via Barcelone? Récit d'un parcours fou.
Flashback en 2007. Avec son équipe locale, le gosse de 10 ans dispute un tournoi au Cameroun, qu'elle remporte. «J'ai fait un très bon match en finale, je m'étais donné à fond», sourit-il. Et ce n'est pas un hasard si le gamin choisit ce moment pour se défoncer sur le terrain. Dans les tribunes, il a aperçu la star camerounaise Samuel Eto'o. Il ne le sait pas encore, mais les personnes qui accompagnent l'attaquant du FC Barcelone sont des recruteurs du club catalan. Et Alexis Meva leur a tapé dans l'œil.
Mais le prodige ne s'envole pas tout de suite pour la Catalogne. Il transite quelques mois par le centre de formation de la fondation Samuel Eto'o (Fundesport) à Douala, où il loge chez le directeur, Joseph «Diallo» Siewe. «Quand il me parlait, il n'évoquait jamais le FC Barcelone», rembobine Alexis Meva. Jusqu'au jour où Siewe reçoit un appel du célèbre centre de formation du Barça, la Masia. «Ils cherchaient un attaquant de mon âge avec mes caractéristiques», se souvient le Broyard. La suite?
Le joyau, 11 ans seulement, prend l'avion pour la première fois de sa vie et atterrit à Barcelone en septembre 2008. Avec zéro repère. Loin de sa famille et de ses amis, sans aucun mot d'espagnol dans sa bouche. Dans cet environnement totalement inconnu, ses débuts sont forcément difficiles. Une anecdote l'illustre à merveille.
Malgré cette très rapide première «incompréhension culturelle», Alexis Meva s'accroche. Si tout se passe bien sur le terrain, le jeune camerounais fait aussi des progrès en dehors, avec l'aide notamment d'une tutrice et de quelques compatriotes qui évoluent aussi dans la relève barcelonaise. Après trois mois, son vocabulaire en espagnol est suffisant pour qu'il intègre une école privée sport-études, où le Barça envoie ses jeunes pépites. «Le club insistait beaucoup sur l'importance de l'école. Ceux qui n'y allaient pas le matin n'avaient pas le droit de s'entraîner le soir», applaudit le Payernois, qui remercie encore le club blaugrana de lui avoir «tout donné dans la vie», y compris une éducation de qualité.
Doté d'un talent exceptionnel (en 2010, il est par exemple élu meilleur joueur du renommé tournoi M13 Bassevelde Cup en Belgique), Alexis Meva gravit les échelons du Barça jusqu'au M19 en 2015, avec une seule infidélité d'une saison à Badalona en prêt. Le Camerounais signe son premier contrat pro à 16 ans. En M19, il a même le privilège suprême de s'entraîner plusieurs fois avec la première équipe, toute fraîche championne d'Europe. Il y côtoie toutes les stars, dont Lionel Messi et Neymar. Les séances sont alors dirigées par Luis Enrique, désormais coach du PSG.
Neymar& Alexis Meva (17.12.2014) ~Klao pic.twitter.com/4XfRUZUUxR
— Neymar News Polska (@NeymarNewsPL) December 18, 2014
Sur la pelouse, c'est Messi qui l'impressionne le plus. Mais pas pour une qualité spectaculaire. «Bien sûr, il est incroyable dès qu'il a le ballon. Mais ce qui est aussi frappant, c'est son analyse du jeu. Même quand il marche, il est tout le temps à lever la tête et scanner le terrain de droite à gauche.»
Après ses expériences sporadiques en première équipe, Alexis Meva est convaincu qu'il a «les capacités pour s'y établir». Mais entre-temps, les dirigeants du club ont changé, tout comme les responsables de la formation. «Le dialogue avec eux est devenu moins franc, mon avenir au Barça m'a paru tout à coup beaucoup plus incertain. D'autres joueurs ont été mis en avant». Encore aujourd'hui, il regrette la tournure des événements et ne comprend toujours pas pourquoi la route lui a été barrée.
En janvier 2016, il décide alors de tenter sa chance aux Etats-Unis, à Portland. L'attaquant revient en Espagne après neuf mois seulement, où il retrouve de l'embauche dans les divisions inférieures. En été 2018, le Broyard a l'occasion de signer en première division croate, mais son agent fait capoter le projet. «Tout était prêt, mais il demandait une commission pour lui trop élevée, du coup le club a renoncé», déplore-t-il. Seule alternative pour éviter le chômage: une signature en fin de mercato au FC La Chaux-de-Fonds, alors pensionnaire de troisième division.
L'ex-pépite du Barça n'a pas le temps de voir les premières neiges dans les Montagnes neuchâteloises: elle rompt son contrat, le club étant dans l'incapacité de payer son salaire. S'en suivent des touches en Slovénie, auxquelles Alexis Meva ne donne pas suite à cause de «salaires misérables». Il retourne en Espagne, sans boulot, et accepte début 2019 une offre du FC Fully (2e ligue valaisanne).
C'est à ce moment qu'il fait la rencontre de sa copine, une Payernoise. Deux piges à Azzurri Lausanne puis Martigny et un bébé plus tard, il se rapproche de sa compagne enceinte en signant au Stade-Payerne en été 2021. «Ma fille Liyah, qui aura deux ans en octobre, est la principale raison pour laquelle je suis encore ici», s'émeut le directeur technique des juniors.
Son nouveau poste lui en donne une deuxième pour s'établir durablement dans la Broye. S'il n'a plus l'ambition de retoucher au football professionnel comme joueur, il se verrait bien y remettre les pieds comme directeur sportif ou responsable de la relève, par exemple. Le jeune homme ne manque en tout cas pas d'idées. Il s'enthousiasme au moment d'en parler:
De quoi permettre à Payerne de garder ses petits airs ibériques. Parce que si le bar à tapas restera ouvert, les températures caniculaires et le soleil radieux, eux, disparaîtront sans doute bientôt.