Sur les Plaines-du-Loup, son chaleureux accent vaudois est connu comme le grand canidé blanc. Et pour cause: Patrick Rochat (64 ans) officie en tant que speaker dans les deux stades de Super League qu'abrite ce quartier des hauts de Lausanne, la vétuste Pontaise (Stade Lausanne Ouchy) et la flambant neuve Tuilière (Lausanne-Sport). De mémoire d'experts, pareille situation est insolite sur la planète.
Pour cet ancien garagiste débordant d'enthousiasme quand il parle de son rôle au SLO et au LS, le duel fraternel de samedi (18h00) à la Pontaise entre les deux équipes sera, évidemment, particulier.
Vous êtes certainement la seule personne au monde à être le speaker de deux clubs de première division, et en plus dans deux stades différents...
PATRICK ROCHAT: Je suis vraiment un homme exceptionnel! (rires) Je n'avais jamais pensé à ça. Oui, c'est bien possible. Et ça ne se passe pas si mal apparemment, puisqu'aucun des deux clubs ne m'a encore foutu dehors!
Ça doit quand même être très particulier comme statut.
Oui, même si j'avais déjà fait des derbies lausannois quand j'étais auparavant aussi speaker du Mont. Mais bon, quand on me propose un job, je ne sais pas dire non, je suis un bon type! (rires) Désormais, j'habite en Valais, à Champéry, où j'ai déménagé récemment pour y passer ma retraite. C'est toujours un plaisir de descendre à Lausanne pour le foot.
Et ça va à Champéry, vous ne vous faites pas trop chambrer par des fans du FC Sion?
Tout le monde au village sait que je suis le speaker du LS et du SLO, ce n'est pas un secret. Alors les gens me taquinent en me demandant quand est-ce que je serai aussi derrière le micro à Tourbillon. Mais bon (il imite – très bien – l'accent valaisan), Christian ne m'a pas encore téléphoné...
On imagine que c'est plus difficile de mettre l'ambiance au SLO qu'au LS, parce que le stade est beaucoup plus vieux et surtout bien plus vide.
Oui, c'est clair! C'est dommage, parce que le SLO mériterait d'avoir beaucoup plus de public. Même quand il y a un goal, c'est difficile d'enflammer le stade.
Du coup, vous adaptez vos interventions pour combler ce déficit d'ambiance?
La seule grosse différence entre le SLO et le LS, c'est quand il y a un but. Quand c'est un Stadiste qui marque, j'annonce son prénom et son nom en entier, sans faire scander le nom du joueur par le public car il n'y a pas assez de répondant. Au LS, je crie le prénom et les fans le nom, en écho. Mais malgré le manque d'ambiance au SLO, j'essaie d'être aussi enthousiaste qu'avec le LS.
Et sinon, qu'est-ce qui change entre la Pontaise et la Tuilière?
A la Pontaise, je m'occupe aussi de mettre la musique, ce qui n'est pas le cas à la Tuilière. Et parfois, il arrive que mon ordi plante à cause du froid dans la cabine... (rires) Du coup, j'amène mon petit chauffage électrique et j'ai une chaîne hi-fi pour dépanner au cas où. Je peux même encore passer des 33 tours! Au LS, à la Tuilière, tout est beaucoup plus professionnel, mais moins familial.
Être speaker dans deux stades aussi différents, c'est comme vivre deux époques en même temps.
Oui, exactement. Dans la vieille Pontaise, c'est beaucoup plus facile par exemple d'aller parler aux joueurs ou aux staffs. Avant les matchs, je descends dans le couloir des vestiaires pour demander la prononciation du nom des joueurs.
A la Tuilière, je reçois avant le coup d'envoi, dans ma loge, des feuilles sur lesquelles sont recensées toutes les annonces que je dois faire au micro. Au SLO, c'est davantage amateur, dans le bon sens du terme. C'est moins cadré. J'improvise davantage, je vais demander avant la rencontre s'il y a des choses spéciales à annoncer, des gens à remercier, etc.
Ces derbies SLO-LS, ça ne doit quand même pas être si facile pour vous, parce qu'à la base, vous êtes fan du LS...
(Il coupe) Non, à la base, je suis fan du FC Le Mont-sur-Lausanne. J'y étais joueur, président et j'ai habité quasiment toute ma vie là-bas. Après oui, le LS, de par son histoire, restera toujours LE club du canton.
Ça veut dire que samedi face au SLO, votre coeur penchera quand même pour le LS?
Ah ben non! C'est Stade Lausanne Ouchy à domicile contre le Lausanne-Sport à l'extérieur, donc je serai pour le SLO! (rires)
Ah, c'est intéressant ça!
Un match SLO-LS, je suis Stadiste. Mais un match LS-SLO, je suis Lausannois du LS. Mais vous savez, en tant que speaker, on doit respecter et aimer tout le monde, et essayer d'être apprécié par tout le monde. C'est peut-être pour ça que j'arrive à appartenir aux deux clubs.
Mais avouez-le, samedi à la Pontaise, le LS n'aura quand même pas tout à fait le même traitement qu'un visiteur normal?
Honnêtement, oui, ce sera pareil! Que ce soit YB, Saint-Gall ou le LS, quand le SLO joue à la Pontaise, je suis pour le SLO. J'applaudirai les goals des Stadistes avec joie et j'annoncerai ceux du LS avec correction. Mon club, samedi, c'est Stade!
Dans votre situation, ça doit être très compliqué de ne pas tomber dans un dédoublement de personnalité!
Oui, ça me fait toujours marrer. Bon, je dois quand même vous avouer quelque chose: samedi, si le LS marque, j'aurai exactement la même intonation au micro que si c'était YB ou Saint-Gall. Mais intérieurement, ça sera quand même différent...
C'est vrai qu'on est très loin de l'image du derby où ça castagne entre supporters.
En fait, un derby, c'est avant tout une fête, un moment de partage dans une ville, un canton. C'est ce que ça devrait être tout le temps. C'est le plaisir de rencontrer des gens proches. Et en général, quand on rencontre des gens proches, c'est pour faire la fête. Et oui, mon rôle est un peu celui de maître de cérémonie, qui contribue à ce que les choses se passent bien.
Vous avez une anecdote sur ces SLO-LS en Super League?
Je me fais toujours un peu allumer avant et après les matchs par les deux côtés. Les uns me traitent de Stadiste, les autres de pro-LS. Mais c'est toujours dit avec humour, dans un esprit bon enfant. Certains me disent aussi: «Tu crieras pas trop s'ils marquent» ou «T'aurais pu gueuler moins fort sur leur goal».
Une dernière question...
Le pronostic pour le match de samedi? (rires)
Vous lisez dans nos pensées!
Joker! Je peux me permettre, c'est le seul que j'ai pris dans cette interview.