La 24e journée de Super League a été mouvementée pour les deux clubs romands, Servette et Sion. La cause est la même: des décisions arbitrales qui font jaser. Il y a d'abord eu le carton rouge attribué samedi par Luca Cibelli au Sédunois Giovanni Sio face à Young Boys (0-4). Puis, le lendemain, les deux expulsions dictées par Sandro Schärer à l'encontre des Genevois Kevin Mbabu et Enzo Crivelli contre Lucerne (0-1).
Le cas de l'attaquant français est très semblable à celui de Giovanni Sio: un accrochage avec un adversaire – qui ne reçoit, lui, qu'un carton jaune (le Lucernois Beka) ou rien (le Bernois Zesiger) –, une scène litigieuse sans que le (télé)spectateur ne comprenne ce qu'il se passe et un arbitre qui sort un carton rouge direct sans aller consulter la VAR.
Conséquences? Des décisions incomprises et contestées par les «victimes», par exemple le coach servettien Alain Geiger, très remonté après le match, ou les fans sur les réseaux sociaux. Alors, pour éviter une telle colère contre les arbitres, ne faudrait-il pas leur donner la parole en interview après les matchs pour qu'ils puissent expliquer leurs décisions?
«C'est une très bonne idée», valide Stéphan Studer, ancien arbitre de Super League (2006-2015) et international dès 2009.
Le Genevois voit encore un autre gros avantage à instaurer ce protocole: le rôle pédagogique. «C'est un très bon moyen pour informer le public sur les règles du jeu et ses mises à jour. Parce qu'une bonne partie des fans de foot ne connaît pas forcément très bien le règlement.» Et puis, les spectateurs prendraient aussi conscience des difficultés et contraintes du job. De quoi les rendre plus cléments ou, au moins, compréhensifs.
Christophe Girard, chef de la commission des arbitres de l'Association suisse de football (ASF), se dit lui aussi favorable à la mise en place d'interviews d'après-match pour les arbitres, pour les mêmes raisons que Stéphan Studer. «Quand les arbitres s'expriment, ça comble un vide. Tant qu'ils ne parlent pas, ce vide est rempli par les spéculations et les jugements du public sans connaissance de cause», appuie le Vaudois. Il espère même qu'il arrivera, avec ses collaborateurs, à mettre en place ces interviews avant la fin de son mandat – «qui n'est pas pour tout de suite», précise-t-il avec le sourire.
Mais alors, si même le chef loue les bénéfices de ce protocole, pourquoi n'existe-t-il pas encore dans le foot suisse? «Premièrement, parce que l'idée ne fait pas l'unanimité dans ma commission», avoue Christophe Girard. Et il y a plusieurs raisons à cette frilosité. Il y a d'abord, pour certains arbitres, la crainte de s'exposer davantage médiatiquement. «On a déjà dû placer certains arbitres sous protection policière, alors je peux comprendre qu'ils ne souhaitent prendre aucun risque», explique Christophe Girard.
Mais il n'y a pas besoin de recevoir des menaces d'individus dérangés pour appréhender un face-à-face avec une caméra ou un micro. «Parler à la presse, ça peut être intimidant pour quelqu'un qui n'en a pas l'habitude», poursuit le chef des arbitres à l'ASF.
Christophe Girard a observé une autre raison qui rend certains de ses confrères sceptiques. «Ils craignent, légitimement, que cet exercice devienne uniquement une défense face à l'accusation. Or, ce n'est pas le but. C'est une démarche explicative, qui ne doit pas placer l'arbitre dans le rôle d'un accusé face à un tribunal.»
Pour éviter cette Inquisition 2.0, Stéphan Studer propose une solution:
L'ex-directeur de jeu liste plusieurs autres prérequis pour que le protocole soit efficace. «Il est nécessaire de laisser suffisamment de temps à l'arbitre après la fin du match pour qu'il puisse voir les images TV et redescendre émotionnellement, histoire d'avoir du recul et d'être le plus rationnel possible dans ses explications», pose le Genevois. Il se souvient de ses propres habitudes: «Je n'accordais jamais d'interviews moins d'une heure après le coup de sifflet final. J'allais d'abord me doucher puis consulter les images vidéo.»
Pour l'heure, aucune échéance n'est fixée en Suisse pour l'instauration d'interviews des arbitres, ni même pour une phase test.
Mais cette fin de semaine pourrait marquer une nouvelle étape. «On va rencontrer mon homologue allemand dès mercredi à Bucarest, lors d'une réunion européenne des commissions d'arbitres. Il va notamment nous faire un retour sur les interviews d'arbitres après les matchs», se réjouit Christophe Girard.
Car oui, la pratique a déjà cours en Bundesliga. Les entraîneurs viennent même aussi devant la caméra pour poser des questions aux directeurs de jeu, en direct (!). Ça c'était par exemple très bien passé entre Daniel Siebert et Marco Rose, le coach de Leipzig, après le match contre le Bayern en janvier dernier. Le technicien avait notamment compris pourquoi l'arbitre n'avait pas expulsé un adversaire, mais aussi pourquoi, lui-même, avait écopé d'un jaune sur son banc.
Mais pas sûr que le protocole fonctionne avec tous les entraîneurs (petits clins d'œil à Fatih Terim et Jorge Sampaoli, pour ne citer qu'eux)...
En Suisse, les fans de Servette, Sion et d'autres équipes auront donc sans doute encore quelques occasions de s'exciter sur leurs claviers contre les arbitres.