Dans l'esprit de Murat Yakin, Haris Seferovic sera le numéro 9 de l'équipe de Suisse à la Coupe du monde au Qatar, l'attaquant qui devra empiler les buts pour emmener la Nati le plus loin possible dans le tournoi. Le problème, c'est qu'à dix semaines du premier match contre le Cameroun, Seferovic est en panne totale d'efficacité et de confiance avec Galatasaray. Ses statistiques sont terribles: 6 matchs, 0 but et 0 passe décisive.
L'aventure turque avait pourtant très bien débuté pour l'international aux 86 sélections, arrivé cet été en provenance de Benfica (prêt payant). Mais après des matchs de pré-saison aboutis, il a progressivement décliné. Ce ne serait pas un problème si Seferovic évoluait dans un club de niveau moyen: il serait protégé par son statut et son entraîneur lui laisserait du temps pour qu'il retrouve ses marques et sa confiance. Mais Galatasaray est un grand club et il est impatient de revenir au sommet après une décevante treizième place en championnat la saison dernière. Signe de leur empressement, ses dirigeants se sont d'ailleurs montrés très actifs cet été sur le marché des transferts.
Haris Seferovic était au centre du projet et à la pointe du 4-2-3-1 de son entraîneur Okan Buruk. Mais tout a changé depuis deux semaines: la patience du coach a atteint ses limites et le natif de Sursee (LU) est désormais sur le banc des remplaçants.
Pire encore, Galatasaray, qui avait déjà Seferovic et Bafétimbi Gomis, a engagé un troisième buteur et pas n'importe lequel: un finisseur au CV impressionnant, 162 pions et 39 offrandes en 311 matchs avec Paris et l'Inter Milan. Son nom: Mauro Icardi.
Pour comprendre ce que cette signature signifie pour l'attaquant suisse, et déterminer la situation dans laquelle il se trouve, nous avons contacté Yusuf Kenan Çalik, journaliste spécialisé dans le football pour la chaine turque NTV.
Yusuf Kenan Çalik, dites-nous: la signature de Mauro Icardi, c'est une punition contre Seferovic?
Non. En transférant une telle star, Galatasaray voulait montrer sa force, surtout financière. Cela dit, la hiérarchie des attaquants a changé au sein du club. Seferovic était l'attaquant principal en début de saison, mais sa baisse de forme l'a placé sur le banc des remplaçants.
Qu'entendez-vous par «baisse de forme»?
Il est bon physiquement. C'est surtout un problème de mental. Vous savez, il a raté une occasion dès le premier match de championnat. Il était seul face au but, il aurait pu marquer facilement mais il a préféré faire une passe. Je pense que cette action l'a perturbé car elle a suscité pas mal de mécontentement. Il a un peu perdu confiance par la suite. Or pour un attaquant la crise de confiance est, après la blessure, ce qu'il y a de pire.
Quand un attaquant ne marque pas, c'est parfois parce qu'il ne reçoit pas de bons ballons...
En fait, son manque d'efficacité est à moitié de sa faute. Son profil ne correspondait pas forcément au jeu de Galatasaray, mais lui n'a pas fait d'efforts non plus pour s'adapter à sa nouvelle équipe.
Comment aurait-il dû s'y prendre?
Galatasaray n'a pas de numéro 10 classique pour faire le lien entre le milieu et le secteur offensif. Sur la feuille de match, l'équipe est disposée en 4-2-3-1 mais quand elle attaque, c'est plutôt du 4-2-4, et les quatre de devant sont à peu près inutiles tant que le ballon n'arrive pas dans leurs pieds. Ils ne sont pas du genre à faire des efforts dans le repli ni à décrocher. C'est ce qu'on attendrait de Seferovic.
Or il ne le fait pas.
Non. En tout cas pas assez. Du coup, il ne touche pas beaucoup de ballons, surtout que les latéraux ont tendance eux aussi à monter et que les ailiers, qui rentrent alors vers l'intérieur, sont plus dans le dribble que dans la passe.
Sa malchance, aussi, c'est que Galatasaray ne dispute pas de Coupe d'Europe. Ça réduit le turnover, donc le temps de jeu.
Vous avez raison, ça fait au moins six matchs en moins, soit autant d'occasions de jouer et de se montrer dans une équipe qui dispose d'un gros contingent. Seferovic n'est pas aidé non plus par le règlement du championnat, qui stipule qu'au moins trois joueurs turcs doivent être sur le terrain durant un match. Il reste donc 8 places pour les étrangers qui sont 20 en première équipe. C'est un peu tendu.
Surtout devant, où ils sont trois attaquants pour une place. Risque-t-on d'assister à une guerre d'egos?
C'est possible, surtout que les attaquants, on les connaît, ils ont des egos surdimensionnés. C'est un poste où vous êtes tout seul, comme les gardiens. Or vous ne pouvez pas avoir trois bons gardiens sans générer de frustration. Et bien, c'est pareil pour les buteurs. Même si Gomis est assez âgé (réd: il a 37 ans) et qu'il ne fera pas de caprices, on ne sait pas ce que ça va donner avec Icardi et son entourage. Mais d'ici à ce que l'Argentin retrouve la forme et soit compétitif, Seferovic aura trois ou quatre semaines pour prouver sa valeur. Il aura encore sa chance. A lui de la saisir.