Quand il a fait le choix de signer à Chicago en MLS, Xherdan Shaqiri savait. Il savait que si son club ne se qualifiait pas pour les play-offs du championnat américain, sa saison se terminerait le 9 octobre, soit six semaines avant le début du Mondial au Qatar (la Suisse entre en compétition le 24 novembre contre le Cameroun). Or ce scénario catastrophe est en train de se produire: à huit journées de la fin, Chicago (12e de sa Conférence) est déjà à 5 points des play-offs. Le match de samedi face à Montréal s'apparente à celui de la dernière chance pour rester dans la course aux séries finales, surtout que l'équipe du Suisse n'affrontera que des formations mieux classées jusqu'à la fin de saison.
La MLS étant une Ligue fermée, les équipes éliminées en saison régulière ne disputent pas de match de relégation. «XS» arrivererait donc au Mondial avec beaucoup moins de matchs dans les jambes que ses coéquipiers et adversaires, puisque la plupart des championnats européens ne s'arrêtent qu'une semaine avant le coup d'envoi au Qatar, soit le week-end du 12 et 13 novembre.
«Six semaines sans match, c'est clair, ce ne serait pas une bonne préparation», juge Bernard Challandes, ex-sélectionneur du Kosovo. «Ce serait problématique», estime lui aussi Raoul Savoy. Le Vaudois a dirigé plusieurs sélections africaines ces quinze dernières années. Il a souvent dû faire face à des joueurs en méforme. «Après un mois sans match, tu as perdu pratiquement toute ta condition. L'entraînement, c'est une chose. Mais rien ne remplace le game fitness, l'intensité physique et nerveuse de la compétition.»
Le sélectionneur de la République centrafricaine estime que «ce serait le problème de Murat». Puis ajoute: «J'ai ce genre de soucis lors de chaque rassemblement. J'ai décidé de ne plus convoquer les joueurs qui ne jouent pas. Je veux des gars concernés par des matchs toutes les semaines. Si j'étais sélectionneur suisse et que Shaqiri finissait sa saison le 9 octobre, je me poserais très sérieusement la question de l'emmener au Qatar.»
«Ce serait au staff de la Fédération suisse de trouver des solutions pour que Shaqiri puisse s'entraîner. Elle ferait ensuite le point de la situation, mènerait des tests physiques, éventuellement psychologiques avec le joueur, pour savoir comment il se sent, et savoir in fine si c'est une bonne chose qu'il soit là ou pas», anticipe Bernard Challandes.
Contactée, l'ASF explique par la voix de son porte-parole que d'ici au Mondial, Shaqiri «sera accompagné par les entraîneurs et le staff de la Nati, mais comme tous les autres joueurs». La situation la plus probable en cas d'élimination en MLS serait que le milieu offensif rentre en Europe et suive un entraînement personnalisé. «Il pourrait s'entraîner à Macolin ou ailleurs, et suivre un programme individualisé mis en place par l'ASF, songe Michel Pont, ancien sélectionneur adjoint de la Nati. C'est ce qu'on faisait déjà avec Ottmar Hitzfeld pour certains joueurs.»
«XS» pourrait aussi rejoindre une équipe suisse, pourquoi pas le FC Bâle. «Il ne pourrait pas être aligné car son arrivée se ferait en-dehors de la fenêtre des transferts, rappelle l'agent de joueurs Michel Urscheler. Mais s'entraîner avec le FCB serait tout à fait possible. Il faudrait simplement que les deux clubs se mettent d'accord et règlent les questions d'assurance notamment.» Tout dépendrait de ce que Chicago serait prêt à accorder à un joueur qu'il a engagé en février dernier pour trois ans et qu'il paie chèrement.
Et puis, ce cas de figure ne manquerait pas d'interroger: serait-ce vraiment bénéfique de quitter un continent pour un autre, de digérer le décalage horaire et le changement de climat pour ensuite devoir s'habituer à des joueurs qu'il ne connaît pas, dans un collectif dont il ignore tout?
«Il n'y a pas grand-chose d'idéal dans la situation de Shaqiri», résume Raoul Savoy, avant d'ajouter:
Malgré le risque d'une fin de saison précoce qui se précise depuis deux semaines et les deux défaites de Chicago, Michel Pont ne se montre pas trop inquiet. Il est même persuadé que «XS», un joueur qu'il affectionne, arrivera en pleine forme au Qatar, et ce quelle que soit la fin de saison de son équipe. «Il aurait peut-être six semaines sans matchs, mais il prendrait dix jours de vacances puis se mettrait au boulot seul, avant le rassemblement de la Nati et le match amical contre le Ghana le 17 novembre. Au final, ça ne ferait que deux ou trois semaines de battement. Je ne vois aucun problème dans sa situation.»
Ces 15 à 21 jours «de battement» peuvent-ils justement plomber la condition physique d'un joueur dont l'hygiène de vie est régulièrement citée par les médias pour justifier les blessures à répétition? «C'est du «qu'en dira-t-on», balaie Michel Pont. Ses blessures viennent surtout de sa morphologie, de sa musculature très puissante, qui l'oblige à faire attention à ses entraînements et à ses plages de repos et de soins.»
Le staff de l'équipe de Suisse a raison de surveiller de très près la situation de Xhardan Shaqiri aux Etats-Unis. Il faut d'abord espérer que l'expérimenté milieu offensif (106 sélections) dispute les huit derniers matchs de la saison régulière sans se blesser, puis qu'il s'entraîne assidûment si son équipe termine sa saison le 9 octobre. La Nati compte sur lui. «Il est indispensable», rappelle Michel Pont, avant d'ajouter une précision nécessaire au vu de l'actualité: «À condition bien sûr qu'il soit à 100% de ses capacités.»