Enzo Crivelli détonne sur un terrain de foot. Il y a d'abord son look: des cheveux longs noirs, toujours mouillés et tenus par un large bandeau. Son physique aussi: l'avant-centre servettien n'est pas spécialement grand (184 cm), mais a un tronc et des épaules particulièrement larges. Et il sait parfaitement utiliser ce gabarit atypique.
Le Français (30 ans) l'a prouvé samedi dernier à Lausanne, où il a effectué une excellente entrée à la mi-temps. Sa prestation à la Tuilière n'aurait d'ailleurs pas pu mieux refléter son style de jeu. Crivelli n'a pas marqué ni brillé par des prouesses techniques, mais il a largement contribué à la précieuse victoire des Genevois (1-0), qui leur permet d'être co-leaders avec Bâle avant d'aller affronter le FC Zurich ce dimanche (14h15).
Alors que les Servettiens étaient dominés dans les duels, leur numéro 27 a renversé la donne (et ses adversaires), tant dans les airs qu'au sol. Juste avant son arrivée à Genève en août 2022, l'ancien Grenat Gaël Clichy avait prévenu:
Non seulement il gagne des ballons, mais il sait aussi les garder. Ses aptitudes à protéger sa balle et à jouer en pivot sont tout simplement hors normes en Super League. Elles sont dignes de celles de Mario Balotelli, par exemple.
Mais c'est bien le seul point commun (outre leur poste) que le natif de Rouen partage avec l'ex-Sédunois, dont la nonchalance sous le maillot valaisan a scandalisé même les plus débonnaires des suiveurs du foot suisse.
Enzo Crivelli, lui, ne dose jamais ses efforts. L'Apache, comme il est parfois surnommé pour son look, galope sans arrêt. Il se délecte de chaque duel physique, enchaîne les appels de balle et multiplie les sprints pour presser et se replier défensivement, jusqu'au coup de sifflet final. C'est simple: aucun autre attaquant du championnat n'a un sens aussi aigu du sacrifice.
Dans un portrait que consacrait So Foot en 2017 à l'ex-attaquant d'Angers, son premier entraîneur en pro (à Bordeaux), Francis Gillot, résumait:
A en croire ses anciens coachs, le Servettien possède cette mentalité de battant – ô combien précieuse pour une équipe et dont les collègues peuvent s'inspirer – depuis qu'il est tout petit. Patrice Rouillon, son entraîneur à l'AS Fantonne quand il avait dix ans, s'en souvient:
Autre exemple: une scène de la Coupe Gambardella 2013, un tournoi U19 que Crivelli a remportéeavec Bordeaux. «En finale, on marque à la 87e. À la 93e, Sedan a un dernier coup franc. Je me rappelle encore de son visage déterminé à faire un dernier effort pour défendre!», rembobine dans So Foot le coach bordelais, Philippe Lucas.
En février dernier, la Tribune de Genève a questionné le principal intéressé sur la raison profonde de son «engagement total». Sa réponse:
Ce goût pour l'effort, Enzo Crivelli l'a dans son ADN. Et ce n'est pas qu'une métaphore. «Son papa était très passionné, un mec formidable, qui faisait tout pour son fils. Il le poussait dans le bon sens», témoigne, toujours dans So Foot, Patrice Rouillon, son coach en U10. Enzo Miglierina, l'un des meilleurs amis du Servettien, embraie:
Malheureusement, Enzo Crivelli ne peut plus recevoir le soutien de son papa au Stade de Genève, car ce dernier est décédé après un malaise cardiaque il y a douze ans. «C’est forcément quelque chose qui a vachement touché Enzo. Il a su faire de ce malheur une force. Aujourd’hui, il se bat pour lui, pour le rendre fier comme s’il était encore là», s'émouvait son meilleur ami en 2017.
Même si Enzo Crivelli brille par son attitude et ses qualités athlétiques, il serait réducteur de résumer son jeu à ça. L'Apache a d'autres cordes à son arc: un bon jeu de tête devant le but adverse, un pied droit sûr et une frappe puissante. Cette saison, il en est à cinq buts et deux passes décisives en 23 matchs de Super League. Il a aussi fait preuve de courage et de sang-froid le mois dernier à Sion, quand il transformé un penalty au bout des arrêts de jeu, qui a permis à Servette de ramener un point (3-3).
Le sang, justement, c'est ce qui peut parfois trahir l'avant-centre grenat. Chaud ici, en l'occurence. Crivelli a le défaut de sa qualité: à vouloir tout le temps s'engager à fond, il commet des excès (comprendre: des fautes grossières).
Ce manque de lucidité lui a valu plusieurs cartons rouges. Par exemple en 2023 à Genk, après seulement trois minutes lors du match retour des qualifs pour la Champions League. Ou l'année dernière à Yverdon, à la 27e minute. De quoi mettre son équipe dans la panade.
Cette saison, Enzo Crivelli n'a jusqu'à maintenant jamais été expulsé. S'il parvient à canaliser toute son énergie et la mettre au profit du Servette FC, comme il sait si bien le faire, les Grenat peuvent rêver d'un premier titre de champion depuis 1999.
Ce qui rendrait à coup sûr très fiers leurs fans, et aussi une personne, là-haut, qui veille particulièrement sur le numéro 27.