«C'est fantastique ce que je suis en train de vivre, je ne réalise toujours pas!», s'émeut Felix Oberle au bout du fil. Et pourtant, en arrière-fond, les cris des mouettes de Kiel prouvent que l'Argovien est bel et bien dans cette ville portuaire allemande de la mer Baltique, d'où il prendra le large ce dimanche.
Il fait partie des quatre navigateurs, tous suisses, du team Amaala. Sur leur Imoca, un voilier monocoque à foils, ils mettront le cap sur Portsmouth en Angleterre, pour quatre jours de mer. Il s'agit de la première étape de l'Ocean Race Europe, une course par étapes à laquelle participent sept équipages. Ceux-ci débarqueront notamment à Carthagène en Espagne, Nice et Gênes, puis termineront leur périple le 21 septembre dans la baie de Kotor, au Monténégro.
Cette course, c'est aussi la première de ce qui est sans doute le projet le plus ambitieux de l'histoire de la voile suisse: la création d'une véritable équipe nationale des mers – «une Nati de la voile», pour reprendre les mots du communiqué de presse en clin d'œil à nos footballeurs –, qui s'alignera sur plusieurs épreuves et fera entrer, en Suisse, ce sport «dans une toute autre dimension».
L'idée émane du plus célèbre des navigateurs helvètes, Alan Roura (32 ans). Après s'être associé à deux autres figures de proue de la discipline en Suisse, Elodie Mettraux et Simon Koster, le Genevois a présenté son projet «longuement mûri et réfléchi» au public début juin. Ses compères et lui ont trouvé deux sponsors principaux: la station touristique saoudienne Alamaa, qui a donné son nom au bateau, ainsi que l'horloger suisse Hublot.
Et pour former cette sélection, la Swiss Offshore Team de son nom, les trois navigateurs ont lancé un appel à candidatures. Résultat? 40 dossiers reçus et sept marins retenus (quatre hommes et trois femmes) pour cette Ocean Race Europe, après des tests physiques et psychologiques, notamment.
Felix Oberle fait donc partie des heureux élus. «Quand j'ai entendu parler de ce projet, j'ai tout de suite postulé. C'est une sacrée aventure, qui permet d'engranger beaucoup d'expérience et de représenter la voile suisse, qui connaît une très belle période», s'enthousiasme le jeune homme de 34 ans, qui vit à Lorient en France depuis quatre ans, où il se consacre entièrement à la voile et où il a fait la connaissance d'Alan Roura.
Dans le communiqué, le Genevois souligne lui aussi l'essor de la discipline dans notre pays et sa volonté d'y contribuer avec la création de cette Nati des mers:
Et la Swiss Offshore Team voit loin. Après ce tour d'Europe, elle compte aligner ses membres sur plusieurs prestigieuses courses, au moins jusqu'en 2028.
Des épreuves en équipage, comme The Ocean Race Atlantic 2026 (une transatlantique qui relie New York à Barcelone) ou The Ocean Race 2027 (un tour du monde). Mais aussi en solitaire, par exemple la Route du Rhum l'année prochaine et, bien sûr, le mythique Vendée Globe en 2028, le grand objectif d'Alan Roura (qui a déjà participé à trois éditions, dont la dernière bouclée le 7 mars 2025 à la 18e place).
Le Vendée Globe, c'est aussi le rêve de Felix Oberle. Sur son site web, l'Argovien mentionne d'ailleurs ce tour du monde dans les mers du Sud comme l'une de ses prochaines grandes échéances. Mais pour l'édition 2032-33. «Pour le moment, c'est un rêve inaccessible», soupire-t-il, avant de retrouver illico sa bonne humeur et de rire.
Il le dit, «la voile est sa passion», et ça se ressent autant par sa voix enjouée que ses réponses très développées. C'est d'ailleurs ce qui l'a motivé, il y a quelques années, à venir étudier à Lausanne, à l'EPFL (génie mécanique). «J'étais attiré par l'idée de découvrir une autre culture et de progresser en français, mais aussi par celle de rejoindre le club du LUC pour faire mes premières régates», explique l'Alémanique, qui maîtrise désormais très bien la langue de Molière.
Depuis, le virus des courses de voiliers ne l'a jamais quitté. En 2021, il décide de s'exiler en Bretagne, à Lorient précisément, «La Mecque de la voile» comme il le dit, pour se préparer pendant deux ans pour sa première Mini Transat (course en solitaire qui relie Les Sables-d'Olonne, en Vendée, à la Guadeloupe). Une épreuve qu'il a bouclée en 2023 à une excellente – et surprenante – quatrième place. Il remettra les voiles direction l'archipel caribéen lors de l'édition 2025, dès le 21 septembre.
D'ici là, Felix Oberle – qui prendra part à sa première course avec un bateau si rapide et autant d'équipage à bord – espère prendre beaucoup de plaisir et d'expérience avec la «Nati» sur l'Ocean Race Europe, et ce même s'il ne participera qu'à la première étape. «Ça me permettra notamment de progresser dans ma communication avec les médias», anticipe le navigateur. Il considère cet aspect comme primordial:
Et justement, l'Argovien a une visée altruiste à travers ce projet. «Il s'agit certes de représenter la Suisse, mais aussi d'essayer de faire découvrir à nos concitoyens une nature profonde, de leur faire prendre conscience qu'elle existe. Pour qu'eux aussi puissent se connecter avec, et pas seulement sur la mer».
La photographe/vidéaste Coline Beal, qui sera aussi à bord, aura notamment cette mission de faire vibrer le public avec ses publications.
Ce dimanche, Felix Oberle et ses trois équipiers du Team Amaala – les skippers Alan Roura et Simon Koster, ainsi que Lucie De Gennes – tenteront de rejoindre Portsmouth le plus rapidement possible. L'Angleterre laissera très certainement de superbes souvenirs à cette Nati des mers, meilleurs on l'espère qu'à sa cousine du football, cruellement battue par les Anglais en quarts de finale du dernier Euro.