Red Bull est entré dans le sport en la jouant casse-cou, avec des concepts un peu loufoques de vols planés, de cavalcades et de gadins dans le lac. Morceaux choisis:
La boisson énergisante visait les jeun's, les excités et les enjoués, ceux qui traînaient dans les boîtes et pourraient y dégoupiller ses canettes, qui descendaient les rues en skateboard et auraient besoin d’un remontant. A peine trente ans plus tard, Red Bull est l’un des acteurs les plus puissants du sport. Il faut bien souligner ce mot: acteur.
Le groupe a surtout créé un pôle de compétence unique, spécialisé dans la recherche et le développement: Red Bull Racing. Cette entité ne se mélange plus avec les fêtards et la vodka, selon le virage opéré il y a une quinzaine d'années.
Fin 2021, Red Bull Racing est devenu champion du monde de Formule 1 avec Max Verstappen. Deux jours plus tard, il a fait son entrée dans la plus vieille aristocratie du sport de compétition, la Coupe de l’America, en associant son nom à Alinghi. Mais ce n'est pas du sponsoring. En aucune façon.
«Ceux qui croient à un simple partenariat ne connaissent pas Red Bull Racing», sourit Valérie Servageon-Grande, vingt années de marketing dans le sport international et plusieurs gros contrats (Formule 1, football, notamment) négociés pour le compte de Tag Heuer et Hublot.
«Cet accord est une excellente nouvelle… pour Alinghi, explique la spécialiste. Red Bull Racing va amener ses compétences en aérodynamique, en technologie, tout le savoir accumulé en Formule 1. Sans négliger la force marketing de Red Bull Media (TV, magazine, net), une machine à produire du contenu et à faire de l’audience. Même si la Coupe de l’America est la plus vieille compétition sportive au monde, elle doit atteindre les jeunes. Red Bull Media possède des compétences rares dans ce domaine. A l’inverse, Alinghi amènera son côté premium. Il fera monter Red Bull en gamme.»
Valérie Servageon-Grande rappelle que Red Bull Racing est actif dans les technologies de pointe, «et n'a plus rien à voir avec la boisson énergisante. D'ailleurs, on n’a jamais vu une canette sur la carrosserie d’une F1 et je doute qu’on en verra dans les mains des skippers. J’ai visité les usines de Red Bull Racing et j’ai trouvé cette structure impressionnante. Ils ont développé des compétences uniques. Où je suis étonnée, c’est qu'en général, ils ne s'associent jamais à des entités qui ne leur appartiennent pas.»
La marque n’a pas la mémoire des chiffres, elle non plus, et ne communique pas sur ses investissements. Par recoupements, la presse économique évalue son budget marketing à 25% des revenus nets, alors que cette part était encore de 40% lorsque Red Bull déployait ses ailes (7,9 milliards de canettes vendues en 2020).
Historiquement, les marques ont un positionnement marketing clair, dans un segment précis (luxe, populaire, underground, etc). Red Bull n’obéit à aucun code de la communication commerciale classique: il est partout et il fait (de) tout. «Une diversification extraordinaire, applaudit Valérie Servageon-Grande. En trente ans, ils ont bâti un empire à partir d'une canette.»
Un véritable essor. «Nous donnons des ailes aux gens et aux idées», revendique la marque qui, non contente de coller ses logos sur des produits finis, a développé son propre élevage de sportifs.
En Formule 1, Sebastien Vettel est entré à l'académie à l'âge de 8 ans, avant de devenir quatre fois champion du monde sous les couleurs de Red Bull.
En football, des centres de détection et d'entraînement ont été ouverts au Brésil, au Ghana, en Autriche et à New York. Les six clubs de la marque ont facilité l'éclosion, non seulement de joueurs au profil particulier, mais d'entraîneurs aux idées avant-gardistes (Nagelsmann, Marsch, Jaissle, Hassenhütll, Rose).
Quand le sponsoring traditionnel investit de l'argent, Red Bull investit les lieux. Il est à la fois propriétaire, entraîneur, agent et organisateur. Quand il manque de distractions, il invente ses propres sports, dont certains éveillent des ardeurs potaches.
Fatigué de ne parler qu'aux excités, Red Bull est resté casse-cou, mais a noué des relations privilégiées avec des champions établis, le pilote Sébastien Loeb, 9 fois champion du monde des rallyes, la skieuse Mikaela Shiffrin, et maintenant la Coupe de l'America, dans une suite presque logique. Il n'est pas sot de penser que les vieux aristocrates ont également besoin d'un remontant – cette boisson à base de taurine que, faut-il le rappeler, certains pays ont d'abord interdite et comparée à de la cocaïne liquide. Après 170 ans d'existence, la Coupe de l'America devrait en ressentir les effets, elle aussi.
Cet article est adapté d'une version parue le 16 décembre 2021.