Et voilà que même le grand Chris McSorley a échoué à Lugano. Samedi dernier, le Canadien a été licencié avec ses assistants Paul DiPietro et Patrice Bosch, alors que leur contrat courait jusqu'à la fin de la prochaine saison. Pour l'instant, l'entraîneur des juniors Luca Gianinazzi coache l'équipe avec Krister Cantoni.
C'est comme si le portier d'un grand hôtel prenait la direction de l'établissement ou qu'un caporal prenait le commandement d'une division de chars. Par rapport à Paolo Duca et Luca Cereda, Luca Gianinazzi et Krister Cantoni sont des novices.
Chris McSorley est certainement un personnage entier. Comme le titre du merveilleux roman de Tom Wolf, A man in full. Et pourtant, il n'était pas, lui non plus, pleinement un entraîneur à Lugano. Un coach ne peut être un coach que lorsque son directeur sportif et lui fonctionnent ensemble, croient fermement à la même philosophie de hockey. Si bien qu'aucun de leurs dirigeants – ceux qui paient – n'ose s'immiscer dans la partie sportive du club. Et puis, un technicien ne peut faire son travail correctement que s'il n'existe aucune possibilité pour les joueurs de se plaindre de lui auprès du directeur sportif, d'un membre du conseil d'administration ou même du président. Cette situation idéale, c'est celle d'Ambri depuis 2017.
Plus que jamais, Lugano regarde vers le Gothard: alors que les Bianconeri sont tombés dans les bas-fonds du classement (actuellement douzièmes), Ambri est deuxième, avec onze points de plus. Même les victoires dans le derby ne suffisent plus à consoler Lugano. Depuis les douces rives de leur lac, les Luganais, nostalgiques, observent au loin la vallée montagneuse de la Léventine, froide et aride, située 735 mètres plus haut.
Là-haut, le président Filippo Lombardi a en effet réussi, après des années d'errements et de licenciements d'entraîneurs, à renouveler la culture et à revenir aux racines du HC Ambri-Piotta. Le club a retrouvé son ADN. Un moment crucial de cette reconquête: l'été 2017, quand Lombardi nomme Paolo Duca directeur sportif et Luca Cereda entraîneur.
Tous deux ont grandi à Ambri. Ils mangent, boivent et respirent Ambri. Ensemble, ils ont redonné vie à l'âme du club. Ils montrent l'exemple de ce qu'ils exigent des joueurs. Depuis qu'ils sont là, le grand président est tranquille et peut s'occuper de sa gloire politique, des finances et de la nouvelle patinoire.
Ambri possède aujourd'hui l'une des meilleures cultures de la gagne du pays, peut-être même la meilleure, et célèbre avec passion un hockey «total», moderne et basé sur la vitesse. Les adversaires et le puck sont pourchassés sans relâche sur toute la patinoire et, aux positions centrales, des joueurs clés organisent le spectacle.
Avec, une fois de plus, ce même constat: s'il a de bons étrangers, le HC Ambri-Piotta est une équipe de la première moitié du classement. Avec Michael Spacek, c'est la première fois depuis Dominik Kubalik (2018/19) qu'un étranger d'Ambri est le meilleur compteur du championnat. La saison dernière, l'étranger le plus prolifique à la Valascia (Peter Regin) n'occupait que le 87e rang de ce classement. «Dis-moi à quel point les étrangers d'Ambri sont forts et je te dirai jusqu'où Ambri peut aller», pourrait-on résumer.
En Lévantine, la structure est saine et logique: le coach coache, les joueurs jouent et le président préside. Le coach est plus puissant que les joueurs. Les supporters sont enthousiastes et la patinoire est remplie à 95 % en moyenne cette saison. Lugano rêve d'une telle situation.
C'est en vain que les Bianconeri aspirent à cet idéal depuis leur dernier titre, en 2006. Chris McSorley semblait enfin être la solution quand il a débarqué en été 2021. Le directeur sportif Hnat Domenichelli et l'ex-boss de Genève-Servette avaient la mission de redonner la grinta au HC Lugano. Ils représentaient l'équivalent canadien du duo Paolo Duca-Luca Cereda.
Mais la paire luganaise n'était pas comparable à son homologue léventine. Premièrement, à cause de son origine géographique. Ensuite, parce qu'elle n'avait pas une identification totale avec son employeur. C'est pourquoi elle a lamentablement échoué. Et ce n'est pas un hasard: à Lugano, depuis 2006, les joueurs sont plus puissants que le coach. Comme au PSG.
Là-bas, le coach coache, les joueurs jouent, coachent et président et la présidente paie les factures. Les supporters ne sont pas enthousiastes. La patinoire n'est remplie qu'à 73 %.
Depuis que la star Mark Arcobello, qui a beaucoup de pouvoir dans le vestiaire, ne pouvait plus faire ce qu'elle voulait, les jours de Chris McSorely derrière la bande étaient comptés. Comme la concurrence interne est devenue plus forte avec six étrangers, le capitaine et meilleur compteur luganais la saison passée a eu moins de temps de glace en power-play. L'Américain n'avait marqué aucun (!) point en 8 matchs. Il a réalisé son premier assist lors de son neuvième match seulement, soit le premier après le licenciement de McSorley. Des performances indignes de son statut, mais Arcobello a l'oreille de la présidente, Vicky Mantegazza.
Le HC Lugano a remporté son dernier titre de champion national au printemps 2006. Avec l'une des équipes les plus talentueuses et les plus brillantes de ce siècle. Mais déjà à cette époque, l'état d'esprit dérivait dangereusement de la rage de vaincre à celui d'un chapiteau de cirque.
Flashback 16 ans en arrière. L'entraîneur Larry Huras est viré en quart de finale des play-off alors que Lugano est mené 2-0 par Ambri. Harold Kreis, qui n'avait jusqu'alors jamais entraîné une équipe de première division, reprend les rênes. Après une troisième défaite dans la série, il réussit une remontada légendaire et mène Lugano au titre. De quoi faire cogiter dans les têtes des hockeyeurs bianconeri: «Nous, les joueurs, on s'occupe de tout. Chez nous, tout le monde peut entraîner», commencent-ils à penser.
Lugano n'arrive toujours pas à gérer cet héritage de 2006. Il «empoisonne» la culture de la performance. Après tout, ce sacre n'était-il pas la preuve irréfutable de l'effet (bénéfique) d'un licenciement d'entraîneur? Contre Ambri, les Luganais étaient au bord du gouffre, proche de ce qui aurait probablement été la plus grande honte de l'Histoire (une fessée 0-4 en play-off contre l'ennemi héréditaire). Et voilà qu'après un changement de coach, tout s'arrange. De quoi formater les esprits.
Ce n'est pas l'incompétence ou le manque de discernement de la direction, sous la présidence avisée de Vicky Mantegazza, qui fait échouer les entraîneurs à la Resega. C'est cet héritage «empoisonné» de 2006, combiné aux exigences élevées qui sont imposées dans la cité tessinoise. Lugano est l'une des meilleures adresses de hockey sur glace en Europe et est toujours perçu comme un club haut de gamme. C'est son ADN. Impossible, du coup, d'avoir la même humilité qu'à Ambri. Lugano ne se distinguerait plus d'Ambri. Ou, pire encore, Lugano copierait la culture de son rival léventin. Ce serait trahir sa propre identité.
Depuis que Paolo Duca et Luca Cereda dirigent le département sportif d'Ambri, six entraîneurs se sont succédé au HC Lugano: Greg Ireland, Sami Kapanen, Hnat Domenichelli (pour un match), Serge Pelletier, Chris McSorley et maintenant Luca Gianinazzi. Aucun n'a été à la hauteur. Et ce n'est pas manquer de respect à Luca Gianinazzi que de supposer que le jeune Tessinois de 29 ans ne deviendra pas le nouveau John Slettvoll (champion en 1986, 1987, 1988 et 1990).
Depuis 2006, les entraîneurs à Lugano sont soit trop vieux jeu ou trop modernes, trop bruyants ou trop silencieux, et même leur proximité avec les joueurs ne leur sert à rien. En tant que copains, ils ne sont surtout pas en mesure de pousser jusqu'à la limite de leurs capacités des jeunes hommes qui préfèrent jouer plutôt que travailler. Le point commun de tous les entraîneurs remerciés depuis 2006? Ils pensaient avoir les joueurs derrière eux. Chris McSorley aussi.
Dans l'Histoire, des hommes encore plus charismatiques et plus grands que les chefs de meute luganais ont déjà commis cette erreur fatale. Jules César – qui s'y connaissait en leadership – considérait les sénateurs de Brutus (son fils adoptif) comme ses amis... Or, ils l'ont assassiné. Ses dernières paroles auraient été, alors que Brutus sortait son poignard: «Et tu, Brute?» («Toi aussi, Brutus?») Chris McSorley aurait pu dire samedi après-midi, si le capitaine Mark Arcobello avait également été présent dans le bureau lors de son licenciement: «You too, Mark?»
Ambri en haut, Lugano en bas. Le monde à l'envers? Non, du point de vue du hockey et de la gestion, c'est l'ordre logique des choses.
Adaptation en français: Yoann Graber