C'est une citation dont plusieurs athlètes revendiquent la paternité et que les anciens attribuent à LeBron James. Elle promet déshonneur et fracas aux joueurs du Lausanne Hockey Club: «Les gens vont te haïr, te juger, te secouer, te casser. Mais c'est ce qui te rendra fort et unique.» Chouette programme...
Idéalement, le LHC aurait préféré que cette inscription reste secrète. Un photographe de 24 Heures l'a capturée sur un mur de la Vaudoise aréna, «dans un secteur très privé de l'équipe», relève Petr Svoboda, directeur des opérations hockey.
La citation peut paraître étrange pour un club aussi trendy, éminemment populaire, voire follement aimé, certes soumis au dépit amoureux de ses fans dans des (dis)proportions équivalentes, mais que les Vaudois se contentent généralement de bouder ou de gronder (tout gentiment, comme ils disent).
Petr Svoboda insiste sur le but de la démarche: son équipe ne se sent absolument pas détestée. «C'est notre volonté au LHC de donner des messages de motivation et de force. Cette citation-là n'est pas liée au public mais à l'adversité que chacun peut rencontrer dans la vie, à tous les niveaux. Nos joueurs peuvent, doivent l'interpréter en fonction de leur "actualité".»
Petr Svoboda précise que cette maxime est «à usage strictement interne: nous sommes les seuls à la voir car elle est inscrite dans des lieux "sacrés" du LHC, inaccessibles au public et aux adversaires». Sauf quand un petit oiseau passe par là.
De nationalité tchèque, Petr Svoboda n'est pas moins imprégné de la culture américaine, en particulier sa littérature de vestiaire: presque tous les stades US sont tapissés de citations célèbres qui, avec une écriture soignée, exhortent au sacrifice et à la cruauté. Dans ces sous-sols acres où les humeurs macèrent, une âme en peine ne manque jamais de lecture.
«Ces maximes sont très répandues en NHL, confirme Romain Ducret, coach mental de nombreux hockeyeurs. En Suisse, nous avons surtout des rituels. Gottéron, par exemple, a dépecé un ours en peluche avant de défier le rival bernois en 2003. Il n'a pas gagné mais je crois savoir que ça l'a aidé.»
La théorie du complot est plus universelle, à la portée de tous les conspirateurs débutants. «Le hockey, d'une certaine façon, est un sport de combat, éclaire Fabian Guignard, ancien capitaine du LHC. Un entraîneur peut avoir la tentation de fédérer son groupe autour d'un ennemi extérieur, fut-il imaginaire, et le galvaniser en mode "seul contre tous". Ce sont des outils faciles à manipuler.»
Sur le fond, Fabian Guignard «aime l'idée. Pour motiver, tous les coachs brandissent la phrase condescendante d'un adversaire ou la critique sévère d'un journaliste. Ces discours portent. A titre personnel, je serais moins attentif à une phrase peinte sur un mur. Je finirais par passer devant sans la regarder».
C'est là toutes les limites des saintes écritures: pour les voir, il faut y croire. «D'expérience, je sais que ces phrases ont un effet à court terme, poursuit Fabien Guignard, qui a également coaché. Il ne faut pas en abuser. Et puis, la cohérence du message est importante. Le LHC prépare son équipe à une vague de détestation massive. Soit. Mais dans le même temps, son slogan officiel est «l'union fait la force». Tandis que ses supporters répètent depuis 30 ans: "Tu ne marcheras jamais seul". A première vue, ce sont des concepts relativement éloignés...»
Historiquement, le sentiment de persécution est un vieux ressort de la psychologie sportive dont les entraîneurs usent à l'envi, pour rebondir ou élever le niveau d'intensité. Aimé Jacquet l'a érigé au rang de stratégie en 1998: dans son château de Clairefontaine, l'équipe de France a entretenu l'apparence d'une noblesse assiégée, comme une contestation populaire qui monterait aux portes du domaine, bardée de gilets jaunes et armée de vuvuzelas, pour faire couler du sang Bleu. Marie-Antoinette est déjà passée par là.
Sous Jacquet, la France fut une troupe d'élite qui se moque des critiques comme de son premier 0-0; un bataillon de millionnaires en cuissettes face à 65 millions de renégats. Le mécanisme est limpide: il consiste à unir des individus plutôt égoïstes autour d’un front commun, dans l'intimité d'une retraite obscure - les sous-sols de la Vaudoise aréna, au hasard.
Le caractère totalement privé que défend Svoboda ajoute à l’isolement, réel ou fantasmé, que recherche la méthode. Dans un deuxième temps, le message vise à être percutant, effrayant. Il est des phrases que personne n'aime croiser seul dans un couloir. «Ces maximes sont parfois extrêmement simplistes», note Romain Ducret.« Il faut des phrases que tout le monde comprenne», avance Fabian Guignard avec un léger deuxième degré.
Et d'ajouter: «Des joueurs sont réceptifs aux messages de motivation, d'autres pas. C'est propre à chacun. Des gars comme Chris DiDomenico ont besoin d'une certaine animosité pour donner le meilleur d'eux-même: plus les gens le sifflent, plus ils lui jettent des briquets sur la tronche, plus il devient bon. A l'inverse, d'autres joueurs ont besoin qu'on les dorlote.»
Toute figure de réthorique devrait au moins conserver un caractère amical. «En général, on cherche plutôt à induire une pression positive, conseille Romain Ducret. En tout cas, je n'instaurerais pas un climat de paranoïa pendant toute une saison.»
Comme Fabian Guignard, le coach mental pense que «les messages écrits n'apportent pas grand chose. On obtient de bien meilleurs résultats par la prise de conscience et l'autodétermination, lorsqu'un joueur énonce lui même des objectifs concrets, précis et personnels»; plutôt que récupérer les slogans bons marchés du prêt-à-penser.
Fabian Guignard approuve: «Les messages négatifs finissent toujours par produire une agressivité négative. Sur une saison de 70 matchs, il faut savoir renouveler le discours et développer de bonnes énergies. Un joueur ne peut pas entendre pendant huit mois que tout le monde le hait.» «Avec le temps, une pensée devient mécanique et l'effet s'amenuise», valide Romain Ducret.
Un ancien hockeyeur suisse de NHL raconte anonymement, un peu honteux, comment il a nourri ses propres délires paranoïaques: «J'ai commencé à me persuader que j'étais nul, que j'étais faible, que j'étais une m... Avant chaque match, j'entrais dans ce "raisonnement" où je devais dépasser mes limites pour survivre dans ce milieu. Au début, c'était inconscient. Puis j'ai réalisé le piège que j'avais moi-même créé... mais je n'ai pas voulu arrêter car ça fonctionnait: j'étais bien meilleur. Le problème, c'est que je me suis grillé. J'ai ingéré tellement de pensées négatives que je me suis détruit mentalement.»
C'est aussi le risque qu'a pris Stan Wawrinka, dont un tatouage fait l'apologie de l'échec: «Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Echoue encore. Mais échoue un peu moins.» Empruntée à Beckett, cette formule incantatoire a rendu Wawrinka unique et fort. Mais la magie n'opère pas toujours, ou pas si vite - le LHC est dixième.