Au départ, une bête envie de se bouger les fesses, réveillée par l'âge qui fait son œuvre et cette poche de gras qui recouvre soudain le bouton du jean. Une claque, mais, surtout, un déclic. Une fois l'abonnement de fitness greffé de force au budget, il s'agit d'en explorer les effrayantes richesses.
Pour la modique somme de [glissez un montant trop élevé], on a droit à des machines de torture, une playlist périmée, des pectoraux sous huile, une bonne odeur de pied, des premières fois ou les dernières Nike, mais, surtout, une prolifération de complexes. C'est sans doute le seul point faible que partagent le malabar qui n'a plus de nuque et Bernard en guerre lente contre son IMC.
Bien que la perfection ne soit pas de ce monde, «la salle», comme l'église, nous en font miroiter les premiers effets.
En vérité, «la salle» n'est qu'un hangar aux alouettes, tant qu'on n'a pas ouvert le mode d'emploi de notre corps. Car rien de ce qui est proposé au fitness n'est irréalisable ailleurs. Et l'être humain est un appareil aussi vivant que complexe. Que faire? Comment le faire? Quand le faire? Où le faire? Pourquoi le faire? Comme on n'a pas tous la chance d'être Jennifer Aniston, l'option personal trainer finit souvent dans le bac à inégalités sociales.
Destination alternative? Internet. Mais alors, accrochez-vous à vos survêts, parce que ça secoue. Les algorithmes étant aussi bien gainés que Tibo InShape, on prend peur avant de prendre du muscle. Une simple recherche sur Google nous informe d'entrée de jeu qu'il y en a pour tous les goûts et les âges. Jusqu'à la femme au foyer et au format PDF.
On comprend tout aussi vite que l'on vient de toquer à la porte des enfers, là où le référencement s'est trop inspiré des travaux d'Hercule. Qu'ils soient trois ou douze, les exercices sont listés comme des devoirs d'enfants, parce qu'à destination de citadins qui n'ont pas le temps de réaliser qu'ils en ont.
«10 minutes par jour sur 5 jours» ou «15 minutes sur 3 jours»? Par chance, les exercices qu'ils proposent sont sensiblement les mêmes, puisque les classiques squats, pompes, crunchs, séances de gainage et de cardio n'ont rien perdu de leur succès.
Une évidence vient alors nous frapper dans le gras du nombril: il n'y a pas une recette, mais des millions. Si le sérieux Figaro propose lui aussi son «enchaînement parfait pour un corps parfait», c'est qu'il y a du clic facile à la clé. Et c'est bien souvent sur le dos d'internautes qui ne demandaient rien de plus qu'un petit sac de conseils pour débutant.
Mais il faut ouvrir l'application Instagram pour saisir l'ampleur de la catastrophe. Les trois recherches Google ont évidemment réveillé nos données personnelles et nous voilà projetés dans une foire aux spécimens indésirables. Les vidéos clignotent, les coachs s'improvisent comédiens, le conseil se négocie à la vitesse d'un Big Mac et l'internaute se fait remonter les bretelles, pour peu qu'il cherche simplement la bonne manière d'affermir son dos en compote.
«Quoi, des haltères? Malheureux! Essaie plutôt ça.»
Les flemmards de bonne volonté représentent un marché juteux pour les influenceurs de mauvaise foi. Les gourous du triceps bien gaulé jouent à celui qui sera le plus clivant. Comme dans un marché aux poissons le dimanche matin, il s'agit de se démarquer, d'attirer l'œil et même les foudres, pour pêcher l'attention d'un maximum de quidams flasques, insécurisés et avides d’une solution sans sueur.
A ce petit jeu, un certain Victor Genty porte plutôt mal son patronyme. Parce qu'en nous balançant d'entrée de vidéo que pour «réussir sa perte de poids», il faut «manger +» et que, oui,« dit comme ça, ça peut paraître bizarre», on voudrait le croire très fort et se jeter sur un Paris-Brest.
Or, comme la recette d'une bonne Carbonara, c'est (beaucoup) plus compliqué que ça.
Victor Genty, qui s'avance en qualité «d'ingénieur en nutrition» et «coach sportif en guerre contre les régimes», est une sorte de Jean-Michel Cohen de TikTok. Mais derrière la petite moustache, l'aisance verbale et le conseil provoc' se cache surtout un business beaucoup moins limpide, baptisé Kilocash.fr. En d'autres termes, vouloir se remettre en forme, c'est risquer de participer à un «challenge réservé aux femmes», en deux clics et pour 49 euros.
Pire encore, dans l'exemple du «manger +», le Genty prend «les réseaux sociaux» en grippe, là où «on te dit partout» l'inverse, histoire de se dédouaner des dangers des diseurs de bonne technique. Une arme sournoise qu'il n'est évidemment pas le seul à brandir. Ils sont des dizaines de milliers comme lui, dans tous les pays et toutes les langues, à profiter de nos biceps aussi épais qu'une frite belge, pour gonfler leur audience en contredisant les bibles du sport.
Un autre exemple? Jean-Baptiste qui, grâce à ses «entraînements corde à sauter et exercice polyarticulaire avec un programme alimentaire», a «perdu plus de 20kg en 4 mois». Grand bien lui fasse. Mais, depuis, il saute sur Instagram, sous les yeux ébahis de ses 400 000 abonnés. Son truc, hormis l'expérience personnelle du «si j'ai pu, tu pourras», c'est de vendre des cordes à sauter et des programmes minceur. Sans oublier de dézinguer les valeurs sûres, comme la course à pied.
La routine. Voilà un terme qui a bouleversé nos habitudes. Chacun sa route, chacun sa routine. Et c'est précisément là que le chaland en perd sa boussole: si aucun conseil n'est jamais totalement faux, il est toujours suffisamment partiel pour draguer les foules.
Vous l'aurez sans doute compris, les influenceurs transpirent moins pour vous pousser à l'entraînement que pour créer de l'engagement. Un beau mâle, torse nu, vous intime d'aligner ces trois exercices pour être en forme? Il y a de bonnes chances pour qu'il retienne volontairement l'une ou l'autre information, pourtant majeure. Que ce soit le nombre de répétitions, la fréquence hebdomadaire, le poids de l’haltère ou simplement le travail qui se cache derrière des pecs en titane.
Résultat, sa publication est inondée de questions, mais la réponse manquera éternellement. Logique, puisque c’est la nourriture favorite des sociétés de Mark Zuckerberg ou de TikTok.
A mesure de notre immersion, on croise peu à peu des hurluberlu(e)s qui doivent rivaliser d'ingéniosité, de bonne humeur feinte et d'originalité exagérée. Les vidéos, parrainées ou poussées aux fesses par des algorithmes affamés, en deviennent de plus en plus loufoques, à l'image de cette dame qui mise tout sur des soquettes turquoises.
Une surenchère capable de flanquer des complexes à tous les prétendants de La France a un incroyable talent. Nos petits complexes, à nous, moins tapageurs, mais plus coriaces, ont bien compris que la plupart de ces influenceurs ne se sont pas contentés de laver le sol avec leurs soquettes pour se bâtir des corps de dieu grec.
Ce qui n'empêche pas de tomber, parfois, sur moins baraque que nous. C'est une tendance un brin plus récente, qui met à l'honneur des torses humains et des routines plus réalistes.
«TheFitChampion», pour ne citer que lui, doit tout à son chat et ses meubles Maison du Monde. Humblement bâti, mais bâti quand même, il fait son beurre (4 millions d'abonnés) avec des exercices d'une extrême et intentionnelle facilité. Le mot «Beginner» est en rouge, la boule de poils en gros plan et les abdos en deçà de la moyenne. C'est d'ailleurs le premier gars qui nous a incités à poser un genou à terre dans le séjour.
Et de quitter, dans la foulée, l'Internet de la sueur.
Pour digérer cette vertigineuse immersion, on décide de passer un coup de fil à la coach de notre salle de torture. Dites, Marie Schenker, c'est quoi ce bordel sur Internet? «Ah, oui, c'est un problème. Dans l'esprit des plus jeunes qui fréquentent les fitness, les influenceurs prennent beaucoup de place», nous balance cette grande spécialiste du trail, qui bosse aussi à NonStop Gym à Lausanne.
Pourquoi est-ce forcément problème? «Ils n'iront jamais chercher plus loin que l'information disponible sur Instagram. Et cette information est toujours incomplète.»
Notre spécialiste en est certaine, TikTok et Instagram ont profondément bouleversé l'image du sport, le faisant passer pour une vulgaire activité liée à l’apparence, au physique, à la beauté. Dans son quotidien, Marie Schenker doit donc souvent composer avec la déception prématurée de certains de ses clients pressés: «À quoi ça sert de faire du sport, si ça ne change pas mon corps?»
Le mieux reste encore d'emprunter un peu d'expérience à sa douce moitié qui avale dix kilomètres tous les matins. Ou de se résoudre à sortir 180 balles de notre banane Adidas, pour organiser un rencard de quelques heures avec Marie Schenker. Ce que l'on fera juste après une dernière question à Madame la coach: un (vrai) conseil pour les jeunes? «Le fitness n'est pas idéal comme première expérience. Le mieux, c'est de s'inscrire dans un club de foot ou de basket, voire de privilégier les cours collectifs, c'est très accessible financièrement».
Si ça ne leur offrira pas (tout de suite) le trapèze tuméfié de FitBoy_69, ils auront au moins la saine impression d'avoir un corps (encore) vivant. Contrairement à Aitana Lopez, la célèbre influenceuse fitness artificielle qui, en ne s'embarrassant même pas d'exister, questionne une cargaison de bêtises bien réelles.