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Marathon de Lausanne: c'était «comme me faire fister par un ours»

Entre deux pâtisseries, Gin tonic et parts de pizza, j'ai couru mon premier marathon. Ça n'a pas été qu'une partie de plaisir.
Entre deux pâtisseries, Gin tonic et parts de pizza, j'ai couru mon premier marathon. Ça n'a pas été qu'une partie de plaisir.montage: watson

Mon premier marathon, c'était «comme me faire fister par un ours»

On dit souvent qu'un premier marathon change une vie. Spoiler: après avoir couru celui de Lausanne ce dimanche, j'ai surtout eu l'impression d'avoir été terrassée par un bulldozer et un ours en rut.
30.10.2023, 19:0708.11.2023, 09:10
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Quand un coureur annonce à son entourage qu'il s'apprête à se lancer dans son premier marathon, il y a deux types de réaction. La première étant «Oh mon Dieu, mais t'es taré! Tu vas mourir!». Et la deuxième «Bah pour toi, c'est facile, non? Tu cours tout le temps, espèce de taré.» Dans tous les cas, nous autres, coureurs, sommes généralement perçus comme des dingues.

La course en guise de xanax

J'ai pourtant l'habitude de passer pour un cas psychiatrique désespéré. Qu'il pleuve, qu'il neige, qu'il vente, que la température avoisine les -10 degrés ou que la veille au soir se soit soldée par une mine carabinée, je cours. Tous les jours. Il n'y a aucun mérite. Juste un réflexe. Aussi naturellement que d'autres enfilent un caleçon ou leur premier café, je chausse mes baskets pour engloutir une poignée de kilomètres. Un shoot matinal d'endorphine indispensable. Une bouffée d'air avant d'entamer une journée dans un bureau coupé de la lumière du jour, avec une moquette qui pue et des collègues qui râlent.

Certains prennent du xanax. Moi, je cours.

Forcément, à force d'avaler du bitume au petit-déj' depuis des années, l'idée de me frotter à la distance reine m'avait déjà effleurée. Enfin, de loin. Un de ces «projets de vie» sans cesse remis à plus tard, comme écrire un bouquin ou se lancer dans un road trip en Argentine.

C'était sans compter un dimanche matin, fin septembre, lors d'une promenade avec mon mec dans les rues de Lausanne. Des affiches pour le marathon me narguent sur chaque trottoir. Je leur jette une moue dédaigneuse. Je ne vais quand même pas commencer par le marathon de Lausanne. Lausanne, ça vend pas du rêve. Quitte à se fracasser les genoux pendant 42,195 kilomètres, autant que ce soit sur le béton de New York ou celui de Paris.

La réponse de mon mec tombe, imparable.

«Tu attends quoi au juste, meuf? Qu'on t'offre un billet pour New York? En quoi Lausanne, c'est moins bien? Si tu t'en sens capable, fonce»
Mon mec, à mes côtés, pragmatique.

Quelques heures et clics plus tard, mon inscription est actée. Le compte à rebours lancé. Il me reste un mois. Autant dire rien du tout.

Un mois de préparation à l'arrache

Pour respecter les plans d'entraînements qui s'étalent pour la plupart sur une douzaine de semaines, c'est mort. Je mise sur ma régularité maniaque et mes kilomètres hebdomadaires pour parer mon impréparation crasse. D'autant qu'il ne s'agit pas de défoncer le record du monde. Ni même de réaliser un bon temps. Mon modeste objectif est juste de franchir la ligne d'arrivée en un seul morceau. De préférence sur mes jambes, pas un brancard.

Autour de moi, ma décision suscite un mélange d'inquiétude et de dérision. Entre ceux qui pensent que ce sera «fastoche» et ceux qui me voient déjà «crever», rares sont les proches à saisir l'ampleur du défi mental et physique qui m'attend. Il y a une heureuse exception.

«Je sais ce que ça représente pour toi. Je sais où ça t’a mené. Où ça te mène encore. Le chemin. Le bâton de pèlerin. Dans 10 jours, tu vas enfiler ta paire fluo supersonique et te lancer dans une course officielle. Avec un dossard, du sucre, des citrons dans de l’eau, des concurrents un peu nazes et probablement un temps de chiotte»
Un message de soutien bienvenu, reçu sur WhatsApp, le 18 octobre.

Les quatre semaines filent à l'allure d'un 200 mètres. Sans que je ne change grand-chose à ma routine. Juste histoire de m'assurer que je ne vais pas mourir, je m'essaie à deux semi-marathons et une sortie longue. La plus longue de ma vie. Dans tous les sens du terme. 30 kilomètres sous des trombes d’eau, dans mon Val-de-Travers natal. La motivation et le moral en dessous des chaussettes (trempées), mais un chrono raisonnable. 12,195 kilomètres supplémentaires ne devraient pas m'achever. Non?

Sur le plan alimentaire, même combat. Plutôt que de m'enfiler riz, brocoli vapeur et blancs de poulet en masse pendant un mois, je table sur mes «bonnes» habitudes. Des habitudes ponctuées chaque week-end de gueuletons généreux, à base de viande, vin rouge, brunchs décadents et kilos de pâtes roudoudou. Pas vraiment le régime d'une athlète de compét'.

Je pousse le bouchon et l'expérience jusqu'au vendredi soir, avant-veille de la course. Manque de bol, le souper de boîte annuel de la rédaction a été agendé à moins de 48 heures de l'échéance fatidique. Le ginto coule à flots, les plats s'enchaînent, j'engloutis avec une gourmandise enfantine les babas au rhum des collègues, avant de conclure sur une courte nuit de quatre heures à peine. Mon coach sportif intérieur veut m’étrangler.

La veille de ma course se conclut par une platée généreuse de paccheri à la saucisse de fenouil, amoureusement concoctées par mon chéri. Sans oublier l'indispensable verre de rouge qui se doit d'accompagner toute pasta qui se respecte. Ainsi qu’une seconde nuit courte, compliquée par le mix d'angoisse et d'excitation.

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Samedi soir, veille de course, des pâtes de vainqueur.image: watson

Oeufs et tripes brouillés

7 heures et quart, dimanche matin. La météo est de mon côté. Cheveux et estomac en pagaille, je déroge à mon habitude de course à jeun, pour avaler fébrilement mes oeufs brouillés.

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L'assiette d'une future championne, c'est sûr.image watson

Mon dossard soigneusement épinglé, direction le point de rendez-vous, avec plus d'une bonne heure d'avance. Bien assez pour sentir le stress monter, aller faire pipi, sonder la carrure des autres participants, retourner faire pipi, s'essayer à quelques échauffements, céder à un troisième pipi.

Pendant ce temps, Chrystelle, Pierre, Martin, Marion, Jose ou Ding s'étirent ou trottinent gaiement dans le parc. Un véritable défilé de mollets scotchés, baskets fluo, bas de contention, gilets de trail et de fils qui dépassent de partout. Beaucoup de coureurs sont arrimés comme s'ils partaient affronter l'Everest. Armée de ma seule casquette et de mes baskets, je me sens nue.

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A quelques minutes du départ, le stress et les mollets sont palpables.image: watson

Au terme de trois-quarts d'heure d'observation fascinée de Kevin qui aligne les pompes dans la pelouse humide, je rejoins mon bloc de départ. Les boyaux tordus par le trac, mais avec cette hâte de mordre, enfin, dans les 42,195 kilomètres.

A 10 heures 18, c'est parti. Je m'élance.

Premiers mètres. Mes articulations se déroulent, les crampes d'estomac s'évaporent, je renoue avec cette sensation si familière. Un épisode de podcast consacré à François Mitterand dans les oreilles, je tâche de définir des points de repère. D’autres coureurs ni trop rapides, ni trop lents pour calquer ma cadence. Ben tiens, pourquoi pas ces deux copains, là, tout de noirs vêtus, qui courent côte à côte. Une belle foulée, ample, légère, rapide sans être pressée.

Il y a aussi ce type en orange fluo, Jordan de son dossard, qui court à la même hauteur. Je tiens mes hommes. Je ne les lâcherai pas. Au fur et à mesure que nous avalons les kilomètres, une sorte d'accord tacite s'établit entre nous. Nous n'échangerons pas un mot, mais nous sommes alliés. Unis dans cette galère. Jusqu'au bout, nous l'espérons.

Les villages s'enchaînent, sur fond de décor de carte postale, vignes, lac et montagnes. Premier ravitaillement, premier gobelet d'Isostar, premier sucre de raisin glissé sur la langue pour maintenir le taux de glycémie et éviter le terrifiant «mur» des 30 kilomètres. La légende noire des coureurs de fond.

Puis, les premiers abandons. Au 18e kilomètre, nous ne sommes pas à mi-parcours que le t-shirt fluo de Jordan finit par disparaître dans mon dos. C'est le jeu. Je m'accroche obstinément à mes deux potes en noir, toujours devant. Ils me se sèmeront à Vevey, au cours de la boucle qui amorce le retour vers Lausanne. Du public montent les cris d'encouragements de parfaits inconnus, les «Allez Marine! Continue!», et les effluves sucrés des gaufres vendues au kiosque du port. Pas de quoi me perturber. Mon rythme est solide.

Expérience de philosophie de mon cul

Au bout de deux heures de course, ce ne sont ni mes cuisses ni mes fessiers qui présentent les premiers signes d'affaiblissement: mes AirPods. François Mitterrand tombe en rade. Mes oreilles sont vides. C'est le début de l'épreuve, la vraie: celle du mental.

Me voilà seule avec moi-même.

Après avoir enchaîné les témoignages de marathoniens pendant un mois, j'étais à peu près convaincue que ces longues heures de course allaient être l'occasion d'une réflexion profonde sur l'existence. Un moment d'introspection quasi philosophique sur la vie, la mort, le néant. Mon cul. Tout ce à quoi je pense, en ce moment, ce sont à mes mollets qui brûlent et à Lausanne. Lausanne qui encore, encore beaucoup, beaucoup, beaucoup trop loin.

Sans me heurter pour autant au fameux «mur», je sens que je vais puiser des ressources dans des coins insoupçonnés de mon anatomie. Me voilà sur pilotage automatique, mon esprit depuis longtemps dans une autre dimension. Je ne suis qu'un morceau de chair qui court, avec une phrase qui tourne en boucle dans ce qui lui reste de cerveau. Ne pas lâcher, ne pas lâcher, ne pas lâcher.

Cully, peu avant de franchir le 36e kilomètre.
Cully, peu avant de franchir le 36e kilomètre.alphaphoto

Un panneau m'informe poliment que je viens de franchir le 36e kilomètre. Quoi, encore 6 bornes? C’est une blague? Autour de moi, les types musclés et athlétiques commencent à tomber comme des mouches. L'un s'arrête pour quelques étirements, un autre s'effondre carrément sur le trottoir. Beaucoup ont cédé à la tentation de la marche. Je finis même par rattraper mes deux copains des débuts. Je les dépasse péniblement. Finie l'allure désinvolte des premiers kilomètres. Désormais, ils en chient. On en chie. Tous autant que nous sommes.

Quelle idée de s'imposer ça, quand même. On est vraiment qu'une belle bande de cinglés.

Les deux derniers kilomètres relèvent de la torture. Je cours encore parce que c'est le moyen le plus rapide de mettre fin à ce calvaire. Au milieu des brumes de mon cerveau, la pensée unique de mon amoureux qui m'attend sur la ligne d'arrivée. Ne pas lâcher, ne pas lâcher, ne pas lâcher. Le mantra se répète. Les yeux brûlent, les mâchoires sont serrées, les muscles ne ressemblent plus qu’à un ramassis de douleur. Je n'ai jamais rien vécu de tel.

500 mètres avant la fin, juste derrière moi, un mec pousse un hurlement. Son tendon l'a lâché. Il tombe.

L'heure bénie des vermicelles

Enfin, les 195 derniers mètres. L'arche au bout de l'allée. Les neurones et les mollets sont au bord de l'implosion, mais, Dieu merci, j'arrive à ne pas m'encoubler. Pour ce qui est de l'ultime accélération, on repassera. Je ne cours plus, je flotte. Le cap est franchi, je ne suis plus qu'un marshmallow de chair mais, bordel de cul de merde, je l'ai fait.

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Selon les témoins, j'avais l'air d’avoir vu la Vierge sur la ligne d'arrivée.

L'être aimé est là, de l'autre côté de la barrière, à me tendre les bras. Je m'y jette en larmes, effondrée, la respiration hoquetante. C'est mélodramatique, rien à foutre, c'est beau, je l'aime, je suis fière, je délire.

Les premières minutes après l'arrivée sont bizarres. J’erre, hagarde, au milieu d'autres arrivants déphasés, ma médaille moche autour du coup, un bouillon de légumes et une banane dans une main, celle de mon amoureux dans l'autre, un vermicelle aux marrons en guise de trophée, en équilibre par là-dessus. Le bide et les neurones dans tous les sens, l'impression d'avoir été à la fois terrassée par un bulldozer, passée par une centrifugeuse et fistée par un ours en colère. J'ai peur de m'asseoir et de ne plus jamais me relever.

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Rassurez-vous, j'ai fini par me relever.watson
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Le premier shot bienvenu de glucides.watson

Il faudra encore attendre un Cosmopolitan et une pizza au salami piquant (chers médecins du sport, si vous me lisez, ne m'en voulez pas) pour remettre de l'ordre dans tout ce fatras physique et émotionnel.

Au terme de mon premier marathon, j'ai enfin compris ce qu'on voulait dire par «changer une vie». Alors certes, je ne suis pas devenue Nobel de la paix en l'espace de 42,195 kilomètres. Mais j'ai offert à mon corps et à mon esprit quelque chose de complètement inédit. Un véritable tsunami. Un truc que je n'avais jamais vécu.

C'était atroce. Vivement le prochain.

Etes-vous capable de suivre la star du marathon? On vous a mis au défi
Video: watson
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