Paris 2024 n'a pas rassasié les Français. Ils ont déposé ce mardi une candidature auprès du Comité international olympique en vue de l'organisation des Jeux d'hiver de 2030. Un événement sur lequel se penche également la Confédération, puisque Swiss Olympic a fait part de sa volonté de postuler.
A première vue, la candidature tricolore a de nombreuses similitudes avec le projet suisse. La France se positionne dans l'air du temps, elle veut des Jeux «sobres», comme ici. Toutefois, quelques éléments diffèrent entre les deux pays. Décortiquons ces deux projets menés de part et d'autres des Alpes, avec les premiers éléments qui nous sont donnés.
Le dossier français n'implique pas une ville, mais bien les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et Auvergne-Rhône-Alpes, soit l'ensemble du massif alpin français, de Nice à la Haute-Savoie. Il y a là comme une ressemblance avec le projet helvétique, car la Suisse compte organiser les Jeux à l'échelle nationale, dans les quatre régions linguistiques du pays.
Côté superficie, le territoire des deux régions françaises est plus de deux fois supérieur à la Suisse, mais si l'on se concentre uniquement sur l'arc alpin, là où se dérouleraient les Jeux en cas d'attribution à la France, nous sommes sur des surfaces plus ou moins équivalentes. Bien loin donc d'un événement organisé dans une même ville et ses montagnes alentours, dans les deux cas.
Le principe de décentralisation est appliqué en France pour les mêmes raisons qu'en Suisse: la maîtrise des coûts et l'utilisation d'infrastructures existantes, dans une démarche écologique et durable.
Le projet français est pour l'heure estimé à 1,5 milliard d'euros, un montant très légèrement inférieur à la première évaluation helvétique, puisqu'une somme identique est annoncée, mais en francs. Près de la moitié du budget suisse pourrait provenir de la contribution financière du CIO, le reste serait apporté par les partenariats privés et la billetterie.
La Confédération et les cantons seraient toutefois sollicités pour une participation financière de 50 millions de francs. Ce montant serait utilisé dans les dispositifs de sécurité, et pour des projets liés à l'héritage olympique.
La France indique vouloir utiliser à 95% des sites existants, notamment certains construits pour les JO d'Albertville. Elle devrait en théorie construire une patinoire à Nice, sans que l'on sache véritablement ce qui est prévu pour l'anneau de vitesse - une infrastructure toujours problématique dans les pays où le patinage n'a rien d'un sport national. Il y aura quatre grands pôles: celui de la région niçoise, le Briançonnais, la Savoie et la Haute-Savoie.
En Suisse aussi, l'événement serait dispersé sur plusieurs sites déjà existants, et ce, aux quatre coins du pays. Swiss Olympic pourrait également délocaliser des épreuves à l'étranger, pour ne pas avoir à construire un anneau de vitesse par exemple.
Ce ne serait pas une première. Rappelons que lorsque Lausanne avait organisé les Jeux olympiques de la jeunesse en 2020, le comité d'organisation n'avait pas hésité à transférer certaines disciplines nordiques dans le Jura français, en l'occurence la station des Rousses et son site des Tuffes.
La France sait organiser - elle a régulièrement fait ses preuves depuis l'attribution des Jeux de 2024 à la ville de Paris. Rien que cette année, elle a accueilli deux grands événements sportifs internationaux: la Coupe du monde de rugby et les Championnats du monde de ski alpin.
Il en va de même pour la Suisse, qui communique d'ailleurs à ce sujet puisque d'ici 2027, seront organisés des Championnats du monde dans au moins 9, voire 10, des 14 sports olympiques pratiqués l'hiver.
Le fait que la France soit déjà en charge de Paris 2024 peut être perçu de deux façons. Cela pourrait être un point négatif si le CIO estime que la France doit davantage patienter pour l'organisation d'un nouvel événement, mais étant donné qu'il s'agit cette fois d'une olympiade d'hiver, cela reste peu probable, et six années devraient suffire. La France pourrait surtout surfer sur la dynamique de Paris 2024 et son expérience, pour proposer une candidature qui frôle la perfection, et ainsi être retenue quelques jours avant le début des JO de Paris.
La Suisse, elle, n'a plus organisé les Jeux olympiques depuis 1948, et c'est un avantage indéniable. A titre de comparaison, la dernière fois que la France a accueilli les Jeux d'hiver, c'était en 1992 à Albertville. La Suisse possède un autre atout de taille: sa proximité avec les acteurs majeurs du sport mondial, à commencer par le CIO, installé à Lausanne depuis 1915. Pour ce qui est du lobbying, la France peut néanmoins compter sur David Lappartient, président de l'Union cycliste internationale, qui a pris il y a peu la tête du Comité national olympique et sportif français.
Dans les deux pays, règne la culture des sports d'hiver, et si ce n'est pas toujours vrai pour l'ensemble du territoire français, le pays reste un acteur majeur des sports blancs. En France comme en Suisse, les projets sont à l'opposé de ceux de Sotchi, Pyeongchang ou encore Tokyo, que nous avons connu lors des dernières olympiades. Au cas où l'un de ces deux dossiers l'emporterait, les épreuves se disputeraient dans des lieux connus des épreuves de Coupe du monde, qui ont une véritable histoire avec le sport et la montagne.
La candidature française est largement portée par les politiciens, à commencer par Laurent Wauquiez, président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes et Renaud Muselier, président de la Région Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Les Français ne sont pas consultés, le projet est en place, il ira au bout, du moins jusqu'à ce que le CIO le permette.
En Suisse, pour ne pas enterrer une nouvelle fois un tel dossier, comme ce fut le cas par le passé lors de différentes «votations», il n'y aura pas de référendum national. Certains cantons concernés pourraient néanmoins s'exprimer par le biais des urnes.
Le Parlement du sport doit se prononcer sur la poursuite ou non du projet le 24 novembre. Le CIO devra ensuite accepter la candidature, puis il y aura de longs échanges entre Swiss Olympic et le Comité international olympique pour peaufiner le dossier.
Martin Fourcade, quintuple médaillé d'or olympique et membre de la commission des athlètes du CIO, a apporté son «soutien engagé» à la candidature française. Tout comme Marie Bochet, octuple championne paralympique. Pour l'heure, les soutiens restent néanmoins limités, ce qui surprend pour un pays qui doit ses Jeux de Paris 2024 à ses athlètes, largement impliqués dans le projet, et ce, dès le départ. En Suisse, la situation est identique, les sportifs sont discrets à ce sujet, il faut dire que la candidature n'est pas encore officialisée.
En France, un récent sondage IFOP indique que 73% des habitants des Hautes-Alpes et des Alpes-Maritimes, deux départements concernés par la tenue de l'événement, sont favorables «à l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques d’hiver de 2030 respectueux de l’environnement des Alpes françaises et compatibles avec les impératifs climatiques».
Dans son rapport dévoilé aux médias, Swiss Olympic présente de son côté un sondage de l’institut gfs.bern dans lequel 67% des personnes interrogées se déclarent favorables à des Jeux olympiques et paralympiques en Suisse. Début octobre, une enquête Tamedia révélait que 55% des Suisses étaient favorables «à l'idée d'organiser en 2030 des Jeux olympiques sur l'ensemble du territoire national en utilisant les infrastructures existantes».
La France vise uniquement les Jeux de 2030, Salt Lake City faisant figure d'épouvantail pour 2034. La Suisse, elle, est plus ouverte, se positionnant en priorité pour 2030, mais ne fermant pas la porte à 2034 voire 2038.
Il apparaît que la France est un sérieux concurrent dans la course aux Jeux de 2030, du fait de sa candidature, proche de celle de la Suisse, à bien des égards. La dynamique française, lancée avec Paris 2024, est à craindre, tout comme les réticences qui, pour l'instant, semblent plus importantes en Suisse qu'en France. Nos voisins ont pris un premier ascendant, puisque leur candidature est déjà soumise, et que la Suisse doit encore attendre l'autorisation du Parlement du sport, qui n'est pas garantie.
N'oublions pas qu'il ne s'agit pas d'un match à deux, mais à trois voire à quatre, puisque la Suède se montre elle aussi intéressée pour 2030, avec un dossier bien ficelé, et que les Etats-Unis se disent près à avancer leur projet de quatre ans si nécessaire.