Tromsø est la plus grande ville au nord du cercle polaire arctique. Et pourtant, ses habitants n'ont pas froid aux yeux. En tout cas pas les dirigeants de son club de football.
L'actuel 12e du championnat de Norvège vient de dévoiler un troisième maillot inédit. Il arbore un QR code sur l'une de ses manches. Un vrai, qui marche!
Tromsø IL launches the first kit in history with a QR code - focusing on sportswashing and human rights in Qatar. pic.twitter.com/mFb2YCJQ3r
— TIL (@TromsoIL) December 6, 2021
Outre la prouesse technologique, c'est surtout la page web vers laquelle ce code mène qui interpelle. Les curieux qui le scannent ne tombent pas sur un site d'un quelconque sponsor. Bien loin de là. Ils atterrissent sur le site du club, mais dans une section particulière. Sur leur écran, les internautes voient défiler des gros messages blancs sur fond rouge tels que «Quelle est la réalité sur place au Qatar?». En cliquant dessus, ils ont accès à des vidéos et rapports d'Amnesty international dénonçant les conditions de travail des ouvriers sur les chantiers du Mondial 2022.
En s'associant à la célèbre ONG, Tromsø souhaite sensibiliser sur le sujet et pointer du doigt le sportswashing du Qatar («blanchiment par le sport», en français), qui consiste à instrumentaliser le sport pour se donner une bonne image.
Et si un club suisse décidait, lui aussi, de créer un maillot avec un QR code pour dénoncer la situation qatarie, en aurait-il le droit? «Non, je ne pense pas», s'avance prudemment Philippe Guggisberg, chef de la communication de la Swiss Football League (SFL). Pour argumenter sa réponse, il invoque le règlement de la ligue sur l'équipement des joueurs. Et plus précisément son article 8, qui stipule dès la première ligne que «la publicité ne doit pas avoir un caractère politique, confessionnel, idéologique ou discriminant».
«Or, les rapports d'Amnesty International sur le Qatar sont à mon avis d'ordre politique», estime Philippe Guggisberg. Peu de chance donc de voir un QR code sur la tunique d'un club suisse prochainement. Même si le communicant de la ligue précise que «la demande devrait être examinée au cas par cas». Cette zone encore très grise témoigne de la complexité d'un tel cas, que les ligues et fédérations n'avaient pas anticipé.
Elles n'ont pas non plus mis à jour leur règlement en prenant en compte cette évolution technologique. Celui de notre ligue nationale comporte bel et bien des indications très précises sur le nombre et la taille des publicités sur les équipements. Mais elles se réfèrent uniquement à des encarts standards. Or, la spécificité d'un QR code est justement l'opportunité de faire de la pub sans prendre de place physique.
La SFL a déjà dû retendre quelques bretelles à des maillots rebelles. En mars 2012, elle avait infligé deux amendes coup sur coup au FC Sion pour des messages politiques. En pleine campagne de votation sur la loi sur les résidences secondaires (Lex Weber), le chandail sédunois avait arboré contre Servette un partial «Emplois du Tourisme – Du Fair Play SVP», en lieu et place du sponsor principal. Et ce malgré le refus de la ligue. Résultat? 20 000 francs d'amende.
Pour narguer l'instance souveraine du foot suisse ou pour prouver qu'ils ont la tête dure, comme le veut l'adage, les Valaisans ont remis ça quelques jours plus tard. Cette fois sans même demander d'autorisation. Face à Zurich, les pensionnaires de Tourbillon exhibaient sur leur torse un non moins politiquement tendancieux «Solidarität der Kantone» (Solidarité entre les cantons). Bim! Une nouvelle prune, cette fois fixée à 25 000 francs à cause de la récidive.
La Swiss Football League a retroussé les manches une dernière fois en juillet 2013, avec cette fois-ci le FC Zurich dans le viseur. Peu avant la votation municipale pour un nouveau stade de football dans la cité de Zwingli, lors d'un match à domicile contre Thoune, un très explicite «JA zum Stadion!» figurait en grand sur le maillot du FCZ.
Comme le FC Sion, les Zurichois ont dû passer à la caisse pour 20 000 francs. Même si leur cas est différent. Ici, ce n'est pas le message politique qui a été sanctionné mais le fait que le club n'a pas fait valider au préalable sa démarche par la SFL.
«Dans ce cas, nous n'aurions pas forcément interdit ce message, même s'il est politique», explique Philippe Guggisberg. Pourquoi?
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Et celui sur la tunique zurichoise l'était réellement: jouer ou aller voir un match de football dans l'austère Letzigrund et sa piste d'athlétisme ne vend pas du rêve. Mais quand même plus que dans un pays où des milliers d'ouvriers ont déjà perdu la vie sur des chantiers.