J'ai dû me frotter les yeux pour être sûr d'avoir bien lu le titre d'un article du média BZ Basel, ce lundi matin:
Quoi?! Henri Laaksonen retraité? Moi qui suis de près le tennis, et plus particulièrement le tennis suisse, j'étais passé complètement à côté de cette info.
Par crainte d'avoir raté celle-ci à cause d'une revue de presse que je n'aurais pas faite assez assidûment, j'ai tapé sur Google «Laaksonen retraite» et j'ai été soulagé de voir qu'aucune référence n'apparaissait. Je suis aussi allé scruter le compte Instagram du tennisman suisse, réseau social sur lequel les athlètes annoncent généralement leur fin de carrière. Résultat? Rien. Sa dernière publication remonte à septembre 2022. Une photo de l'équipe de Suisse de Coupe Davis après sa victoire en Equateur.
En fait, personne ne savait que Laaksonen avait définitivement rangé sa raquette. Même le site web de l'ATP le considère toujours actif, avec un actuel 1106e rang mondial. BZ Basel explique que le Schaffhousois de 33 ans, embêté par des blessures ces deux dernières années, «n'a informé, fin 2024, que son entourage le plus proche de la fin de sa carrière».
Surtout en Suisse, un pays que ce sport a si souvent fait vibrer, notamment ces vingt-cinq dernières années avec les exploits des légendes Roger Federer et Stan Wawrinka. Mais c'est peut-être justement à cause de ces deux stars que le départ à la retraite de Laaksonen est passé inaperçu. Comme l'a été sa carrière pour le grand public, d'ailleurs.
A force d'enquiller les titres du Grand Chelem, Roger Federer (20 sacres) et Stan Wawrinka (3) ont transformé l'extraordinaire en banal aux yeux des fans suisses. De quoi presque faire passer pour un plouc un tennisman qui a été top 100 – tous les joueurs vous diront combien il est difficile de rentrer dans ce cercle – mais qui n'a gagné aucun tournoi ATP. C'est le cas d'Henri Laaksonen.
Hormis un fanatisme pour le sport en général bien plus modéré que dans d'autres pays, cette habituation du public suisse à l'exceptionnel, pour ne pas dire au paranormal, est la seule explication que je vois à l'invisibilisation de la retraite du Schaffhousois. Car les Helvètes ne sont pas, par nature, moins reconnaissants que les autres peuples.
Partout ailleurs, la nouvelle aurait été annoncée publiquement et on aurait pu rendre hommage au tout frais retraité, lors d'une cérémonie pendant un tournoi ou un week-end de Coupe Davis. Henri Laaksonen méritait bien ça.
C'est certain, le Schaffhousois – né d'un père Suisse, l'ancien tennisman pro Sandro Della Piana, et d'une mère Finlandaise – n'était pas le joueur le plus charismatique du circuit. Et c'est un euphémisme. Pour l'avoir vu jouer quelques fois «en vrai», j'étais surpris de l'absence d'émotions sur son visage et dans son langage corporel. Ni joie, ni colère, ni tristesse. Jamais un poing serré rageur ni, au contraire, un geste de frustration.
On avait l'impression de voir un tennisman apathique, peu importe la situation. Le comble quand on sait que son idole de jeunesse était le volcanique Russe Marat Safin, qui détient le record du nombre de raquettes cassées (1055 en 689 matchs)... Et en dehors des courts, Laaksonen se faisait très discret.
Depuis sa première entrée dans le top 100 en juillet 2017 jusqu'à début 2023, il a toujours fait partie des 150 meilleurs joueurs du monde, avec quelques incursions dans les 100 premiers. Son meilleur ranking? Une 84e place mondiale en 2022. En Grand Chelem, il a atteint le 3e tour à Roland-Garros et à l'US Open.
A Paris, en 2021, le Suisse a même battu l'Espagnol Roberto Bautista-Agut, alors 11e mondial. Une perf' qui ne devait rien au hasard: doté d'un gabarit idéal pour le tennis (185 cm pour 78 kg), le Suisse était beau à voir jouer. Technique très propre, sans point faible: bon service, coup droit efficace et revers à deux mains qui tenait très bien la route. On peut se demander pourquoi il n'a pas réussi à aller plus haut avec un tel potentiel.
C'est surtout grâce à la Coupe Davis qu'Henri Laaksonen s'est (presque) fait un nom. Durant toute sa carrière pro (2009 à 2024), il a été un membre très régulier de l'équipe de Suisse (31 matchs joués), et même son leader après que Federer et Wawrinka ont déserté la compétition après le sacre de 2014.
Et le Schaffhousois – qui est même devenu numéro 1 suisse en 2022, devant les deux superstars – n'y a de loin pas fait que de la figuration. Il a par exemple accroché le Tchèque Tomas Berdych (alors 6e mondial) en 2013 et l'Américain John Isner en 2017 (défaites en quatre sets à chaque fois). Et, surtout, il a remporté ses deux matchs contre les Belges Darcis et Bemelmans en 2015. Face à ce dernier, Laaksonen était pourtant mené deux sets à zéro.
Alors c'est vrai, il y a eu ce conflit avec Stan Wawrinka lors d'une rencontre contre l'Equateur en 2013, qui a abouti au renvoi de Laaksonen. Le Vaudois et le capitaine, Severin Lüthi, lui reprochant un manque d'implication à l'entraînement. Mais après ça, le natif de Lohja, en Finlande, s'est toujours montré loyal envers l'équipe de Suisse, qu'il a représentée aux quatre coins du monde, de l'Ouzbékistan au Pérou.
Et ce même si son départ en catimini lui convient certainement, lui qui n'a jamais cherché la lumière des projecteurs une fois hors du court.
Son dernier match restera donc un premier tour perdu en qualifications du tournoi Challenger de Bonn, en août 2024. Loin, très loin du court Suzanne-Lenglen de Roland-Garros, où il avait défié Novak Djokovic en 2019 devant des milliers de spectateurs.
Désormais, Henri Laaksonen veut faire briller le jeune Bâlois Mika Brunold (20 ans, actuel 304e mondial) grâce à ses conseils. «J'ai tout donné à ce sport pendant des années et j'ai ressenti le besoin de partager cette expérience», a confié le Schaffhousois à BZ Basel. Réussir à mener son protégé dans le top 100 serait certainement, pour l'ex-pro, la plus belle des reconnaissances.