Maren Lundby a vécu une carrière singulière, balisée par de très grands succès mais aussi des blessures profondes. La Norvégienne de 28 ans a pourtant pris sa retraite d'une façon tout à fait banale. Comme la plupart des sportifs qui prennent congé de leur ancienne vie, elle a organisé une conférence de presse dans son pays, a versé quelques larmes derrière un micro et tenu des propos qui auraient pu être ceux de n'importe quel athlète au crépuscule de sa carrière:
Une dépêche d'agence laconique (882 signes) a été diffusée dans les instants qui ont suivi, reprise par la plupart des sites d'informations sportives. Et c'est tout. Rien, donc, ne témoignait des épreuves traversées par cette grande dame du sport, et c'est un peu injuste. Maren Lundby avait écrit un livre confession retraçant son parcours («Rencontre avec Maren») en 2022, elle méritait au moins un article pour que le public puisse lui dire au revoir en sachant le rôle qu'elle a tenu pour toute une génération d'athlètes prisonniers des normes et méprisées par le règlement.
Cet article, d'ailleurs, aurait pu être écrit le 7 octobre 2021. Ce jour-là, la championne olympique et triple championne du monde de saut à ski a rendez-vous dans les studios de la chaîne nationale NRK. Elle doit y donner une interview qui fait craindre à ses fans la fin de l'histoire. Une inquiétude qui augmente lorsque la sportive de 27 ans apparaît à l'écran, le visage arrondi et gonflé. Elle a changé.
Maren Lundby a des choses à dire, mais ce n'est pas facile pour une sportive de haut niveau (ça marche aussi pour les garçons), habituée à taire ses fragilités pour mieux renvoyer l'image que l'on attend d'elle et ne pas donner un ascendant psychologique à ses adversaires. La Norvégienne pourtant parle. Les yeux bleus baignés de larmes, elle explique avec une sincérité troublante qu'elle est devenue trop grosse pour sauter.
Comment en est-elle arrivée là? Quelles souffrances cette star de son sport a-t-elle traversées pour que son parcours, jusque-là rempli de son succès, l'amène à ces confessions publiques?
La trajectoire de Maren Lundby prend un méchant virage sur la route qui la mène à Oberstdorf en 2021. C'est dans la station allemande que se tient la première compétition féminine sur un grand tremplin et la Norvégienne s'est beaucoup battue pour l'égalité hommes-femmes dans sa discipline. Alors elle veut en être, même si elle ne va pas très bien.
Si Maren Lundby doit «sécher», devenir plus légère, ce n'est pas par coquetterie. Le saut à ski est une discipline très exigeante physiquement, dans laquelle le moindre kilo supplémentaire est immédiatement sanctionné au classement. «La graisse ne vole pas», aiment à répéter certains.
Historiquement, plusieurs athlètes ont développé des troubles alimentaires dans l'espoir d'être aussi légers que possible pour gagner quelques mètres de plus dans les airs.
Se poser loin, c'était le rêve de Maren Lundby en 2021. Elle l'a payé très cher. Car le régime extrême qu'elle s'est imposé a ralenti le rythme avec lequel son corps brûle les calories, si bien qu'elle a pris sept kilos une fois de retour à Lillehammer, où elle vit et s'entraîne, et sept de plus à la fin de l'été suivant.
C'est dans ce contexte qu'elle se présente à la télévision norvégienne en larmes pour annoncer qu'elle ne va pas bien et qu'elle renonce à participer aux Jeux olympiques de Pékin. Une décision courageuse, que Maren Lundby était nerveuse d'annoncer. Elle craignait de paraître faible ou peu engagée dans sa carrière, surtout qu'elle avait de grandes chances de faire briller son pays en Chine et qu'elle aurait très bien pu s'imposer un nouveau régime hyper restrictif.
Sa prise de parole, la façon dont elle a choisi d'affronter ses problèmes de santé plutôt que de les repousser, ne l'a pas affaiblie comme elle le redoutait. C'est même tout le contraire: Maren Lundby en est ressortie grandie. «Elle a ouvert un large débat sur la santé mentale et le bien-être physique des sportifs en Norvège, rappelait L'Equipe l'an dernier. Dans son sillage, plusieurs fondeuses de l’équipe nationale ont avoué des troubles du comportement alimentaire. Elle est redevenue une porte-parole, au point d’être désignée sportive de l’année devant la star du foot Erling Haaland.»
Quand un journaliste du New York Times lui demandera ce qu'elle a ressenti en étant ainsi récompensée par le public norvégien, Maren Lundby évoquera «un grand honneur» et osera même gravir en pensée les premières marches qui mènent au sommet d'un tremplin.
Lundby reviendra et réussira même à décrocher une 2e place aux Mondiaux 2023 sur le grand tremplin à Planica, mais ce ne sera jamais plus comme avant. «J'ai l'impression que je ne peux pas concourir au niveau que je souhaite», dira-t-elle quelques mois plus tard au moment de partir, et de laisser derrière elle le souvenir d'une femme qui aura été grande dans ses combats.