Wengen a été le théâtre d'un duel qui s'est joué à 58 et 59 centièmes, sur des manches qui ont frôlé et même dépassé les deux minutes. En résumé, un souffle a séparé les deux dominateurs des disciplines de vitesse.
Ces deux gladiateurs ont tenu bon, alors que d'autres ont dû s'avouer vaincus. Aleksander Aamodt Kilde, l'autre monstre de la discipline, a fini au tapis et déclaré forfait pour le reste de la saison. A Bormio, Marco Schwarz avait déjà rendu les armes après avoir laissé un genou sur la «patinoire» italienne.
La Stelvio et le Lauberhorn ont fait des dégâts. Pour ceux qui restent en vie, ils se font danser sur le ventre. Vincent Kriechmayr ou encore Dominik Paris (relégué à 1 seconde 92 sur le Lauberhorn) peuvent venir s'immiscer dans le match franco-suisse, mais au vu des dernières descentes, les deux stars de la vitesse sont de plus en plus régulières et impressionnantes.
Et la question demeure: comment Cyprien Sarrazin s'est mué en adversaire le plus coriace du leader de la Coupe du monde? Le skieur de Dévoluy ne vient pas de nulle part: il avait essoré la concurrence lors d'un parallèle en Coupe du monde, lors de la saison 2016/2017, avant de monter sur le podium sur la Gran Risa d'Alta Badia – en 2019.
Désormais âgé de 29 ans et un bagage d'expérience nettement plus fourni, l'ancien spécialiste de géant a souvent été victime de blessures. La tête brûlée «qui se soigne», comme il le confessait à Ski Chrono, le skieur français a encore dû composer avec des soucis dorsaux l'an dernier, le privant de Mondiaux à la maison. Pour l'exercice 2023/2024, le voilà retapé.
Sarrazin avouait en octobre 2023 être un gars «qui vivait à 100%». Le gamin de Gap, fils d'un moniteur de ski et de VTT, est un type qui affectionne la vitesse. Mais la nouvelle coqueluche du ski français fait peur à ses entraîneurs. A présent, il se dit plus posé grâce à «un truc qui passe par la sophrologie» et tente de se détacher du syndrome de l'imposteur qui lui martyrise le cerveau - il s'autorise à gagner, comme il l'expliquait au Tages Anzeiger.
Mais Sarrazin n'est pas totalement vacciné à la prise de risque, en se faisant une jolie frayeur sur les pentes autrichiennes lors du deuxième entraînement. Même constat pour notre idole nationale Marco Odermatt qui, l'an passé, avait frisé la correctionnelle à la sortie du Steilhang.
Deux skieurs qui jouent cartes sur table, qui dégagent une sensation de confiance absolue, mais également une prise de risque parfois inédite dans le ski alpin. Odermatt a pour mantra: «Life is game, play it», écrivait-il sur son compte Instagram. Un jeu dangereux que Sarrazin affectionne aussi, lui qui était à la limite d'enfourcher lors de la (vraie) descente du Lauberhorn.
Les deux descendeurs, dopés par une confiance inébranlable, sont des équilibristes capables de raccourcir leur virage, en tendant les lignes et réussissant, grâce à leur technique, à s'accrocher à la trajectoire idéale. Les deux skieurs possèdent aussi des qualités physiques similaires, mesurant 185 centimètres. Ils ne sont pas les plus puissants, mais leur ski est empreint de souplesse et d'explosivité comparé à un Dominik Paris.
Les autres ne peuvent qu'admirer, soupirer, grogner; tenir la cadence des Pogacar et Vingegaard du ski alpin, il est désormais difficile de rester dans le sillage. Vincent Kriechmayr, le leader de la Wunderteam autrichienne, avouait son dégoût devant les micros après avoir encaissé deux secondes dans la musette samedi passé.
Or le talent du Suisse et du Français peut être réduit en poussières sur cette intraitable Streif. Une descente qui parfois se résume à de la survie et où la moindre erreur se paie cash. Les deux dominateurs, séparés par 26 points au classement de la discipline, sont d'ailleurs, l’an passé, ressortis meurtris des courses du Hahnenkamm – chute de Sarrazin et légère blessure pour Odermatt.
Le premier duel a vu le Français en sortir vainqueur. Mais samedi, il sera à son paroxysme devant un public qui fera rugir le village de Kitzbühel. Le temple des frissons du ski alpin arrive à point nommé pour muscler un peu plus le duel du casse-cou apaisé du ski français face au talent pur de Swiss Ski. La Mausefalle, le Steilhang toujours spectaculaire et, le juge de paix, l'Hausbergkante: les pentes autrichiennes offrent le terrain de jeu parfait pour les deux cadors qui vont faire vibrer les foules et fadas de ski alpin.