L'ancien champion du monde de descente, Urs Lehmann, dirige la fédération suisse de ski depuis 14 ans. Du haut de ses 54 ans, l'homme est charismatique, il se fait souvent remarquer. Au cours de ses mandats, le président a su redresser Swiss Ski sur le plan organisationnel, sportif et économique. Ses débuts n'ont pas été simples. Il s'est souvent heurté à la résistance de nombreux traditionalistes. Finalement, quelques vétérans de longue date ont fini par tomber.
Ceux qui le côtoient actuellement louent ce docteur en économie pour son leadership, son dynamisme et sa soif d'action. Lehmann a souvent une longueur d'avance sur les autres en matière de stratégie et pense toujours en réseau. Il identifie mieux que quiconque les opportunités, sait établir des connexions. Il ne perd jamais de vue la situation dans son ensemble, analyse avec précision, agit intelligemment et se rend disponible pratiquement 24 heures sur 24. Il va souvent «au bout des choses».
Ses relations avec la Fédération internationale de ski (FIS) sont actuellement plus difficiles, et ce, depuis que Lehmann a perdu la bataille pour la présidence de l'instance en 2021, face au multimilliardaire suédo-britannique Johan Eliasch, le PDG de Head. Les deux hommes ont une vision différente pour l'avenir de la fédération: les divergences sur la façon de diriger sont nombreuses.
Ces derniers mois, l'Argovien a rayonné bien au-delà de la fédération suisse de ski. Les rêves olympiques helvétiques ont été incarnés par lui dans les médias. Il n'a pas seulement été la cheville ouvrière d'éventuels Jeux d'hiver en Suisse du point de vue de la population. Le président de Swiss Ski s'est montré actif en interne au sein du comité de pilotage. Lorsqu'il s'agissait de convaincre fin novembre les fédérations membres de Swiss Olympic de donner leur accord, Urs Lehmann lançait un vibrant appel à la conscience du sport suisse.
Le mandat de Jürg Stahl, l'actuel président de Swiss Olympic, s'achève dans quelques mois. Ce conseiller national (UDC) de longue date a surtout travaillé en retrait. Mais dernièrement, la vision future de Swiss Olympic a fait l'objet de discussions controversées. Comment ceci doit-il être interprété? Une personne au profil différent, disposant de compétences entrepreneuriales, ne permettrait-elle pas de faire rayonner davantage Swiss Olympic?
Les personnages comme Urs Lehmann sont rares, du moins dans le milieu du sport suisse. En novembre déjà, des voix se sont élevées pour que le CEO de Similasan AG, une entreprise fabriquant des médicaments homéopathiques, soit candidat à la succession de Stahl. Urs Lehmann n'a d'abord pas voulu en entendre parler. Mais qu'en est-il aujourd'hui?
Mais comment Lehmann est-il accueilli dans le paysage sportif suisse? Sa non-élection à la présidence de la FIS a montré qu'un fort charisme peut parfois être un obstacle et qu'une prise de bec coûte plus de voix qu'elle n'en rapporte. CH Media, le groupe auquel appartient watson, a interrogé 20 dirigeants influents du sport helvétique à propos d'une candidature d'Urs Lehmann. Tous connaissent parfaitement Swiss Olympic, certains auront même à donner ou refuser leur voix à Lehmann si celui-ci se présente. Afin d'obtenir des réactions honnêtes et sincères, les noms ne sont pas divulgués.
Premier constat, Urs Lehmann reçoit beaucoup d'éloges sur son leadership. «Il pourrait certainement bien faire», telle est la réponse standard que nous avons reçue. C'est un homme d'action qui dévale toujours les pistes à toute vitesse.
L'engagement de Lehmann est impressionnant. Il exige beaucoup de ses collaborateurs, mais incarne aussi cette attitude. Il travaille de manière concentrée et structurée. Son esprit entrepreneurial ferait du bien au sport suisse.
Il y a néanmoins du scepticisme sur certains points. Puisque les recettes de Swiss Olympic proviennent à 95% de fonds publics, le président de l'organisation doit absolument détenir la fibre politique. C'est grâce à cela que l'instance a augmenté ses recettes de 23 millions à 73 millions de francs par an au cours des douze dernières années.
Urs Lehmann a déclaré à plusieurs reprises qu'aucun politicien ne devrait prendre les rênes de Swiss Olympic. Selon lui, le poste doit être occupé par quelqu'un issu du monde du sport. «Mais sans politique, rien n'est possible», affirment certains responsables. Le lien entre le sport et la politique nationale et cantonale est extrêmement important. En fin de compte, la politique doit être représentée au sein de la direction de Swiss Olympic – mais pas nécessairement en la personne du président.
Urs Lehmann a besoin d'un conseil exécutif fort, capable d'équilibrer les choses et signaler les points ignorés, sans pour autant en venir à casser des assiettes.
Lors des élections qui auront lieu en novembre 2024, dix représentants des fédérations sportives helvétiques seront recherchés, avec pour la première fois un quota de 40% de femmes.
Le Urs Lehmann touche-à-tout serait-il en mesure de sortir du lot? Ou au contraire, pourrait-il être battu, car la présidence de Swiss Olympic exige une approche douce, impliquant tout le monde? «Swiss Olympic, ce n'est pas comme la descente. Il faut beaucoup de persuasion pour convaincre les gens», précise un dirigeant avec fermeté.
Mais certains voient Swiss Olympic comme une organisation endormie et imaginent déjà l'impact de Lehmann. On dit qu'il est capable de faire progresser considérablement le sport suisse et de repositionner la marque Swiss Olympic.
Il y a aussi ceux qui doutent fortement de la capacité de Lehmann à assurer dans les domaines aussi importants que la planification, la stabilité et l'engagement à long terme.
Urs Lehmann serait plutôt du genre impatient et aurait besoin de l'odeur quotidienne de la sueur des athlètes autour de lui. Certains se positionnent déjà clairement contre lui.
Plusieurs interlocuteurs doutent de la capacité de Lehmann à rallier une majorité. «Sa façon de faire est très sarcastique», entend-on. Il serait également trop focalisé sur le sport de haut niveau. Et certains craignent qu'il ne comprenne pas suffisamment la nature des nombreuses activités de Swiss Olympic. Qu'il agisse pour son propre camp: le ski. Apporterait-il équilibre et neutralité? «Sur ce point, il fait l'objet d'une suspicion générale», déclare un membre d'une fédération des sports d'été.
Une candidature d'Urs Lehmann «provoquerait» sans aucun doute, elle génèrerait également de la résistance. Certains craignent les conflits ouverts, d'autres voient plutôt l'Argovien comme le CEO des Jeux olympiques. Et d'autres encore aimeraient tenter l'aventure avec lui. En toute objectivité, il n'y a rien de mieux qu'une personne «aussi passionnée par le sport qu’Urs», affirment deux responsables. Ce point de vue est-il partagé par la majorité?