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Vaud: une enseignante romande raconte les nombreux défis du métier

Des membres de la fonction publique vaudoise ont manifesté en cortege dans la rue lors de la grève annoncée par les syndicats ce mardi 9 decembre 2025 à Lausanne. (KEYSTONE/Cyril Zingaro)
Les enseignants et enseignantes sont fatiguées et se disent au bord du burnout. L'une d'elles nous expose les défis d'un métier devenu de plus en plus complexe.Image: KEYSTONE

«On est tous au bord du burnout»: cette Romande raconte sa réalité de prof

Lors des récentes manifestations contre les coupes budgétaires voulues par l’Etat de Vaud, les enseignants ont fait entendre leur voix. Une enseignante vaudoise nous livre son ras-le-bol, révélateur d’une profession en difficulté.
14.12.2025, 07:0314.12.2025, 07:03

La grogne est forte et les rues ont vu défiler de nombreux fonctionnaires vaudois pour marquer leur colère. Ils ont été nombreux à prendre part à ces multiples journées de mobilisation pour contester le budget 2026 annoncé par le Conseil d'Etat, qui désire économiser 305 millions sur la santé, l'éducation, l'action sociale et le personnel. On parlait d'un prélèvement salarial de 0,7% et un gel de l'indexation.

Vendredi soir, le Conseil d'Etat a annoncé qu'il faisait machine arrière et retirait la ponction sur les salaires et la suppression des décharges de fin de carrière des enseignants. Deux objets très contestés. Toutefois, les récentes mobilisations sont révélatrices d'un malaise plus profond. Si bien que l'appel à manifester de ce lundi est maintenu.

Mais quels problèmes?

Caroline S., enseignante de 49 ans, travaille au collège primaire vaudois, dans la région de Morges (VD). Elle a pris part à ces manifestations. Actuellement, elle fait classe à des 3P (des enfants de 6 à 7 ans). Durant près de 15 ans, elle a évolué avec des classes de 5 et 6P, avant de descendre d'un cran, pour enseigner 12 ans dans des classes 3 et 4P.

Après plus de 27 ans d'expérience dans l'éducation, l'enseignante a décidé d'aller protester et de se greffer à la grogne toujours plus forte d'une partie de la fonction publique. Elle a également pris la plume sur Facebook pour évoquer son ras-le-bol à travers des publications parfois partagées des centaines de fois. Sollicitée, elle nous a donné son avis sur la situation.

Avez-vous pris part aux récentes mobilisations?
Chaque semaine, je suis à la manifestation. En revanche, c’est plus compliqué pour moi de faire grève que d’aller manifester. Manifester, ça n’engage que moi.

«En faisant grève, il y a une peur de décevoir ou d’embêter les parents»

Il y a également l’argent qui entre en ligne de compte (réd: une période en moins bifferait environ 50 francs sur la paie). Si vous faites partie de la Société pédagogique vaudoise (SPV), il y a un fond de secours qui existe. Selon moi, cette grève a été bien menée.

Ce retrait de décret annoncé par le Conseil d'Etat vendredi soir vous réjouit?
Ce qui m'inquiète, c'est que ces coupes budgétaires vont être maintenues. Simplement, elles vont être distribuées d'une autre manière et cela impactera le service public. L'école va quand même être touchée. Ils peuvent nous retirer peut-être nos aides à l'intégration. Les gens ne se rendent pas compte de toutes les coupes prévues.

Le Conseil d'Etat a d'ailleurs expliqué, à la suite du retrait du décret, que la grève était illicite. Les syndicats affirment le contraire.
Selon les infos que nous avons reçues, le Conseil d'Etat doit passer par un organe de conciliation (réd: lequel a jugé la grève licite, rapportent les syndicats). J'espère que les professeurs ne vont pas faire grève lundi, pour montrer que nous sommes raisonnables. Même s'ils ont le droit. En revanche, j'espère que la manifestation de lundi sera sans précédent.

On sent un gros ras-le-bol des enseignants.
Cela fait des années qu’on nous répète qu’il n'y a pas assez de moyens. On nous demande de faire de l’inclusion, mais sans nous donner les ressources nécessaires.

«Avec les enfants d’aujourd’hui et les attentes qu’on a envers nous, c’est difficile»

On aurait vraiment besoin de plus. L’an passé, j’avais par exemple une volée facile. Mais lorsque vous avez un, deux, voire plusieurs enfants qui perturbent, ça devient compliqué. Les autres sont comme électrisés. Si nous sommes deux enseignantes sur quelques périodes, c'est fantastique. Mais c’est loin d’être la majorité du temps.

Les choses ont-elles beaucoup changé depuis vos débuts dans le métier?
Quand j’ai entamé ma carrière d'enseignante, j’avais 27 élèves dans ma classe: 18 garçons et 9 filles. On pouvait parler vingt minutes sans que les enfants interrompent l'échange. Aujourd’hui, ils n’ont plus la même capacité d’attention; il a fallu modifier les activités pour capter l'élève. Le cadre familial non plus n’est plus le même qu’avant.

«Les enfants sont plus individualistes qu’avant»

Lever la main, attendre son tour, c’est vraiment quelque chose qu’il faut mettre en place en début d’année pour que cela devienne une habitude.

Et l’école inclusive entraîne-t-elle plus de contraintes?
Intégrer tous les enfants, avec moins de moyens financiers et de personnel, ça nous dépasse. Moi, à la fin de ma journée, je suis fatiguée. Je rentre chez moi, je fais à manger et je vais dormir à 21h30. Le lendemain, je dois être sereine et reposée.

«L’une de mes collègues me disait: je ne sais pas combien de micro-décisions nous devons prendre par jour»

Pour vous donner un petit aperçu, énormément d’enseignantes ne font rien ou ne sortent plus au restaurant la semaine, parce que nous sommes trop fatiguées.

Ce système atteint ses limites, selon vous?
Une collègue en enfantine a, par exemple, un enfant qui crie en permanence. Des dispositifs ont été mis en place, mais cela dépasse la seule question de l’école inclusive. Les enfants demandent aujourd’hui davantage d’attention qu’auparavant. Le pédagogue français Philippe Meirieu disait que les classes actuelles sont de véritables cocottes-minute: il faut être partout à la fois pour répondre aux besoins de chaque élève. Il expliquait aussi que, de nos jours, les parents choisissent d’avoir des enfants; par conséquent, ils sont très attentifs et les placent au centre. Et lorsqu'il arrive dans nos classes, on ressent également qu’ils se perçoivent comme étant au centre.

«Mais ils ne peuvent pas l’être, parce qu’on est 20 dans une classe. Il est aussi là le défi pour une enseignante»

Vous diriez que les parents font moins confiance au système pédagogique?
Je ne dirais pas qu'ils font moins confiance au système.

Alors au professeur?
Si je prends mon cas, les parents savent que j’ai une grande expérience. Ma collègue qui m'épaule, cela fait 35 ans qu’elle enseigne. Moi, 27 ans. Ils savent que l’on connaît notre métier. Mais parfois, des parents remettent en doute certaines de nos décisions.

«De nos jours, on est beaucoup plus vite sur la sellette et il faut souvent se justifier»

Et cela prend du temps et de l’énergie. Parfois, les parents s'investissent trop. Mais notons que, la majorité du temps, ça se passe bien avec eux.

Nerveusement, de nos jours, c'est de plus en plus compliqué pour la branche?
C’est clair. Une année, j’avais une volée difficile. J’en ai même eu des acouphènes. En discutant avec des collègues, on se sent fragilisée mentalement.

«On est tous un moment donné ou un autre au bord du burnout»

Si en primaire, on tient, c’est parce que plus de la moitié des enseignantes ne sont pas à 100%. Personnellement, je ne pourrais pas travailler à 100%. C'est trompeur pour les personnes extérieures à la profession: elles s’arrêtent souvent aux vacances, aux congés, etc. En réalité, très peu d’enseignantes en primaire sont à 100%.

A combien se monte votre pourcentage?
A 73%.

Il est devenu difficile de pratiquer à 100% le métier d'enseignante?
Je me pose la question si on peut embrasser la profession à plein temps, aujourd'hui. Et parfois, ça me dégoûte. Pour la simple et bonne raison qu’un métier, on devrait pouvoir le faire à 100%. J’ai un fils de 14 ans, il gère bien seul, mais à 100%, ce n’est pas possible. Et même, le jour où il partira, je ne pourrai pas être à 100%.

Vous-même vous avez déjà travaillé à 100%?
J’ai fait mes dix premières années à 100% et après j’ai pris un après-midi de congé. Je sentais que j’avais besoin de faire des pauses.

«Mentalement, on sous-estime le poids d’une classe»

Moi qui suis plutôt autoritaire, je sais tenir une classe. Mais de nos jours, nous ne sommes plus dans une époque où on entend une mouche voler dans une classe.

Une classe silencieuse, ça n'existe plus en 2025?
Pendant un test, oui. C’est génial, c’est silencieux. C’est plus rare par rapport à la pédagogie qu’on nous propose. C’est difficile d’avoir des moments de silence dans une classe.

Depuis combien d’années sentez-vous qu’il y a une baisse de l’attention?
De l’avis général, cela fait une dizaine d’années. Avec notamment l'apparition des smartphones.

Qu’opposez-vous aux personnes qui vous critiquent et vous traitent de Calimero?
Venez passer une semaine dans ma classe. Les gens ne voient que la pointe de l’iceberg. Prenez l'exemple d'une famille de deux enfants: avec une classe de 20 enfants, vous faites x10.

«Rien que le bruit, c’est déjà harassant»

Les enfants nous sollicitent sans cesse; il y a des jours où je n’ai même pas le temps d’aller boire ou d’aller aux toilettes. On n’a pas une seconde pour penser à autre chose que le moment présent. C’est peut-être l’âge (rire).

Vous trouvez qu’il y a un manque de reconnaissance pour les enseignantes en primaire?
C’est un peu frustrant. Ce qu’on fait avec les petits n’est pas vraiment reconnu, alors que nous sommes à la base de tout le parcours scolaire. Plus les enfants vont bien au début, plus on peut les amener loin.

«Les années de primaire sont vraiment des années charnières dans leur scolarité»

Vous vous sentez dépassée?
Je ne me sens pas dépassée dans le travail avec les élèves, mais par l’ensemble de ce qui est demandé autour. Administrativement, par exemple, on frôle clairement la limite. Aujourd’hui, je sais que j’ai atteint mon maximum. Travailler à 50% me permettrait de faire encore mieux, même si j’y consacrerais probablement autant de temps qu’actuellement.

Et vous, vous êtes-vous souvent posé la question si vous étiez au bord du burnout?
Ah oui. J’ai fait des séances de psy, de l’hypnothérapie. J’ai suivi aussi une thérapie Tomtis (réd: une méthode naturelle neurosensorielle). Notre métier est difficile, il ne s’arrête pas à la sonnerie. Beaucoup d’enseignants prennent leur travail pour faire à la maison pour s'avancer. Moi, je ne peux pas; je quitte la classe seulement quand j’ai terminé. Je laisse cela derrière moi, faute de quoi je n’aurais jamais terminé.

Vous écriviez, par le biais d'un post Facebook, que vous étiez d’accord à consentir à des efforts, seulement si tout le monde en faisait. Qu’entendez-vous?
Les syndicats nous disent qu'il y a de l’argent à disposition, que ces coupes ne sont pas nécessaires. En revanche, si l’argent manque et que tout le monde doit faire un effort, ça ne me pose pas de problème. Les efforts ne me font pas peur s'ils sont justes. Je fais partie de celles et ceux qui devaient faire 35 ans de service. Je devais prendre ma retraite à 57 ans. Maintenant, on est à 39 ans de service.

«J’ai été engagée à certaines conditions et je me demande aussi jusqu’où ils vont nous changer les conditions»

Vous craignez que la Suisse souffre d'une pénurie d’enseignants ou que les jeunes se détournent de cette vocation ces prochaines années?
Je crois que cela arrive déjà. J’ai l’impression que les jeunes se détournent du métier dès qu’ils se rendent compte que c’est plus difficile qu’ils ne le pensaient. J’ai discuté avec d’anciens et d'anciennes élèves devenus professeurs; ils se disent étonnés par la remise en question de leurs décisions. Mais il y a aussi l’administratif qui refroidit.

C'est un facteur qui revient souvent: l’administratif empoisonne le quotidien des enseignants?
Lorsque j’ai commencé, je recevais une enveloppe de 200 francs pour faire les achats que l'on souhaitait pour notre classe. On nous faisait confiance. On ne nous demandait même pas la feuille de retour. Aujourd’hui, il faut le ticket et remplir des tableaux compliqués en ligne; tout devient plus administratif. Je ne me fais pas rembourser 10 francs de dépenses, comme beaucoup d'autres collègues. Ça nous prend trop de temps.

«Ce temps qu’on consacre à la paperasse, c’est du temps qu’on ne consacre pas à un élève»

Et nous avons peur de tout, de savoir si nous avons pris toutes les précautions. Comme tout est protocolé, cela met une pression en plus.

Pour finir, vous ressentez un certain mépris de la classe politique?
J’ai l’impression que nos autorités ne se rendent pas compte. Derrière ces millions à économiser, il y a des êtres humains. Derrière une coupe, il y aura un enfant qui perdra une aide ou un prof qui s'ajoutera une période pour ne pas perdre d’argent. C’est un équilibre qu’il ne faut pas trop chambouler.

«J’ai l’impression que le secteur est déjà à fond»

Aujourd’hui, je me dis: où on va. Je me remémore ce panneau aperçu sur les réseaux sociaux qui disait: mépris des classes. Ou un autre qui disait: Conseil d’Etat en limousine, classes en ruines.

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