Un Lausannois parmi les meilleurs slalomeurs du monde. Marc Rochat, le citadin au milieu des montagnards, défie les affres du temps pour épouser les plus beaux contours de sa carrière actuellement. Un ski (désormais) plaqué, une souplesse hors pair et une tête bien sur les épaules, l'athlète de 31 ans vit la plus belle période de sa vie sportive.
5e lors de l'exigeant slalom d'Adelboden, il s'est même offert le titre honorifique de meilleur Suisse. Sur courant alternatif en première manche et très aérien lors du second run, réussissant au passage un excellent mur, le Vaudois est en pleine bourre et pourrait rapidement se glisser dans le top 7 mondial dans les semaines à venir.
Alors qu'il était en voyage pour s'entraîner et préparer le slalom de Wengen (BE), prévu dimanche 14 janvier, le spécialiste du virage court a décroché son téléphone et s'est penché sur ses hauts et ses bas.
Cette 5e place à Adelboden, est-ce le plus beau moment de votre carrière?
C’est mon deuxième classement en carrière (réd: après une 4e place lors des finales de Coupe du monde à Soldeu/El Tarter), mais Adelboden est largement le plus beau moment, oui.
Vous avez accompli une bonne première manche, avec une mise en route un poil timide, et la deuxième manche était d'un très bon calibre.
En première manche, il fallait skier avec la tête. On ne voyait rien. Lors de la seconde, il y avait beaucoup de place et je peux l'affirmer: j'ai fait plus ou moins un miracle.
Un miracle?
Sur les tracés larges, normalement, je prends des claques. J’ai de la peine à remplir les espaces. Et il est relativement rare que je gagne un dernier inter comme je l'ai fait dimanche sur la Chuenisbärgli.
A l'arrivée, vous criez un «on lâche rien». Pourquoi?
Quand je dis: «on lâche rien», je me parle à moi-même. C’est ma devise. Je me remémore les moments difficiles que j'ai traversés. Je serre les dents, je garde la tête baissée et je m'entraîne pour aller toujours plus loin.
Lors de l'exercice 2017/2018, c’est pas moins de dix courses sans résultat, et sept en 2018/2019. Après ces saisons cauchemardesques, vous avez décidé de faire un pas en arrière pour rebondir.
Il faut savoir que dans un sport individuel, on est toujours très fier. Quand on atteint le top niveau, c’est difficile de revenir en arrière. Je suis parti faire des courses en Corée du Sud, en février 2019 (réd: des courses estampillées Far East Cup, le pendant de la Coupe d'Europe), avec mon serviceman pour me changer les idées et accumuler des points FIS. Je suis parti à mes frais, car il fallait que je me reconstruise pour bâtir une nouvelle confiance. Quand j'étais plus jeune, je me souviens bien de Mario Matt qui venait s'aligner lors de courses FIS (réd: le troisième échelon dans le ski alpin) en Suisse, pour retrouver de la hargne, pour recouvrir la confiance perdue. J’ai aussi un souvenir de Marc Berthod, qui venait se battre contre des gamins durant des championnats suisses juniors.
Etait-ce le carrefour de votre carrière?
Au lendemain de cette saison difficile (réd: 2018/2019), j’avais l’espoir de revenir. Je n’avais plus rien dans le moteur, je n’avais plus la confiance de mon entourage; le public et les médias ne croyaient plus trop en mes capacités. J’ai reçu des commentaires haineux sur les réseaux sociaux qui disaient qu'il me fallait ranger les planches parce que ça ne servait à plus rien.
Vous étiez proche de ranger les skis?
J’étais à un cheveu d’arrêter. J’étais lessivé émotionnellement. C’est si dur de repartir s’entrainer avec zéro point positif et aucun plaisir.
Je me suis dit que c’était triste d'arrêter après une saison aussi désastreuse. Je voulais clore ma carrière d'une plus belle manière.
Vous dites que vous avez perdu plusieurs années avec vos nombreuses blessures. Mais n’ont-elles pas eu un effet inverse?
J’en suis certain. Je crois sincèrement que j’ai appris plus avec ces blessures. C’était une expérience rude et je m’en sers tous les jours. Je vois aujourd’hui des champions qui ont eu une carrière très linéaire et qui sont confrontés une seule fois à un problème, qui sont dans la merde, et ils ne savent plus comment faire. Les gars qui ont vécu des tourments, ils ont des cartes en plus dans leur jeu.
Un film (un court-métrage intense que nous avons pu voir et qui sera diffusé aux prochaines Journées de Soleure) a été consacré à votre parcours de skieur professionnel: La Roche. Est-ce exact que vous ne vouliez pas le faire?
Non, ce n’est pas vrai. Je voulais le faire et j’étais très content que les deux réalisateurs (réd: Nolan Büchi et Basil Schneeberger), deux potes, veuillent faire un court-métrage à mon propos. A contrario, je ne savais pas si mon histoire pouvait intéresser quelqu’un d'autre que ma famille. Or les retours ont confirmé que le film intéressait au-delà du ski et du sport. Surtout, les deux réalisateurs ont bien cerné le parcours et les difficultés d’un sportif pro.
Cette introspection a-t-elle été bénéfique?
Outre l’image publique et l’intérêt qu’on porte à ma carrière d’athlète désormais, oui, possiblement, c’était presque une autopsychothérapie. C’était particulier de me voir à l’écran et de m’écouter. Mais à vrai dire, j'en sors grandi.
Quand la caméra s’est enclenchée, j’ai pu parler librement, car les réalisateurs sont des amis et m’ont mis tout de suite à l’aise. Dans le ski, on voit de plus en plus de gars évoquer leurs tourments. C'est important pour les jeunes aussi, pour qu’ils saisissent que même les skieurs de Coupe du monde en bavent.
Vous avez confié dans les médias: «J’ai des dossards qui me permettent de lever le pied». En somme, vous n’êtes pas à 100% lors des premières manches?
Par rapport à l’entraînement, je ne suis pas à 100%. Je gère beaucoup plus mes premières manches.
Est-ce que l'an dernier, les championnats du monde de Courchevel ont aussi fonctionné comme un déclic et vous ont (un peu) libéré?
Absolument. C’était pour moi un objectif de vie de pouvoir arracher ma place dans l’équipe, faire partie du quatuor qui allait représenter la nation. Ça a eu un impact sur ma fin de saison de l'an passé et sur la saison actuelle.
Le calendrier de la saison 2023/2024 vous convient ou auriez-vous souhaité que la FIS en organise plus?
A mon sens, il y a suffisamment de courses de slalom. Douze épreuves, c'est bien. Par ailleurs, je serais heureux de pousser la saison jusqu’à mi-avril. Je termine toujours bien mes saisons; j'ai toujours été plus performant que les autres sur le sel et je capitalisais là-dessus. Maintenant, je peux régater même durant le mois de janvier et dans des conditions froides.
Le mois le plus important pour les spécialistes du virage court est désormais lancé depuis le week-end dernier. Avez-vous une préférence entre les quatre classiques (Adelboden, Wengen, Kitzbühel et Schladming) du mois de janvier?
Adelboden et Kitzbühel sont mes deux slaloms favoris. Enfin, de manière générale, j'adore les courses du mois de janvier.