Quand on le voit dévaler les pentes tout schuss et hurler sa joie dans l'aire d'arrivée, impossible d'imaginer ce qui cogitait dans la tête de Cyprien Sarrazin il y a moins d'une année. Comme beaucoup d'entre nous, le skieur français a longtemps souffert du célèbre et ravageur syndrome de l'imposteur. Encore plus problématique: il le ressentait dans son métier.
Or, manque de confiance en soi et réussite dans le sport de haut niveau sont tout simplement incompatibles. Le natif de Gap le savait, alors il a pris l'initiative d'un grand changement.
Avant le début de cette saison, il s'entoure d'une psychologue et d'une énergéticienne. Le véritable déclic a lieu trois jours avant son sacre à Bormio le 28 décembre, comme il l'expliquait à L'Equipe.
Une introspection qui fait suite à des mots simples, mais puissants de l'une de ses coachs mentales: «Tu as le droit de gagner. C'est aussi ta place». Ni plus. Ni moins.
Depuis son triomphe en Italie, le Tricolore enchaîne les perfs. Au point de se profiler comme le seul concurrent de Marco Odermatt pour le général de la Coupe du monde et des disciplines de vitesse. Lui que le grand public ne connaissait pas du tout il y a encore deux mois.
Malgré ce boom aussi soudain qu'inattendu, il serait mensonger d'écrire que personne n'a vu arriver le nouveau crack de la descente (29 ans). Ses qualités techniques et physiques ont toujours été applaudies en France, tout comme son tempérament téméraire, indispensable pour briller dans la discipline reine du ski alpin. «On m'avait demandé de soumettre des candidats à une bourse en 2018, quand j'étais vice-présidente du Réseau Ski Partenaire (RSP)», rembobine Florence Masnada, double médaillée olympique (dont le bronze en descente à Nagano en 1998) et actuelle consultante pour Eurosport.
Adepte des descentes vertigineuses sur son vélo, Cyprien Sarrazin en tire aujourd'hui profit sur les lattes grâce à la proximité des deux disciplines (équilibre, sauts ou encore prise de risque).
Même si elle a reconnu son potentiel rapidement, Florence Masnada avoue être «bluffée comme tout le monde» par les prestations actuelles de son compatriote. «Je lui ai écrit après sa victoire à Bormio en lui disant qu'"il a bien grandi, le petit Cyprien"», rigole la native de l'Isère.
Elle aussi pointe du bâton le complexe d'infériorité du double vainqueur de la Streif quand il s'agit de trouver une explication à sa quasi-disparition des radars entre son premier titre en Coupe du monde (un géant parallèle en 2016) et sa renaissance à Bormio. «90% des skieurs français ont grandi dans les Alpes du Nord tandis que lui vient des Alpes-Maritimes, qui comptent moins de domaines skiables de premier plan», analyse l'ex-championne de France de descente.
«Quand je l'ai retrouvé en équipe de France en 2017, dans le groupe technique, il avait toujours ce truc en lui: "Si je réussis, ce n'est pas normal, il n'y a jamais eu de champion dans le Dévoluy (la commune où a grandi Sarrazin)"», appuie Kevin Page, un entraîneur tricolore.
En plus des failles mentales, Cyprien Sarrazin a aussi vu sa progression être freinée par des pépins physiques. Parmi eux, on peut lister deux commotions, un genou droit en compote et, plus récemment, une blessure au dos en 2023, qui l'a notamment privé des Mondiaux.
Et puis, si on voit briller le Français depuis si peu de temps dans les épreuves de vitesse, c'est, très pragmatiquement, parce qu'il n'en dispute que depuis 2022. Avant de gober les kilomètres en descente et super-G, le nouveau grand rival d'Odermatt a longtemps peaufiné ses courbes en slalom géant, sa spécialité.
On pourrait penser que cet élan de confiance soudain a rendu Cyprien Sarrazin encore plus casse-cou, lui qui est réputé «tête brûlée», et que cette témérité sans bornes est la raison de ses exploits. Florence Masnada voit un autre lien de cause à effet:
Il s'en dégage alors une impression de maîtrise. Les excellents chronos viennent la confirmer. Elle a surtout frappé la consultante d'Eurosport sur les sauts, que Sarrazin passe avec «aisance et légèreté».
Depuis le 28 décembre, le Français n'est pas redescendu de son nuage. Les joueurs de tennis, entre autres, connaissent cet état de plénitude où tout ce qu'ils entreprennent réussit et qu'ils nomment «la zone». «C'est ça qui est très fort», admire Florence Masnada.
Si Cyprien Sarrazin y parvient jusqu'au mois de mars, il nourrira une rivalité haletante avec Marco Odermatt, en tout cas pour les classements généraux de la descente et du super-G. Sans être le moins du monde un imposteur.