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Roland-Garros:ces joueurs qui n'ont pas envie de salir leurs chaussettes

Le tennis de terre battue salit les chaussettes.
Le tennis de terre battue salit les chaussettes.Image: Shutterstock

Ces joueurs qui n'ont pas envie de salir leurs chaussettes

En tennis, le dur travail de la terre n'intéresse plus beaucoup les jeunes. «Personne n'aime manger de la poussière», justifiait Daniil Medvedev l'an dernier. Simple question de goûts.
05.06.2024, 18:49
christian despont
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Il y a ceux qui n'aiment pas Wimbledon et pensent que l'herbe est un plaisir réservé aux vaches. Mais ils sont rares à le dire. Et il y a ceux qui n'aiment pas la terre battue et en font des gorges chaudes aux apéros de départ, parfois en conférence de presse.

C'était le cas de Daniil Medvedev, la saison dernière, au sortir d'une défaite qui semblait le ravir: «A chaque fois que la saison de terre battue est finie, je suis content. Peu importe que ce soit au premier ou au quatrième tour: je suis content que ça s'arrête. Aujourd'hui, avec le vent et la poussière, j'ai eu la bouche pleine de terre dès le troisième jeu. Je n'aime pas ça. Peut-être que certaines personnes aiment manger de la terre, en avoir plein les sacs et les chaussures, et devoir jeter ses chaussettes blanches après. Pas moi.»

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Le 5e joueur mondial a été sorti en 8es de finale par Alex De Minaur cette année.Image: AP

Ceux qui n'aiment pas l'herbe s'en tirent avec une légère blessure d'amour-propre. Logique: il est moins barbant de trimer en col blanc devant la royauté anglaise, sur la pelouse finement taillée de Wimbledon, que de saloper ses guenilles dans la poussière de Roland-Garros, au pays des gilets jaunes.

Il n'y a pas de joies faciles dans le tennis de terre battue: on ne peut en ressortir que les chaussettes sales et les semelles crottées, la réputation entachée, le corps lessivé. Les images affichées au Musée de Roland-Garros montrent des générations entières de forçats qui, la mâchoire serrée et la chemise trempée, liftent sous le cagnard pendant des heures.

Contre le sens de l'histoire, les Internationaux de France ont fait la fortune de nombreux ouvriers de la terre que la chronique, en particulier britannique, a souvent réduits à leurs biscotos et à leur lift piocheur, mais sans leur dénier un certain savoir-faire. Un temps, le tennis a même porté l'idée du prolétariat comme classe élue, où les plus bosseurs (Borg, Courrier, Bruguera) seraient aussi les mieux récompensés. Un temps où le travail de la terre payait. Où le lift était un ascenseur social.

Passée cette ère industrielle d'un tennis pur et dur, c'en était fini des masses laborieuses. Les nouvelles technologies (cadres de raquettes en carbone, cordages synthétiques) favorisent des profils plus complets et vifs, plus tout-terrain. Les derniers spécialistes (Schwartzman, Cuevas, Ramos-Vinolas) ont compris que cette terre ne leur appartient plus, qu'ils ne pourront plus y cultiver leur talent, y planter patiemment leurs balles aux quatre coins du court, à une époque où tout va plus vite, où l'on veut tout, tout de suite, idéalement en 3-4 coups de raquettes.

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A quoi ressemble le tennis de terre battue.Image: AP

Nadal lui-même a souvent suscité la souveraine indifférence du Tout-Paris, snobé pour ses vieux marcels usés et ses ahans de pousse-brouette, favori des bookmakers à défaut d'être la tasse de thé des VIP (encore un coup des Anglais).

Les jeunes ne veulent pas de ce travail acharné, sur une terre ingrate où, au mieux, ils en sont quitte pour marner toute la saine après-midi et remettre ça le surlendemain. Telle est la pensée profonde de Nick Kyrgios lorsque, tout en finesse, il déclare sur les réseaux sociaux: «Qui aime la terre battue? Qui aime se rouler dans la poussière comme un chien, et parfois jouer avec la balle du chien? C'est tellement naze. Tellement naze… Roland-Garros est vraiment pourri par rapport à Wimbledon.» D'ailleurs, Kyrgios n'y vient pratiquement plus.

Andy Murray, lui aussi, a toujours une bonne excuse pour rester à la maison. Les gros serveurs (de Roddick à Raonic, jusqu'à Tiafoe) pensent qu'à défaut d'abréger les échanges, ils pourront toujours écourter leur séjour. Sampras avait tellement peur de glisser qu'il avait «cet air de Droopy dès qu'il pointait ses raquettes sur la terre battue parisienne», comme l'écrit Libération en 1999. Même Roger Federer, humble travailleur de la modeste Helvétie, a eu quelque répulsion d'esthète, parfois.

«En 2017, il neigeait, il faisait 4 degrés et je suis allé m'entraîner sous une bulle avec Pierre-Hugues Herbert. Honnêtement, je me suis demandé: est-ce que j'ai encore besoin de ça? (...) Quand il fait gris, froid, avec des balles comme des rochers, la terre est mouillée et molle, il n'y a plus rien qui sort de la raquette […], ça ne fait plus trop envie.»
Roger Federer dans L'Equipe

Où est passé ce bon sens terrien qui, jadis, aurait désigné Ramos-Vinolas comme un exemple, un besogneux avec de grandes ambitions, non comme un pequenot du tennis moderne?

Alors qu'il suffirait d'aimer... Premier joueur de l'ère open à remporter les quatre tournois du Grand Chelem, Andre Agassi avait construit sa légende sur le ciment américain et, en précurseur de la demi-volée, il frappait très à plat, en essayant de déborder rapidement son adversaire. Il aimait la castagne et le chaos - tout le contraire du jeu de terre battue. Mais pour conquérir enfin Roland-Garros (1999), il a accepté d'arrondir les angles, très exactement ses trajectoires. Il a retroussé les manches et il a lifté.

Inspirés par Agassi, d'autres champions ont réussi le difficile amalgame de la brutalité et du charme (Kuerten, Thiem, Nadal). Mais ils sont encore nombreux à attendre secrètement Wimbledon, avec la fascination des noblesses de court et la promesse de voies royales. En oubliant qu'après quelques jours, l'herbe piétinée redevient poussière, elle aussi.

Cet article a été adapté d'une première version parue sur notre site en juin 2023.

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