Impossible de le rater: le coach occupe la meilleure place du Central, premier rang devant la balustrade, juste à côté de Patrick Bruel la sortie. De là, il regarde passer les balles d’un œil avisé, en opinant du chef - pour bien montrer que c'est lui le chef. En bon observateur, il porte toujours des lunettes noires et suit d'un oeil insistant tout ce qui pourrait distraire son joueur/sa joueuse (une accorte créature, une bière fraiche, etc).
Dans les allées, son sillage répand des effluves d’ambre solaire qui flottent comme un parfum d’ivresse, une sorte de «see, sex and sun» un peu ringard qui, dans l'ordre, consiste pour un coach à «mâter des matches, honorer des groupies et se bronzer les pecs», comme nous le résumait (en des termes moins choisis) une joueuse qui les a toujours préférés mariés et pâles.
Vu sous cet angle, le coach a la belle vie: il voyage partout, mange gratuit à la cantine ou au resto, puise dans ses notes des schémas préconçus et, quand il ne sait plus que dire, revient aux fondamentaux: «Play your game!» (joue ton jeu.) Il n’a rien d'autres à se soucier, pas de ménage à faire, pas de chien à sortir ni de pelouse à tondre. Seul lui incombe de prendre la vie par le bon bout de la raquette, match après match.
Dans les hôtels officiels, les coaches forment une communauté aisément reconnaissable, aussi «brandée» que les Amish et les Hare Krishna: shorts fatigués, chaussettes blanches à mi-mollet, gobelets Starbucks, polo fluo sur un bronzage 100% écolo, la marque distinctive des lundis au soleil, comme les chantait Cloclo.
«Certains voyagent toute l’année dans cette tenue et ne possèdent même pas une paire de jeans», médit un collègue quadragénaire. D’autres y ajoutent un bandeau aux poignets ou pis, sur le front, un petit côté Richie Tenenbaum (photo) sans la posture décalée.
Un jour que nous parlions avec Christophe Freyss à la cantine de l’US Open, le coach nous expliquait avec passion comme les progrès de Malek Jaziri (ATP 281), qu’il conseillait en double, lui procuraient autant de bonheur que, jadis, les prouesses du jeune Federer au Centre national d’Ecublens.
Par le plus grand des hasards, nous avions retrouvé Christophe Freyss le lendemain à l’aéroport, avec exactement le même short et les mêmes raquettes en bandoulière, fraîchement débarqué de Flushing Meadows où Jaziri venait de perdre. Freyss avait sauté dans le premier taxi et ne savait pas encore où il serait catapulté. Voilà à quoi ressemble sa vie: aux oscillations d’une balle de tennis.
Car lorsqu'un joueur dit que son coach est tout pour lui, il ne ment pas. Cet employé fidèle le suit jusqu’au bout du monde, au gré de ses vicissitudes. Il est à la fois son conseiller, son psy, son père, son intendant et sa nounou. Du technicien au larbin, il y a des milliers de pas que le coach effectue pour réserver un court d'entraînement, trouver un partenaire, apporter les raquettes chez le cordeur, ramasser les balles entre les échanges, glisser un mot à l’oreille du chef de la programmation, sans oublier d’aller chercher des fruits et des bouteilles d'eau à l'épicerie.
Parfois, la relation sort des limites du court. Comme au bureau, des idylles commencent près de la machine à café et finissent par un dernier verre, avant d’être couchées sur papier glacé.
Mais les histoires glamour finissent mal, en général: à la première balle de break, une joueuse en difficulté ne sait plus si elle doit lire dans les yeux de son coach, dans les yeux de cocker qui lui font face, l'incertitude d’un savant ou l’inquiétude d’un amant; et finit par aller voir ailleurs.
Dès que le temps s'étale, le huis clos s'installe. Ancien coach de Robin Söderling et Stan Wawrinka, Magnus Norman ne cache pas que ses vingt semaines d’exil annuelles (compter une quarantaine pour des coaches plus présents ou moins payés) ont ruiné sa vie de famille:
Mats Wilander nous expliquait à l’Open d’Australie 2016 que de nombreux coaches perdent leur temps sans beaucoup gagner leur vie.
Ancien mentor de Pete Sampras et Maria Sharapova, Robert Lansdorp raconte dans Inside Tennis à quel point les élites de ce sport sont pingres: «De toute ma carrière, je n’ai jamais reçu le moindre cadeau. Pas même une petite attention à 500 dollars. Des joueurs sont devenus multimillionnaires avec moi et je n’ai rien eu en retour. Je vous le dis, si Maria (Sharapova) ne dépose pas un jour une Mercedes (son sponsor) dans l’allée de ma villa, je me tire une balle.»
Les coaches ne passent pas de diplômes. Savants, parents ou charlatans, ils occupent la même fonction, la même position du missionnaire, à transmettre la foi sans aucune garantie de convaincre, pas même d’intéresser davantage qu'un prof de chant. C’est là toute l’ambiguïté du statut où, par nature, l’employeur devient l’employé, où le joueur engage un coach pour le commander, en lui demandant d’exercer un pouvoir qu’il ne lui accordera jamais totalement.
Les femmes sont les plus cruelles: Emma Raducanu a consommé trois coachs en un an, Karolina Pliskova a rengagé en décembre l'entraîneur qu'elle avait licencié en juillet (Sascha Bajin), Belinda Bencic a choisi Dmitry Tursunov pour l'initier à la souffrance, pour la bousculer dans ses certitudes, avant de le limoger pour les mêmes raisons. Mais de quoi se plaignent les coachs du FC Sion?
Après tout ça, s’il fallait encore payer son assiette et porter des salopettes, où seraient les charmes du métier? Sachant de surcroît que les filles dans les tribunes ne regardent jamais les coaches, elles.
Adaptation d'un article paru en juin 2021 sur watson