Si elle n’était pas siglée «Swisscom», on pourrait facilement prendre cette remorque pour l’un de ces camions frigorifiques remplis de bière lors des fêtes. Et même si la chaleur estivale actuelle donne soif et qu’une gorgée d’orge fermentée ne serait pas de refus, ce n’est pas de la bière qu’on y trouve.
À la place, trois personnes installées dans un espace de travail réduit, assises devant une multitude d’écrans. Bienvenue dans le nouveau centre de contrôle du Tour de Suisse!
Dans cette cabine – heureusement bien climatisée – œuvrent Philipp Barmet, Tobias Fankhauser et Sven Calus pendant les étapes. Les grands écrans diffusent les images captées par les sept caméras de télévision. Une configuration qui rappelle celle des camions régie des chaînes de télévision. À ceci près qu’il n'y a, ici, aucun réalisateur.
Les images télévisées ne sont qu’un des éléments de la surveillance. Et même un élément mineur, en vérité. Fankhauser, ancien handbiker et para-athlète, a devant lui trois ordinateurs portables. S’y ajoutent un natel, une tablette et un talkie-walkie qui crache les messages grinçants de «Radio Tour». À sa droite, deux autres écrans affichent différents logiciels.
Sur l’un des écrans figure une carte avec de nombreux petits points en mouvement. Ce sont les coureuses qui disputent ce samedi la troisième étape du Tour de Suisse féminin. Chaque vélo est équipé d’un traceur GPS qui émet un signal. Les véhicules d’accompagnement sont eux aussi munis de ce dispositif. Fankhauser peut ainsi suivre en temps réel les mouvements de chacun dans le peloton. Il garde aussi un œil sur le «Veloviewer», une carte des dangers de l’étape, où les passages critiques sont signalés.
Sven Calus, commissaire de l’Union cycliste internationale (UCI), est celui chez qui tous les fils se rejoignent. Fort de sa grande expérience, il est capable d’analyser la situation en un instant et de communiquer avec les différentes parties.
Reste le troisième homme de l’équipe : Philipp Barmet, technicien de Swisscom. Il est l’architecte du centre de contrôle, qu’il a conçu et construit. C’est en quelque sorte le cerveau technique du projet. Il veille au bon fonctionnement des différents systèmes. Mais Olivier Senn, le directeur du Tour de Suisse, tient à souligner:
En cas d’anomalie, les hommes du centre de contrôle mobile interviennent. Comme lors de la première étape du Tour féminin, lorsqu’une équipe a perdu la trace de l’une de ses coureuses. «Cette équipe l'a alors signalé au centre de contrôle. Et Tobias a retrouvé la coureuse en deux clics, ce qui a permis de donner l’alerte immédiatement», raconte Olivier Senn à titre d’exemple.
Un deuxième cas a cependant montré qu’il restait des points à améliorer. Depuis le centre de contrôle, on a constaté qu’une coureuse s’était arrêtée et se déplaçait ensuite en dehors du parcours. Même si l’on savait qu’elle n’était pas blessée, personne ne comprenait ce qui se passait. L’équipe de la coureuse était injoignable.
Ce n’est qu’en soirée, après la course, que la situation s’est éclaircie. L’athlète avait abandonné et, en accord avec son directeur sportif, avait pris directement la route de l’hôtel de l’équipe. Le manque de communication a ensuite été justifié par des «problèmes de connexion».
Mais Olivier Senn dresse un bilan intermédiaire très encourageant:
Les organisateurs du Tour de Suisse, qui ont eux-mêmes conçu ce centre de contrôle et en assument les coûts (Senn évoque un budget de plusieurs dizaines de milliers de francs), entendent ainsi contribuer à une meilleure sécurité dans le cyclisme. «Nous le faisons de notre propre initiative, mais pour de bonnes raisons », souligne Olivier Senn, en référence aux décès de Gino Mäder et de Muriel Furrer.
Même si les premiers résultats sont très satisfaisants, le directeur du Tour de Suisse sait que le projet est encore loin d’être abouti. «Il faudra constamment l’adapter. Nous avons encore tant à apprendre». La question reste de savoir jusqu’où ce système pourra aller. Et cela renvoie aussi à la question budgétaire. «Voulons-nous investir davantage pour franchir une nouvelle étape?», se demande Senn. Tout en ayant conscience d’une chose:
Le Tour de Suisse va-t-il devenir un pionnier de la sécurité dans le cyclisme? L’UCI s’intéresse au projet-pilote suisse, mais compte, selon Senn, développer son propre système pour les Championnats du monde. Les organisateurs du Tour d’Autriche, frappés l’an dernier par un décès (le Norvégien André Drege est mort dans une descente du Grossglockner), souhaitent, eux, étudier de plus près ce centre de contrôle.
Du côté des organisateurs de grandes courses comme le Tour de France, aucun intérêt ne se manifeste, selon Olivier Senn. Mais pour lui, une chose est certaine: «Un jour, l’UCI obligera les organisateurs à faire quelque chose dans ce sens en matière de sécurité. Nous serons alors dans une bonne position».
Adaptation en français: Yoann Graber