Corentin Moutet est un joueur fantasque. Souvent, il lui arrive de rendre dingue ses adversaires. Il agace les dirigeants de la Fédération française de tennis. Tantôt apprécié par certains, tantôt détesté par d'autres, il divise les amateurs de la petite balle jaune.
Or pour la première fois, le voici qui rassemble, du moins les Français, en ce Roland-Garros 2024.
Sous le crachin parisien, le tennisman comble de joie ses soutiens de la première heure. Averses de services à la cuillère, célébrations dignes de Cédric Doumbé, appels à la ferveur: le divertissement ne manque pas. Les autres suiveurs - habituellement irrités par sa personnalité - reconnaissent son talent. Son style de jeu, si atypique dans le tennis moderne.
Ce tournoi de Roland-Garros n'est pas celui de la rédemption pour Corentin Moutet le détestable. Et pour cause, il est capable de vriller, de perdre ses nerfs à tout moment. Ses frasques ont été beaucoup trop fréquentes par le passé pour qu'elles disparaissent à jamais. Moutet est ainsi fait. Ce tournoi est davantage celui de la revanche, et pas seulement parce qu'il a longtemps été embêté par son poignet la saison dernière.
Corentin Moutet fait un pied de nez magistral à la Fédération française de tennis. Evincé des structures fédérales il y a plus de 18 mois en raison de son comportement sur les courts - pendant que l'enfant terrible Benoit Paire s'en tirait à bon compte, le Francilien, qui a perdu des aides financières et son coach fédéral, est depuis le troisième tour de Roland-Garros le dernier Mohican du tennis masculin tricolore. Il enchante son monde et s'attire la sympathie du public.
Celui que la FFT a construit, façonné durant 15 ans, puis rejeté car il n'était plus digne de l'instance, a été salué vendredi par Gilles Moretton. Le grand patron du tennis français, lui-même, s'est levé une fois la rencontre Moutet-Ofner terminée, applaudissant avec insistance la performance du joueur français.
Le président de la Fédération française de tennis n'avait guère d'autre choix devant un tel succès. D'autant qu'en atteignant les huitièmes de finale du Grand Chelem parisien, Corentin Moutet s'est ouvert les portes des Jeux à la toute dernière minute. Il figurera le 10 juin prochain parmi les 56 meilleurs de la «Race olympique», dans une liste où rappelons-le, il ne peut y avoir que quatre joueurs issus d'une même nation. Moutet a fait un bond en avant grâce à ses résultats à Roland-Garros. Mais en tant que cinquième meilleur français, il doit aussi remercier Adrian Mannarino, mieux classé que lui, et qui ne désire pas participer aux JO chez lui en France.
«Coco» va donc en quelque sorte se retrouver de nouveau sous l'égide de la FFT, cet été à Paris, lorsqu'il portera le coq et défendra son pays durant le tournoi olympique. Vraiment, il n'y a pas plus cocasse comme situation. Le 79e joueur mondial se réappropriera à cette occasion la terre battue, sa surface favorite, la seule sur laquelle il a joué cette saison, et les courts de Roland-Garros, qui lui réussissent ce printemps. Du moins jusqu'à présent, car après les tirages cléments, Corentin Moutet s'apprête à défier l'ogre Jannik Sinner, en huitième de finale de Grand Chelem. Là, ce sera vraisemblablement une toute autre affaire.