A peine avait-il annoncé son départ, mardi midi, que l'après Conseil fédéral était sur toutes les lèvres. Que va faire Alain Berset l'année prochaine? «Quelqu'un m'a dit que c'est la journée du yoga, ce sera peut-être ça dès le 1er janvier. Plus sérieusement, on ne peut pas être engagé comme moi à ce point-là et préparer l'avenir.» Certes.
Une question, malgré tout, difficile: à 51 ans, pas question de prendre sa retraite ou de se contenter de somnoler en fond de salle d'un vague conseil d'administration.
Puisque la plus grande star de la Coupole fédérale refuse de se projeter, on peut essayer de le faire pour lui, en lui conseillant quelques nouvelles occupations, en attendant son (probable) futur poste prestigieux.
Alain Berset est une bête de scène qui s'est révélée durant la pandémie de Covid-19. Dès l'annonce du semi-confinement, le ministre de la Santé a pris à la fois des airs de capitaine de navire et de papa des Suisses à la douce fermeté. Quand Emmanuel Macron avait joué au chef militaire en alignant les formules un poil stérile et Donald Trump s'embourbait dans des contre-vérités, le Fribourgeois avait su rassurer (presque) toute la population.
Une fois à la tribune (chaque semaine), alors que la France refusait de comprendre que «nous sommes en guerre», Berset préférait sortir les Suisses de la crise «aussi vite que possible, aussi lentement que nécessaire».
Et ses talents oratoires y sont pour beaucoup. Ses astuces pour ne jamais être pris au dépourvu, même dans les moments les plus critiques, l'ont rendu à la fois posé, smart et populaire. Ajoutez-y une bonne dose de culture, d'ironie, de charisme et d'entregent... ça ne vous rappelle personne?
En 2016, Barack Obama n'avait que 54 ans quand il a fallu quitter la présidence américaine. Hors de question pour lui de troquer la Maison-Blanche contre une maison de retraite. En 2017, il a donc enfilé le costume de conférencier VIP. D'abord pour quelques loups de Wall Street, puis, plus récemment, en gourou inspirant, mais toujours très (très) bien rémunéré.
Evidemment, la Suisse n'a rien d'un Far-West, les démocrates ne sont pas les socialistes et on voit mal Berset évoquer la paix dans le monde pour 400 000 dollars l'heure. Mais on peut tout à fait imaginer l'ancien capitaine de la nation se transformer en conférencier crédible et sollicité, alignant les scènes publiques et privées pour causer gestion de crise et diplomatie moderne.
Obama s'était lui aussi accroché à sa plume en tombant du Bureau ovale. Le couple n'avait d'ailleurs pas traîné: deux mois après la victoire de Trump, Barack et Michelle signaient un contrat d'édition avec la prestigieuse maison Penguin Random House, pour la modique somme de 60 millions de dollars. Objectif: pondre et sortir un livre de mémoire chacun.
En Suisse, ce ne serait d'ailleurs pas le premier coup de volant littéraire de la part d'un ex-Conseiller fédéral. Le radical et discret Didier Burkhalter, à peine sa cravate dénouée en 2017, sortait son premier véritable bouquin: plusieurs récits récoltés durant ses années de ministre des Affaires étrangères et dédié à la cause de l'enfance. La même année et presque le même titre que celui d'Obama, tiens...
Après 11 ans de «règne», Alain Berset, comme tout politicien de haut rang, aurait évidemment beaucoup de choses à raconter. Si on l'imagine assez mal planter la plume dans son intimité, il paraît logique que papa Covid nous raconte sa version de la pandémie. Personne d'autre n'a, en Suisse, cette légitimité de graver l'histoire du pays, dans sa plus grande crise depuis des brouettes d'années.
Et puis, franchement, même son bras armé de l'époque, le fantasque Daniel Koch, a déposé son oeuvre en librairie à sa retraite. On ne voit donc pas pourquoi le ministre de la Santé (et de la culture!) n'oserait pas faire de même.
Si Micheline Calmy-Rey fait marrer les Beaux Parleurs sur les ondes de La Première avec des sorties parfois un peu limite, la ministre Roselyne Bachelot faisait la pitre sur D8, RTL ou RMC. Très à l'aise à la télévision, Alain Berset trahit à chacune de ses apparitions un plaisir taquin à tutoyer l'humour. Il aime bien faire le beau sur les plateaux. Notamment chez les deux Vincent, semi-confinement ou non.
Grâce au Covid, les jeunes ont non seulement découvert la politique suisse, mais surtout sa rock star. Chouchou du peuple, Berset n'a jamais hésité à se mettre en scène, à froisser doucement les codes de conduite pour que le message passe, jouant notamment le jeu des Youtubeurs et des podcasteurs.
Mais c'est malgré lui que la tempête Berset s'est véritablement abattue sur la Suisse. Grâce notamment à l'humoriste Thomas Wiesel et les créateurs de mèmes, qui se sont tous lâchés durant la pandémie. Un bon client, comme on appelle ça. Anecdote savoureuse: papa Covid est le seul conseiller fédéral à être entré dans le très prestigieux site de GIF Giphy.com
Le Fribourgeois a toujours été le plus adroit avec un smartphone dans les mains, alimentant son propre compte Instagram et incitant le Conseil fédéral à ouvrir le sien. Une fois libéré de son vocabulaire de fonction, on peut tout à fait envisager qu'il lance un format à l'intention de la nouvelle génération, s'associant avec de jeunes producteurs du cru pour parler politique, santé, avenir.
Tout le monde s'en souvient: il y a pile un an, Alain Berset faisait irruption dans le ciel et les médias français. Interpellé en plein vol de plaisance par l’armée française, il avait été forcé d'atterrir pour cause de présence dans une zone réglementée. Une bourde qui lui a coûté une bonne dose de moquerie, alors que certains l'imaginaient devoir démissionner dans la foulée.
Alors, bon, malgré une licence de pilote dans la poche depuis 2009, on conseillera humblement au Top Gun fribourgeois de ne pas se lancer dans une carrière de pilote professionnel.
Sinon? PDG de Pfizer ou du Groupe Mutuel? Pas la meilleure idée, non plus. Coiffeur? Bah, en vérité, pourquoi pas: les vendeurs de Ferrari ne sont jamais ceux qui les achètent. Et puis, de toute manière, Alain Berset aura droit à sa rente annuelle d'environ 200 000 francs (la moitié de son salaire). De quoi tenir quelques mois, se reposer, et faire le bon (et le vrai) choix.