«Elle préparait déjà les échéances pour 2024», raconte un proche, qui ne s’attendait pas à pareille nouvelle. L’annonce, jeudi 14 décembre, du passage d’Elisabeth Baume-Schneider de Justice et Police à l'Intérieur a surpris jusque dans son entourage. Le changement de ministère de la socialiste jurassienne intrigue, désarçonne, inquiète. Un an seulement après son entrée en fonction au gouvernement, au DFJP, dont elle héritait, la voilà qui quitte un département avec lequel elle n’était manifestement pas à l’aise. «Ce n’est pas une fuite», s'est-elle défendue vendredi en conférence de presse. Il vaudrait mieux pour elle que ce ne soit pas non plus une fuite en avant.
Plein de questions se posent. S’agit-il, de sa part, d’une décision envisagée depuis plusieurs mois en perspective d’une possible rocade lors de la succession d’Alain Berset? A l'inverse, tout s’est-il fait dans la précipitation, entre la reconduction du Conseil fédéral mercredi dernier, avec Beat Jans en nouveau venu, et la répartition des portefeuilles le lendemain? Est-ce dans cet intervalle qu’«EBS» a fait part de son envie de mercato? Ou sont-ce ses collègues de l’exécutif qui lui ont forcé la main?
Secret des débats oblige, ces interrogations n'obtiendront probablement pas de réponses. Sinon celle de la nouvelle ministre de l’Intérieur elle-même, dimanche soir sur la RTS, dans la deuxième partie de l’émission Mise au point, lorsqu’elle a assuré que les «discussions» au sein du collège s’étaient passées dans la «sérénité». Jamais encore un conseiller fédéral n’avait changé de pavillon au bout de si peu de temps.
Dieu qu’elle aura été agitée, cette année, unique année, à la tête du DFJP. L’UDC, qui l’aurait pourtant aidée à devenir conseillère fédérale en lui apportant des voix paysannes, ne lui a fait aucun cadeau sur l’épineuse question de l’asile. Le parti identitaire s’est montré agressif avec celle qui, tout enracinée qu’elle est dans ses Franches-Montagnes, n’est pas moins tournée vers l’étranger, ce frère en humanité. Pas simple, quand l’essentiel du poste consiste à faire la chasse au clandestin, cet autre déclaré indésirable.
Le Conseil des Etats n’a pas voulu de son idée de conteneurs pour héberger 3000 demandeurs d’asile – «appel d’air», «trop de dépenses», des capacités d’hébergements «suffisantes». L’UDC et le PLR ont ensuite protesté contre le droit d’asile accordé plus facilement aux femmes afghanes, craignant, là aussi, des hausses de coûts et, à terme, des regroupements familiaux.
Dans le cercle de la conseillère fédérale, on rétorque qu'elle a su trouver des solutions avec les cantons pour l’accueil de requérants, comme elle a su répondre aux attentes des autorités neuchâteloises en réduisant de moitié le nombre de résidents dans le Centre fédéral d’asile de Boudry.
Mais, sans doute moins que la politique menée par la Jurassienne, c’est son style, son tempérament, sa gestion des dossiers qui ont été attaqués. Comme critique, il n’y a pas pire. Le chef du groupe UDC au parlement, Thomas Aeschi, n’est pas tendre ce lundi dans 24 Heures:
Ce que sous-entend Thomas Aeschi, c'est qu'Elisabeth Baume-Schneider n’aurait pas les qualités qu’il faut pour gouverner la Suisse. Elle manquerait d’autorité et d’assurance. Ce reproche faisait officieusement office de fil rouge dans le long portrait que lui a consacré la RTS dans «Mise au point». «Je dois peut-être aussi apprendre à convaincre», reconnaissait-elle. Mais le Conseil fédéral est-il le lieu pour un tel apprentissage? Cette qualité ne va-t-elle pas de soi lorsqu'on en fait partie?
Or l'année qui vient s’annonce rude au DFI. EBS, tenue par la collégialité, devra batailler contre son parti le PS qui soutient l’initiative pour une 13e rente AVS, soumise à votation le 3 mars. Le dossier des primes maladie, sur lequel un grand consensus national est espéré, requerra de l’autorité et de l'entregent.
La future cheffe du Département fédéral de l’intérieur fait valoir sa grande expérience en matière sociale. Elle rappelait dimanche dans «Mise au point» ses années de présidence du conseil de fondation de la Haute École de travail social et de la santé, sise à Lausanne, sans oublier ses douze ans à l’exécutif jurassien et son vif intérêt pour la culture – «elle lit beaucoup», témoigne une ancienne collaboratrice jointe par watson.
Pour Elisabeth Baume-Schneider, l’occasion de quitter le DFJP, qui n’était pas son «premier choix», n’allait pas se représenter de sitôt. A l’entendre, elle l’a saisie. C’est au fond un heureux hasard si cette opportunité s’est présentée si vite.
Si la presse romande – à l’exception du Matin Dimanche – épargne plutôt la Jurassienne, c’est moins ou très peu le cas des médias alémaniques, où le mot «fuite» revient tel un leitmotiv. Quant aux réseaux sociaux, en Suisse alémanique toujours, ils sont parfois sans pitié.
Ce «bashing» au détriment de la socialiste insupporte son camarade de parti, le Vaudois Pierre-Yves Maillard, lequel constate «l’habituel concert de préjugés contre une femme d’Etat romande et populaire». Le président de l’Union syndicale suisse (USS), qui vient de se faire élire au Conseil des Etats, affirme qu’«Elisabeth Baume-Schneider a montré les qualités d’une conseillère fédérale».
Pour Pierre-Yves Maillard, les critiques venant de la presse de ce dimanche sont «grossièrement convenues» et ont tendance à «mépriser toute personne qui ne correspond pas à l’idée très carrée qu’on propage d’un conseiller fédéral, sans égard pour ses prestations réelles». «On a pareillement moqué, au début, le style populaire d'un Adolf Ogi ou d'un Guy Parmelin. Ils ont mis tout le monde d'accord», fait-il observer.
«Elisabeth Baume-Schneider a la modestie de ses origines sociales, mais elle sait s’imposer et vient de le montrer. Elle est respectée par ses collègues et fera tout pour être loyale à ses convictions. C’est sans doute ce qui gêne», ajoute le nouveau sénateur vaudois, prêt à rendre les coups.