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Analyse

La nouvelle conception de la neutralité suisse

epa09972786 Ignazio Cassis, President of the Swiss Confederation, before a video meeting with Denys Shmygal, Prime Minister of Ukraine in the House of Switzerland, during the 51st annual meeting of th ...
Le président de la Confédération Ignazio Cassis au WEF de Davos. Il a présenté le concept de «neutralité coopérative».image: keystone
Analyse

Comment la guerre et l'ONU forcent la Suisse à réinventer sa neutralité

La guerre en Ukraine et l'élection au Conseil de sécurité de l'ONU constituent un défi pour la neutralité de la Suisse. Une interprétation flexible de la neutralité n'est, toutefois, pas nouvelle.
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18.06.2022, 11:50
Peter Blunschi
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L'UDC a tenté à plusieurs reprises d'empêcher la candidature de la Suisse à un siège au Conseil de sécurité des Nations unies. A chaque fois, cette tentative s'est terminée par un échec au Parlement. Jeudi dernier, le jour de la décision, le parti a manifesté sur la Place fédérale avec des banderoles sur lesquelles on pouvait lire:

«Maintenant, la Suisse a définitivement pris part à la guerre»

Il était impossible d'empêcher cette élection. Faute de candidats opposés, la Suisse a été élue au Conseil de sécurité pour 2023 et 2024 par l'Assemblée générale de l'ONU à New York, avec 187 voix sur 192. L'ambassadrice Pascale Baeriswyl prendra place à la table ronde et devra, dans certaines circonstances, décider de la guerre et de la paix.

D'autres pays neutres, comme l'Autriche et la Suède, ont siégé à plusieurs reprises au Conseil de sécurité. Pour l'UDC et sa conception dogmatique de la neutralité, il s'agit là d'un péché pour la Suisse. Pourtant, elle ne s'est jamais tenue strictement à l'écart des conflits et des guerres. Pendant la guerre froide, la Suisse faisait partie de l'alliance occidentale.

Peu de compétences stratégiques

Pourtant, les critiques ne se sont pas limitées à l'UDC. «La Suisse aurait mieux fait de ne jamais se porter candidate au Conseil de sécurité de l'ONU», ont commenté les journaux de Tamedia. Ce n'est pas tant la neutralité en soi qui est en cause. On craint que le dispositif du Palais fédéral ne soit «tout simplement pas conçu» pour la prise de décision souvent rapide au Conseil de sécurité.

Le diagnostic n'est pas faux. Ces dernières années, le Conseil fédéral et le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) ne se sont pas distingués par leur habileté stratégique. A plusieurs reprises, ils ont semblé dépassés, notamment en matière de politique européenne. Ils ont également été surpris par l'attaque russe contre l'Ukraine. Les réactions initiales ont été d'autant plus confuses.

Le temps a passé

La Suisse avait déposé sa candidature au Conseil de sécurité en 2011. A l'époque, la première agression de Vladimir Poutine contre l'Ukraine, avec l'annexion de la Crimée en 2014, n'était pas prévisible et la guerre actuelle encore moins. Personne ne voulait entendre les mises en garde contre une nouvelle guerre froide entre le bloc occidental et un bloc russo-chinois.

La Suisse va maintenant faire partie du Conseil de sécurité dans ce contexte difficile. Des décisions délicates sont à prévoir. Elles peuvent être l'occasion d'approfondir la place de la neutralité dans le «désordre mondial» du 21e siècle. Car aux Etats-Unis surtout, la neutralité de la Suisse n'est pas uniquement considérée comme positive.

La guerre d'Ukraine comme test de résistance

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Suisse était considérée par les Américains comme une collaboratrice du régime nazi. C'est aussi pour cette raison qu'elle s'est positionnée dans le camp occidental pendant la guerre froide. Mais le vieux scepticisme n'a pas disparu. «Même la Suisse» a repris les sanctions contre la Russie, s'est étonné le président Joe Biden.

La guerre en Ukraine est un nouveau test de résistance pour la neutralité suisse. Le débat sur d'éventuelles livraisons d'armes, directes ou indirectes, ou sur un rapprochement avec l'Otan en témoigne. Jeudi dernier, lors de l'élection de la Suisse au Conseil de sécurité, le Conseil national a en outre voté en faveur d'une nouvelle rupture de tabou.

Des sanctions propres à l'avenir?

A l'avenir, la Suisse devrait pouvoir imposer des mesures pénales permanentes, a décidé la Grande Chambre par 136 voix contre 53, contre la volonté du Conseil fédéral et de manière inattendue. Reste à savoir si le Conseil des Etats suivra. Lors du premier examen de la loi sur les embargos il y a huit mois, il avait rejeté les sanctions autonomes.

Alt-Bundesrat Christoph Blocher spricht bei der Mitgliederversammlung der AUNS, am Samstag, 2. April 2022, in Bern. (KEYSTONE/Peter Klaunzer)
Christoph Blocher veut défendre la «neutralité intégrale» par le biais d'une initiative populaire.image: keystone

Les partisans au Conseil national ont parlé d'un gain de souveraineté et du fait que le monde avait changé avec la guerre en Ukraine. Le président de la Confédération et ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis (PLR), qui pour beaucoup faisait jusqu'à présent plutôt partie du problème que de la solution, a cherché à se libérer lors du Forum économique mondial (WEF) de Davos fin mai.

La neutralité et ses adjectifs

Dans son discours d'ouverture, il a inventé le terme de «neutralité coopérative». En tant que pays neutre, la Suisse s'engage pour le renforcement des valeurs fondamentales, la garantie des efforts de paix et pour une architecture de sécurité stable et basée sur des règles, a déclaré Cassis. Les critiques ont eu le sentiment que la «neutralité active» de Micheline Calmy-Rey n'était pas sans rappeler celle de la Suisse.

Ignazio Cassis a-t-il ajouté au concept de neutralité un adjectif supplémentaire qui ne veut rien dire? Ou la neutralité coopérative a-t-elle tout ce qu'il faut pour «devenir la formule de politique étrangère des années à venir», comme le suggère la NZZ dans un commentaire bienveillant? En fin de compte, ce n'est pas l'enveloppe qui compte, mais le contenu.

Un peuple pragmatique

Face à la guerre en Ukraine, la Suisse doit pour ainsi dire réinventer sa neutralité. La rédaction de Tamedia s'est également montrée sceptique à cet égard. Elle craint que le temps presse pour le doyen de l'UDC Christoph Blocher et son initiative populaire pour une «neutralité intégrale», surtout si la guerre devait durer encore longtemps.

Si le Conseil fédéral n'assume pas son nouveau rôle de manière convaincante, que ce soit au niveau des sanctions ou du Conseil de sécurité, «la mentalité de hérisson pourrait bientôt redevenir le courant dominant en Suisse», peut-on lire dans l'éditorial. Il n'y aura, toutefois, pas de retour en arrière. La population suisse juge la neutralité de manière tout à fait pragmatique, comme le montre un sondage Gallup.

Maintenant plus que jamais!

Un rapprochement avec l'Otan est soutenu par près de 50% des personnes interrogées. Il se peut que le peuple soit plus avancé sur cette question que certains politiciens (pas seulement ceux de l'UDC) et que les médias. La neutralité n'est pas un dogme, mais un concept flexible qui doit être adapté en permanence aux défis de notre temps.

C'est pourquoi la participation au Conseil de sécurité de l'ONU n'est certes pas sans risque, mais c'est aussi une chance. Selon le commentaire de Tamedia, la devise de la Suisse doit être «fermer les yeux et passer à travers». En réalité, la devise est: «Maintenant plus que jamais».

Cette carte animée montre tous les bombardements russes en Ukraine
Video: watson
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