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Ukraine: Zelensky pousse la Suisse dans un champ de mines

epa11079657 Swiss Federal President Viola Amherd (L) and Ukrainian President Volodymyr Zelensky (R) inspect the guard of honor in Kehrsatz near Bern, Switzerland, 15 January 2024. Zelensky will attend ...
Viola Amherd et Volodymyr Zelensky ce lundi au manoir du Lohn.Keystone
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Zelensky pousse la Suisse dans un champ de mines

La Suisse veut organiser une conférence de paix pour l'Ukraine. Dans les faits, elle se laisse embarquer par Volodymyr Zelensky, mais le risque d'échec est réel.
18.01.2024, 06:0718.01.2024, 12:33
Peter Blunschi
Peter Blunschi
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Volodymyr Zelensky s'est peut-être déjà énervé contre la Suisse. Mais le président ukrainien n'a pas eu à se plaindre de l'accueil qui lui a été réservé à Berne cette semaine. Il a rencontré au Palais fédéral les dirigeants du Conseil national, du Conseil des Etats et des partis (à l'exception de l'UDC). Il a ensuite été accueilli au manoir du Lohn par trois membres du Conseil fédéral.

Lors de la conférence de presse qui a suivi, la présidente de la Confédération Viola Amherd a fait une annonce surprenante:

«La Suisse est prête à organiser un sommet pour la paix de haut niveau»
Viola Amherd

Les préparatifs commenceraient immédiatement, sous la direction du Département des affaires étrangères (DFAE).

Cette annonce n'est pas tout à fait inattendue. Zelensky s'efforce depuis un certain temps d'obtenir un large soutien pour sa formule de paix en dix points. Quatre conférences au format «technique» ont déjà eu lieu, la dernière ayant eu lieu dimanche dernier à Davos. Le prochain objectif des Ukrainiens est un grand sommet pour paix, si possible au niveau gouvernemental.

Le prestige de la Suisse

La Suisse souhaite y contribuer. La Russie, qui mène depuis bientôt deux ans une guerre d'invasion meurtrière contre son pays voisin, n'en fait toutefois pas partie. Du point de vue ukrainien, elle est même indésirable. Zelensky veut rallier à sa cause le plus de pays possible, surtout ceux du Sud global, comme il l'a expliqué lors de la conférence de presse.

Au cœur des tensions et des défis sur le champ de bataille, l'Ukraine déploie une stratégie intelligente visant à sécuriser une percée diplomatique significative. La Suisse est un moyen d'arriver à ses fins. Lors de sa visite à Berne, Volodymyr Zelensky ne s'intéressait pas tant aux armes et à l'argent qu'au prestige de la Suisse en tant que médiateur neutre.

En Europe et aux Etats-Unis, sa neutralité est peut-être de plus en plus mise en doute, en raison du refus de transmettre des armes ou parce qu'elle ne confisque pas assez d'argent russe. Mais dans une grande partie du monde, l'image de la Suisse est intacte parce qu'elle n'a jamais été une puissance coloniale, qu'elle ne poursuit pas d'agenda géopolitique et en raison de sa tradition humanitaire.

Zelensky et Cassis à Kloten.
Zelensky et Cassis à Kloten.Image: KEYSTONE

C'est pour cette raison qu'elle doit fournir l'aide nécessaire à l'Ukraine. Mais la Suisse s'engage ainsi sur une voie risquée. Elle se range définitivement du côté du pays attaqué. En d'autres termes, elle pratique la «neutralité coopérative» que le Conseil fédéral avait rejetée à l'automne 2022.

Certains pays sont sceptiques

On peut voir cela comme une reconnaissance des réalités mondiales. Mais les risques sont considérables. Viola Amherd s'est efforcée lundi de tempérer les attentes: «Nous voulons que ce processus de paix réussisse». Cela ne peut réussir que si des poids lourds comme le Brésil, l'Inde, l'Arabie saoudite et l'Afrique du Sud y participent.

Ils étaient représentés à la conférence de dimanche à Davos. Mais c'est justement de leur côté que la «formule de paix» de Zelensky a manifestement déplu, comme l'a reconnu son chef de bureau Andriy Yermak devant les médias. Pour un sommet au niveau ministériel ou même avec les chefs d'Etat et de gouvernement, il faudra sans doute encore faire preuve de persuasion.

Car de nombreux pays du Sud ont du mal à prendre leurs distances avec la Russie. Il peut y avoir des raisons historiques à cela. L'Union soviétique avait soutenu de nombreux mouvements de libération contre les puissances coloniales occidentales, dont l'African National Congress (ANC), au pouvoir en Afrique du Sud depuis la fin de l'apartheid en 1994.

Ce parti a été dénigré en Occident comme communiste et terroriste. C'était même le cas de son leader, Nelson Mandela, célébré plus tard comme une icône de la liberté et de la paix. Les Sud-Africains ne l'ont pas oublié. Il y a environ un an, ils ont suscité l'irritation et l'inquiétude en organisant une manœuvre navale commune avec la Russie et la Chine.

Le problème chinois

La Chine est de toute façon le «cas problématique». Sans sa participation, un sommet pour la paix n'a guère de sens. Avant le début de la guerre, Pékin avait envoyé des signaux d'espoir. Depuis, le chef d'Etat Xi Jinping soutient sans complexe son «ami» Vladimir Poutine. Ils ont en commun la haine de «l'Occident» et la nostalgie d'une grandeur impériale perdue.

Cette alliance semble encore tenir. Une rencontre entre Zelensky et le Premier ministre chinois Li Qiang, souhaitée par la Suisse, n'a pas eu lieu, bien que les deux hommes se soient rendus à Berne lundi et que le WEF de Davos n'ait commencé que mardi. Selon le Tages-Anzeiger, le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis devrait désormais se rendre prochainement à Pékin.

Il veut donc mener des discussions sur une éventuelle participation de la Chine au sommet pour la paix. Mais Cassis n'a rien à offrir aux Chinois. Il devra se rendre en quémandeur et déployer toute l'habileté diplomatique par laquelle il ne s'est pas fait remarquer jusqu'à présent. Le risque est grand qu'il revienne bredouille.

Dans ce cas, d'autres pays de poids pourraient également hésiter à participer à une conférence de haut niveau en Suisse. La Confédération n'aurait d'autre option que d'organiser une réunion avec les «usual suspects». Ou d'admettre son échec. Elle se serait laissée «embarquer» par Volodymyr Zelensky dans une mission impossible.

Peut-être y parviendra-t-on. C'est tout à l'honneur de l'Ukraine, qui a besoin de toute l'aide possible. Mais un échec aurait peut-être un effet salutaire pour la Suisse. Elle devrait définitivement comprendre que la neutralité et les bons offices n'ont plus de sens dans le contexte géopolitique actuel. Ce qui compte, c'est le pouvoir et l'influence.

Traduit et adapté par Noëline Flippe

Zelensky révèle où il se trouve à Kiev
Video: watson
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