Ouverture des restaurants à l'intérieur, fin du télétravail, le retour à la vie normale est en train de se faire progressivement. Mais attention, juridiquement parlant, la Suisse se trouve encore dans une «situation particulière». Celle-ci, différente de la «situation extraordinaire» qui jusqu'en été 2020 a permis au Conseil fédéral de décider de mesures sans base légale, est définie par la Loi sur les épidémies (LEp):
S'il y a situation particulière, la loi prévoit que le Conseil fédéral puisse, après avoir consulté les cantons (mais sans avoir besoin qu'ils soient d'accord):
L'urgence sanitaire est toujours d'actualité pour l'OMS. Il existe des pays où la vaccination est beaucoup moins pratiquée, de nouveaux variants peuvent apparaître, etc. La condition contenue dans le point b de l'alinéa est donc remplie. Mais qu'en est-il du risque couru par la santé publique... en Suisse (point a)? Le Conseil fédéral est d'avis qu'elle est encore en danger et que les moyens de la protéger qu'il y aurait dans une situation normale ne suffisent toujours pas.
Or, à l'heure de la nette baisse des hospitalisations liées au virus, de la vaccination réussie des personnes vulnérables et des réouvertures en tout genre, la question se pose: quand le Conseil fédéral envisagera-t-il de mettre fin à la situation particulière – et donc de rendre ses pouvoirs spéciaux? La réponse officielle: quand lui-même, «en concertation étroite avec les cantons, parviendra à la conclusion que les conditions énoncées ne sont plus réunies.»
Deux élus UDC, le conseiller aux Etats tessinois Marco Chiesa et le conseiller national zougois et chef de groupe Thomas Aeschi, ont chacun déposé une motion identique intitulée «Covid-19. Mettre fin immédiatement à la situation particulière au sens de l'article 6 LEp». Elle sera traitée dans les chambres respectivement le 14 juin et le 16 juin.
Pour les deux pontes du parti, c'est la première condition décrite dans le point a qui n'est plus remplie actuellement: «Il y a plus de 12 mois que la pandémie s'est déclarée. Tant les personnes en Suisse que les institutions suisses ont appris à vivre avec le virus SARS-CoV-2. Les "organes d'exécution ordinaires" sont désormais très certainement" en mesure de prévenir et de combattre l'apparition et la propagation" du SARS-CoV-2.» Par ailleurs:
La Loi Covid, sur laquelle nous nous prononcerons le 13 juin prochain, reste en vigueur si la situation particulière prend fin. Il faut en effet distinguer la Loi sur les épidémies et la Loi Covid, c'est d'ailleurs l'un des principaux arguments du Conseil fédéral pour défendre cette dernière loi, qui lui permet notamment de prendre de mesures de soutien financier sous forme d'ordonnances, mais aussi de décider de l'élaboration d'un certificat sanitaire, du traçage des contacts et de la suppression de la quarantaine pour les personnes vaccinées.
En revanche, l'ordonnance COVID-19 situation particulière serait abrogée, car elle dépend de la Loi sur les épidémies. Concrètement, cela signifierait que les mesures de protection dans les entreprises ou les transports publics et les règles de quarantaine de contact tomberaient, n'ayant plus de base légale.
Ce genre de décisions reviendraient en partie aux cantons. On se souvient des rires – ou de la consternation, c'est selon – qu'avait suscités l'été dernier le fait de devoir porter le masque dans un canton ,mais pas dans l'autre, ou de devoir passer la frontière bernoise pour se faire un restau. Or, un an de gestion de crise est passé par là et la «concurrence intercantonale» des mesures a peut-être permis de faire émerger les meilleures d'entre elles. Rien n'indique donc qu'un nouveau méli-mélo se profilerait.
La question de la pertinence juridique des pouvoirs supplémentaires détenus par le gouvernement dans la situation actuelle au motif de la gestion du Covid-19 n'est pas cantonnée à la Suisse. Elle n’est pas non plus confinée aux activités parlementaires ou aux partis politiques.
Au Royaume-Uni, par exemple, le haut magistrat de renom Jonathan Sumption, maintenant à la retraite, mène une fronde non pas tant sur les mesures coercitives édictées par l'exécutif que sur la manière dont elles ont été prises. Pour lui, la base juridique de ces mesures fondées sur des lois qui au départ n'étaient pas prévues pour ça et contrôlées par le législatif seulement de façon minimale est douteuse et anticonstitutionnelle, comme il le décrit dans son récent livre.
L'empiètement du législatif par l'exécutif est un vieux thème ayant trait à la séparation des pouvoirs, comme peut l'être la question des juges prenant le dessus sur la démocratie. Au fond, il s'agit d'une question de principe portant sur le respect ou non de ce qui fait nos démocraties libérales. Quel que soit le résultat de cette discussion, il est toujours sain pour une société libre de réfléchir à son état actuel.