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Analyse

La justice vaudoise, prise de guerre des anti-wokes américains

Elon Musk (à gauche) et le sénateur républicain du Texas, Ted Cruz, opposés à la condamnation à la prison ferme d'Alain Soral par la justice vaudoise.
Elon Musk (à gauche) et le sénateur républicain du Texas, Ted Cruz, opposés à la condamnation à la prison ferme d'Alain Soral par la justice vaudoise. image: saïnath bovay
Analyse

Pourquoi la Suisse se retrouve mêlée à la guerre anti-woke américaine

Le tribunal vaudois qui a condamné Alain Soral à la prison ferme pour homophobie ne s'attendait sans doute pas à voir son jugement contesté par Elon Musk et le sénateur républicain du Texas, l'ultraconservateur Ted Cruz. En arrière-fond, la bataille qui fait rage aux Etats-Unis entre la droite identitaire et la gauche woke.
05.10.2023, 18:5706.10.2023, 12:04
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De bleu! Un jugement du tribunal cantonal vaudois fait polémique aux Etats-Unis. De là à dire qu’il s’invite dans l’élection présidentielle qui aura lieu dans un an, il y a un pas… qu’on peut franchir. En effet, tout est bon pour marquer des points dans la guerre culturelle qui oppose outre-Atlantique les Républicains à la gauche woke, la droite identitaire à la révolution progressiste.

Au cœur de cette polémique américaine: la liberté d’expression. La condamnation à 60 jours de prison ferme, prononcée lundi en appel contre le polémiste d’extrême droite Alain Soral, reconnu coupable de discrimination et d’incitation à la haine sur fond de propos homophobes, a traversé l’océan via une dépêche de l’agence de presse américaine AP, reprise par la chaîne NBC sur son site. Grande visibilité garantie.

Soral, un pouvoir de nuisance en terre vaudoise

Pas sûr que le bureau genevois d’AP aurait consacré un article à cette affaire, si le condamné, multicondamné en France pour antisémitisme, n’était pas connu comme le loup blanc. Résultat, la tranquillité vaudoise est rompue. Alain Soral, de son vrai nom Alain Bonnet, installé à Lausanne depuis janvier 2020 dans le but d’échapper à la justice française, représente bien le pouvoir de nuisance que les autorités de la ville et du canton redoutaient.

Car voilà que deux poids lourds des Etats-Unis, le milliardaire Elon Musk et le sénateur républicain du Texas, Ted Cruz, candidat à la primaire de son parti en 2016, ferme soutien de Donald Trump à de la dernière présidentielle, ont dit tout le mal qu’ils pensaient de la condamnation du néo-Lausannois à de la prison ferme.

«L’emprisonnement pour des insultes est absurde»

Ils l’ont fait savoir mercredi 4 octobre sur X (ex-Twitter). L’un et l’autre réagissaient à un tweet posté le même jour par un certain Richard Hanania, un jeune Américain auteur d’un ouvrage anti-woke, «The Origins of Woke», décrit comme «la muse intellectuelle de l'ultradroite de la Silicon Valley» par le New York Magazine. Cet ennemi du wokisme y déplorait le jugement rendu par le tribunal cantonal vaudois.

Il illustrait son propos d'une capture d’écran du site de la chaîne NBC, où l'on pouvait lire que «des groupes suisses LGBT ont obtenu la prison ferme pour un commentateur (Alain Soral) ayant qualifié une journaliste de "grosse lesbienne"». Richard Hanania mettait en garde contre les LGBT, synonymes de wokes:

«N'oubliez pas qui sont ces personnes et ce qu'elles vous feraient si elles avaient le pouvoir»
Image

Le sénateur Ted Cruz, un ultraconservateur sur la question des mœurs, enchaînait comme on prend la relève: «L’emprisonnement pour des insultes (même des insultes grossières et juvéniles) est absurde.»

Il ajoutait:

«Réjouissez-vous que la liberté d'expression soit protégée par la Constitution américaine»
Le sénateur Ted Cruz

Au passage, le sénateur texan égratignait NBC, chaîne réputée anti-Trump, lui reprochant d'avoir donné de l’importance à une décision de justice bafouant selon lui le premier amendement de la Constitution des Etats-Unis garantissant la liberté d’expression, «qui, bien sûr, ne s’applique pas la Suisse», nuançait-il, soudain diplomate.

Les faits les intéressent-ils seulement?

Quant à Elon Musk, le patron de Tesla et SpaceX, chez lui sur X, sa propriété, il twittait, l’air de pas y toucher:

«Ce qu'il (Alain Soral) a écrit était certainement grossier, mais de là à en faire un délit pénal...?»

Cruz et Musk avaient-ils connaissance des éléments réunis par la justice vaudoise pour condamner Alain Soral? De la manière dont celui-ci s'y était pris pour dénigrer Cathy Macherel, la journaliste de la Tribune de Genève traitée de «grosse lesbienne» sur son site Egalité & Réconciliation? Rappelons qu’Alain Soral réagissait à un article de la journaliste, qui rappelait le parcours idéologique et pénal du Franco-Suisse venu se mettre au vert, pensait-il, dans le chef-lieu vaudois.

Ne rien lâcher

Qu’Elon Musk et Ted Cruz aient eu une vue d’ensemble du cas «Macherel contre Soral» avant d'exprimer leur point de vue n’est sans doute pas ce qui compte ici. L’essentiel est qu’ils aient jugé utile de prendre position, fait notable, à la suite d’un tweet publié par le titulaire d’un compte résolument anti-woke. Par la même occasion, ils se sont démarqués de la chaîne NBC.

Comme s’il fallait répliquer à tout argument pouvant faire douter les citoyens américains de leur Constitution. En particulier du premier amendement relatif à la liberté d’expression, quasi sans limite aux Etats-Unis, comme du deuxième garantissant à tout Américain le droit de posséder une arme, cher au sénateur Ted Cruz. Juriste de formation, le Texan est un spécialiste de la Constitution, à laquelle il voue un culte, comme beaucoup aux Etats-Unis.

Contacté par watson, le géopolitologue français Dominique Moïsi, spécialiste des Etats-Unis, analyse cette passe d’armes:

«On a là un avant-goût de la prochaine campagne présidentielle, cela préfigure le débat extrêmement polarisé sur les questions sociétales auquel on assistera à cette occasion»

Mise en cause par Elon Musk et Ted Cruz – ce n’est pas rien –, la justice vaudoise estime par la voix du ministère public qu’«il n’y a pas lieu de réagir». D’autant, ajoute-t-il, qu’il faut s’attendre à un recours du polémiste auprès du Tribunal fédéral, au besoin devant la Cour européenne des droits de l'homme, comme l’a confié Pascal Junod, l’avocat d’Alain Soral, à l’agence Associated Press. Sollicité par watson, ce dernier n’a pas donné suite.

Elon Musk a sa version chinoise, voici «Elong Musk».
Video: watson
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