Les Chemins de fer fédéraux suisses sont considérés comme une entreprise exemplaire. Il n'y a guère d'autres pays où l'horaire est aussi dense et fiable. Les retards qui ont fait parler d'eux il y a quelques années semblent avoir été maîtrisés. La pénurie de conducteurs de locomotive a pu être désamorcée et la situation stabilisée.
En revanche, de nouveaux chantiers sont apparus. Depuis quelque temps, les perturbations lors de l'achat de billets dans l'appli CFF et parfois aux distributeurs automatiques sont de plus en plus fréquentes. Des «problèmes techniques» non précisés sont le plus souvent invoqués. Cela suscite des questions sur l'infrastructure informatique.
Cela pose problème. En matière de vente de billets en ligne, les CFF sont à la traîne des entreprises ferroviaires des pays voisins. Certes, la boutique en ligne vieillissante a été «améliorée», mais il n'est toujours pas possible de réserver directement une place assise. Et l'application CFF ne permet pas d'acheter des billets pour les liaisons internationales.
Chez DB, SNCF ou Trenitalia, l'achat de billets internationaux via une application est possible sans problème depuis des années, et souvent à un prix plus avantageux. «Vous avez tout à fait raison, il s'agit de notre point faible», reconnaissait le directeur général des CFF, Vincent Ducrot, il y a deux ans.
Le nouveau train à deux étages pour les grandes lignes (Duplex TGL), acquis comme «vaisseau amiral» sur l'axe est-ouest, se révèle également être un point faible. Dès le début, il n'y a eu que des problèmes. La livraison a été retardée, les associations de personnes handicapées se sont plaintes des rampes trop raides et la technique d'inclinaison s'est révélée problématique.
Avec elle, les CFF voulaient réduire les temps de trajet sans mesures de construction coûteuses. Mais malgré la «compensation du roulis», les passagers n'ont pas supporté les trajets d'essai. Sur l'axe est-ouest, il est possible que «20% des passagers aient la nausée», a déclaré Peter Füglistaler, directeur de l'Office fédéral des transports (OFT), dans une interview accordée à CH Media.
L'année dernière, les CFF ont dû admettre que la compensation du roulis ne fonctionnait pas. Mais les secousses agaçantes n'ont pas pu être totalement éliminées, et les toilettes bio sont également source d'irritation. Les CFF et l'OFT ne veulent donc plus acquérir à l'avenir des trains «sur mesure», mais uniquement des trains basés sur des technologies éprouvées.
Des lacunes connues depuis des années dans la vente des billets et un train de prestige qui ne tient pas ses promesses: ce sont les symptômes typiques d'une entreprise monopolistique qui peut agir sans concurrence. C'est le cas des CFF, du moins en trafic grandes lignes. En 2018, l'OFT a voulu remettre au concours la concession et assurer ainsi une plus grande concurrence.
Les entreprises de taille moyenne comme le BLS ou le Schweizerische Südostbahn (SOB) devaient avoir la possibilité d'exploiter certaines liaisons en concurrence avec les CFF. Au final, rien n'a changé. Les CFF laissent une part du gâteau au BLS et au SOB, mais la concession, et donc le monopole de fait, reste entre leurs mains.
Les signes d'une plus grande fermeture vis-à-vis de l'étranger sont également visibles. En mars, la Schweiz am Wochenende révélait qu'à partir de 2024, les CFF ne vendront plus que des billets pour des voyages dans les pays voisins. Les tickets pour les trains au Royaume-Uni, en Espagne, en Croatie, en Slovénie, en Hongrie, en Norvège, en Suède, en Finlande, au Portugal, en Pologne et dans d’autres pays d'Europe de l'Est ne seront plus disponibles, à quelques exceptions près.
Il existe également des incohérences dans le trafic transfrontalier. Récemment, la NZZ a reproché aux CFF de négliger le trafic longue distance au profit du trafic régional. La ligne entre Lugano et Milan était concrètement citée. Les trains reliant Zurich à Munich, qui n'arrivent pratiquement jamais à l'heure, sont également une source d'irritation permanente.
Et cela pourrait encore s'aggraver. Dans le projet d'horaire de l'OFT pour 2035, divers trains ne devraient plus circuler que jusqu'à la frontière nationale après Bâle. Cela ne concerne pas seulement les trains ICE allemands, notoirement peu ponctuels, mais aussi le TGV de Zurich à Paris, très apprécié et fiable. A l'intérieur du pays, les signes de démantèlement sont également présents.
La Communauté d'intérêts pour les transports publics (itrap) a réagi avec consternation et a parlé de la «plus grande détérioration de l'horaire de tous les temps».
L'UE a libéralisé le transport international de voyageurs en 2019. Les coopérations par-delà les frontières ne sont pas nouvelles, mais les entreprises ferroviaires doivent désormais ouvrir leurs sillons à des concurrents étrangers. Dans la pratique, c'est souvent plus facile à dire qu'à faire, et pourtant, dans des pays comme l'Espagne, la libéralisation permet d'accroître la concurrence.
L'Italie, où le transport ferroviaire a été libéralisé il y a plus de dix ans déjà, fait figure de modèle. Depuis, des trains privés Italo circulent sur le réseau à grande vitesse en plus du Frecciarossa de l'entreprise publique Trenitalia. Selon les experts, la concurrence effrénée a contribué à la faillite de la compagnie aérienne Alitalia.
Depuis la libéralisation à l'échelle européenne, Trenitalia propose une liaison Frecciarossa de Milan à Paris. Récemment, le groupe public a présenté le projet d'une liaison directe avec son train phare de Milan à Munich dès 2025. Le temps de trajet ne devrait être que de quatre heures. Il est même question d'un Frecciarossa reliant Berlin à Rome.
En Suisse, en revanche, la libéralisation du trafic ferroviaire suscite une réaction défensive bien connue. Si l'on devait libérer des sillons pour des entreprises ferroviaires internationales, l'offre des CFF pourrait se dégrader et devenir plus chère, a averti la présidente du conseil d'administration Monika Ribar dans une interview au Sonntagszeitung:
Le syndicat des cheminots SEV ne voit pas d'un bon œil une liaison entre Zurich et Munich assurée par l'opérateur privé Flixtrain. Il craint pour la protection des salaires, ce qui pourrait entraîner des complications supplémentaires dans les discussions déjà difficiles avec l'UE sur une éventuelle nouvelle édition de l'accord-cadre.
Le directeur de l'OFT a toutefois fait remarquer que la Suisse avait déjà promis, dans l'accord sur les transports terrestres existant, d'aligner sa législation en matière de trafic transfrontalier sur celle de l'Union européenne (UE):
Comme la Suisse ne respecte pas sa part, l'UE bloque les développements dans divers dossiers, a déclaré Peter Füglistaler. Il estime qu'une solution est possible malgré la polémique autour de l'horaire 2035:
Cela semble plausible. Même le Flixtrain pour Munich ne serait pas un sujet de préoccupation pour Peter Füglistaler: «Avec un peu de bonne volonté, le Flixtrain pourrait être intégré sans problème dans le réseau suisse». Ce que le chef sortant de l'OFT ne dit pas, mais qu'il pense peut-être, c'est qu'un peu de concurrence pourrait donner un coup de pouce aux CFF.
Traduit et adapté par Nicolas Varin