Dans l’affaire Joseph Daher – ce professeur invité auquel l’Université de Lausanne (Unil) n’a pas renouvelé le contrat –, chacun comprend que le motif invoqué pour ce non-renouvellement contractuel tient plus au fond qu’à la forme, même si l'une et l'autre sont indissociables.
Bref rappel. Dans une enquête administrative ouverte contre Joseph Daher suite à sa participation au mouvement d’occupation de l’Unil par un collectif propalestinien au printemps dernier, la direction de l’Unil lui reproche d’avoir transmis sa «campus card» (clé numérique) à une étudiante provenant d’une autre université. Munie de cette campus card qui lui permettait d’aller et venir, cette dernière, elle-même militante propalestinienne, aurait passé une ou plusieurs nuits dans les locaux de l’Unil.
La direction universitaire estime que Joseph Daher, qui peut compter sur le soutien du Syndicat des services publics, a commis une faute en transmettant sa clé numérique à une tierce personne, qui plus est étrangère à l’Unil. Cette faute lui vaut une sanction prenant la forme d’un non-renouvellement de contrat – en tant que professeur invité, Joseph Daher n’était pas au bénéfice d’un contrat à durée indéterminée.
Ses soutiens contestent la légitimité, sinon la légalité de la décision du rectorat. Ils estiment que l’argument de la campus card est un «prétexte» dont se sert la direction de l'université pour mettre fin à la collaboration de Joseph Daher avec l’Unil. Ils dénoncent une sanction politique qui ne dit pas son nom.
Dans cette affaire, où aucune des parties ne joue véritablement franc jeu, tout ou presque réside dans les non-dits. Les partisans du professeur invité, qui devait assurer un enseignement ce semestre à l’EPFL en tant que chargé de cours (l’étude des «mouvements de l'Islam politique dans une perspective critique»), n’ont pas tout à fait tort lorsqu’ils parlent d’un «prétexte», comme on va le voir, mais ils se gardent bien de soulever le fond du problème, sachant que cela pourrait ne pas être à l'avantage du mis en cause.
La direction de l’Unil a agi envers Joseph Daher un peu comme la justice américaine l'avait fait avec Al Capone, le célèbre gangster, tombé en 1931 pour fraude fiscale, un «prétexte». Joseph Daher n’est évidemment pas un gangster, mais le rectorat aura préféré agir sur l’accessoire, la campus card, plutôt que sur l’essentiel, son militantisme, qui apparaît comme étant le véritable motif de l’enquête administrative lancée contre lui.
Car le militantisme de Joseph Daher – un francophone originaire de Syrie, spécialiste, entre autres, du mouvement chiite libanais Hezbollah – est indéniable. Nous ne parlons pas ici de ses cours donnés à ses étudiants, mais de son engagement, l’an dernier, sur le campus de l’Unil, auprès des étudiants impliqués dans le mouvement d’occupation en faveur de la Palestine. La guerre à Gaza après le massacre du 7-Octobre fut, pour lui, pour d’autres enseignants de l’université de Lausanne aussi, l’occasion d’entamer une démarche politique excédant l’enseignement proprement dit. Les circonstances de la guerre à Gaza l'exigeaient, selon eux.
Apparaissant en keffieh rouge et blanc autour du cou lors de ses prises de parole en soutien à la Palestine, Joseph Daher n’a pas limité ses interventions au campus lausannois. Le 25 avril, il était en partance pour Montpellier, où il devait donner une conférence à l’Université Paul Valéry, «pour parler de la lutte des Palestiniens», comme en rendait compte sur son site le collectif d’extrême gauche Révolution permanente. La direction de l’université montpelliéraine avait interdit la conférence.
Le 4 mai, au troisième jour de l’occupation du bâtiment Geopolis de l’Unil, Joseph Daher donnait à une assemblée composée d’étudiants et de non-étudiants une conférence d’une quarantaine de minutes enregistrée sur Youtube. Il y était question du sort des Palestiniens, victimes d’un «massacre quotidien», d’«une guerre coloniale depuis plus de 75 ans».
Ses propos ne comportaient pas trace d’antisémitisme. Seulement, il tenait l’Etat d’Israël pour illégitime, plaidant à la place pour un Etat dans les frontières de la «Palestine historique» d’avant 1947, où juifs, chrétiens et musulmans vivraient ensemble, comme il l’avait déclaré plus tôt dans les colonnes du journal genevois Le Courrier.
Le 9 mai, il apparaissait dans une vidéo postée sur le site de la chaîne libanaise Al Mayadeen, réputée proche du parti chiite Hezbollah et du régime de Bachar al-Assad, depuis renversé. Une cinquantaine de jeunes gens et jeunes filles clamaient des slogans tels que «free, free Palestine» (libre, libre Palestine) et «Ceasefire now» (cessez-le-feu immédiat). Pour les organisateurs de cette mobilisation, filmée dans les locaux de l’Unil, il s’agissait de délivrer un message de soutien à la population de Gaza bombardée par Israël.
Joseph Daher prendra encore la parole en faveur de la Palestine le 25 mai sur la Place de la Riponne à Lausanne. De même s’engagera-t-il avec certains de ses collègues pour que soient mis fin aux accords institutionnels de l’Unil avec des universités israéliennes.
La direction de l’Unil, qui garde le silence dans cette affaire, attendant que l’orage passe, a manifestement estimé que l’engagement militant de Joseph Daher dépassait les limites du tolérable. En invoquant la «faute» de la campus card, probablement pense-t-elle s'éviter d’avoir à argumenter sur les reproches cachés qu’elle adresse au désormais professeur invité, lequel a décidé de porter son cas devant les prudhommes.
S’agit-il pour autant d’une décision politique de la part du rectorat? Ou alors ce dernier a-t-il voulu trancher entre la liberté académique dont se réclame Joseph Daher et le militantisme, qui ne relèverait pas en soi de la mission d’un professeur?
Le cas de Joseph Daher connaîtra un prolongement au Grand Conseil vaudois la semaine prochaine, a appris watson. Le député UDC Fabrice Moscheni, ancien étudiant d’HEC Lausanne, déposera mardi une question écrite au gouvernement cantonal. L’élu de la droite conservatrice, soupçonnant un «possible favoritisme», veut connaître «la validité administrative des multiples renouvellements de contrat» de Joseph Daher à l’Unil en tant que professeur invité.
On n'est plus du tout dans le problème de la campus card.