La chronologie interroge. Le 28 janvier, à 11h21, l’Université de Lausanne (Unil) transmettait par e-mail à l’ensemble de ses collaborateurs le rapport d’un «groupe de travail indépendant». Celui-ci avait été constitué au printemps dernier suite aux polémiques portant sur les collaborations de l’Unil avec des universités israéliennes.
Deux jours plus tard, le 30 janvier, à 11h50, le syndicat SSP Hautes Ecoles, l’une des organisations syndicales reconnues par l’Unil, adressait un e-mail à cette même communauté universitaire. S’appuyant sur le rapport du groupe de travail, joignant à son courrier un communiqué de trois pages, il appelait la direction de l’Université de Lausanne à «passer aux actes» en suspendant «immédiatement les accords institutionnels avec des universités israéliennes», au nombre de trois.
En cette fin janvier, la concomitance entre le rapport du groupe de travail indépendant et le communiqué du SSP Hautes Ecoles est parfaite. La prise de position syndicale envoyée le 30 aux collaborateurs de l’Unil date en réalité du 28, le jour même de la publication du rapport du groupe de travail, comme l’indique un document PDF publié sur le site du SSP Hautes Ecoles. Ce dernier a-t-il eu connaissance du contenu du rapport avant sa parution officielle?
La réponse de Raphaël Ramuz, secrétaire SSP-Vaud:
Pour le SSP Hautes Ecoles, le rapport élaboré par le groupe de travail indépendant, intitulé «Enjeux éthiques des collaborations externes», rendu public avec l'approbation de la direction de l'Unil, vaut condamnation d’Israël, bien que ni ce pays ni un autre ne soient nommés à aucune ligne. Dans son communiqué, le syndicat cite ce paragraphe, page 25 du rapport, qui laisse peu de doute sur le fait qu’Israël est ici visé.
Jointe par watson, la présidente du groupe de travail indépendant à l’origine du rapport, Nadja Eggert, directrice du Centre interdisciplinaire de recherche en éthique (CIRE) de l’Unil, réfute toute interprétation voyant dans le rapport une charge contre Israël. La preuve, selon Nadja Eggert:
«L’Unil, comme toutes les universités suisses, a suspendu ses liens institutionnels avec ses homologues russes en mars 2022», indique à ce propos la porte-parole de l’Université de Lausanne, Géraldine Falbriard.
Remontons au mois de mai dernier. A cette époque, une partie du campus de l’Unil est occupée par des militants propalestiniens constitués en collectif. Pour faire baisser la tension et mettre fin à l’occupation, la direction de l’Unil s’engage à créer «un groupe de travail dont l’objectif est de réfléchir à un cadre permettant d’évaluer les collaborations externes sous l’angle de l’éthique, de l’intégrité scientifique, du droit international et de la liberté académique», soulignent les auteurs du rapport.
La création d’un groupe de travail indépendant répondait aussi à une action malveillante ayant pris la forme d’un rapport anonyme dirigé contre des chercheurs de l’Unil pour leurs collaborations avec des universités israéliennes. Une plainte contre inconnus fut déposée par la direction de l’université.
Les militants propalestiniens emmenés par un collectif, ne relâchant pas leur pression sur le rectorat, attendaient avec grande impatience la remise du rapport du groupe de travail indépendant, formés de dix membres choisis par les décanats de l’Unil.
Toujours sans nommer le moindre pays, le rapport invite la direction de l’Unil à prendre des «mesures provisionnelles» pour suspendre les accords institutionnels avec des partenaires étrangers suspectés d’atteinte aux droits humains. Il contient d’autres dispositions:
Que restera-t-il de la liberté académique des chercheurs si ce «dispositif de contrôle orwellien» devait être adopté?, s’inquiètent certains au sein de l’institution universitaire vaudoise.
Le rapport du groupe de travail indépendant rebondira mardi prochain au Grand Conseil vaudois à la faveur d’un postulat déposé par le député vert’libéral David Vogel. En mai dernier, au plus fort de la mobilisation étudiante propalestinienne, il avait fustigé des méthodes «délatrices» et critiqué la «complaisance» du rectorat avec les propalestiniens occupant le bâtiment Geopolis du campus. Cette fois-ci, David Vogel attaque le rapport, comme il le dit à watson:
Rédigée sur un ton mordant, son intervention entend démontrer par l’absurde le «parti-pris» du rapport du groupe de travail. David Vogel écrit dans son postulat:
Le vert’libéral demande au Conseil d’Etat de «se positionner face à cette question».
Et le député d’énumérer une liste sans cesse plus élargie de pays ayant directement ou indirectement du sang sur les mains. Il commence par la République démocratique du Congo, l’Angola, la Namibie, le Zimbabwe. Continue avec les démocraties occidentales, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, la France et d’autres, qui se sont rendues coupables ou complices de crimes de guerre dans leur guerre contre les talibans en Afghanistan, dit-il.
David Vogel interroge, mi-caustique, mi-sérieux:
La Chine, l’Iran et le Yémen n’échappent pas à son questionnement.
David Vogel, dont le postulat a reçu le soutien de 9 vert’libéraux, 9 PLR et 8 UDC, «d’aucun élu socialiste», dit-il à regret, demande en quelque sorte au Conseil d’Etat de se comporter en police politique pour mieux dénoncer un travers qu’il impute aux auteurs du rapport de l’Unil comme à ceux qui y souscrivent.