Une petite fille? Une ado? Une jeune adulte? L’aspect juvénile des personnages composant l’affiche égayant l’entrée d’une maison de quartier genevoise explique qu’on ait du mal à se déterminer sur son âge. Rangée derrière un barbecue, à côté d’un garçon racisé aux mains vibrionnantes portant un t-shirt rose, elle est vêtue d’un voile bleu turquoise couvrant ses cheveux. Souriante, elle n’est que visage, ses bras étant cachés. On dirait une poupée russe. Elle incarne ici la musulmane.
«La demande de l’association a été de représenter la multiculturalité du quartier», explique la responsable de la maison de quartier, qui a passé commande de cette affiche à un artiste. Soit, mais est-ce à dire que la musulmane se définit uniquement par le voile? Que l’islam, une religion, se confond tout entier avec une appartenance ou origine culturelle? Ces questions n’ont pas obtenu de réponses.
Sous ses aspects printaniers, cette représentation de la «multiculturalité» manipule un symbole qui constitue, par ailleurs, un enjeu politique: celui du contrôle du corps des femmes, indépendamment des raisons pour lesquelles le voile est porté, par choix, par habitude, par contrainte. Les événements tragiques d’Iran rappellent cette constante.
Précisons-le: le but n’est pas ici de faire un quelconque procès à une maison de quartier qui accomplit un travail formidable avec les jeunes dont elle a la charge. Le but est de questionner l'apparente légèreté avec laquelle un tel symbole, objet de rapports de force, pas seulement au sein des sociétés musulmanes, est traité au nom d’une vision se voulant inclusive.
Cette autre question n’a ainsi pas davantage trouvé de réponse: comment arbitrer entre la nécessaire inclusion des personnes issues de l’immigration et le voile, accessoire sexiste pour la quasi-totalité des féministes, même les plus tolérantes à son endroit, la Française Sandrine Rousseau par exemple?
L’aspect juvénile du personnage vêtu d’un voile sur l’affiche ajoute à la gêne possiblement ressentie. La maison de quartier l’assure de son côté:
«Aucun commentaire.» Peut-être parce que personne, du moins à Genève, où l’été qui commence effeuille les corps dans la joyeuse insouciance d'un pays libre, ne voit «où est le problème», ni ne conçoit qu’il puisse y avoir là le moindre problème.
L'an dernier, le Département genevois de l’instruction publique (DIP) avait dit «non». Suite aux réclamations de la mère d'un élève, il avait fait retirer d’une école primaire un visuel «pédagogique» montrant deux fillettes voilées – il n’y avait aucun doute sur leur âge. Le secrétaire général adjoint du DIP, Nicolas Tavaglione, déclarait, à propos de cette image:
Comme, peut-être, l’auteur de l’affiche de la maison de quartier, l’enseignante qui avait distribué le visuel controversé à ses élèves et qui n’était elle-même pas musulmane, ne voyait pas, en effet, quel était le problème avant que sa haute hiérarchie ne le lui signale. Le problème était entre autres celui de la sexualisation de petites filles, le voile étant, en dehors de ses aspects spirituels revendiqués par une partie de celles qui le portent, un habit censé protéger le corps féminin de la concupiscence masculine.
La maison de quartier en question, comme toutes celles du canton, est placée sous la tutelle de la FASE, la Fondation genevoise pour l’animation socioculturelle, qui salarie les personnels desdites maisons, soumises à une charte. Le secrétaire général de la FASE, Yann Boggio:
S’agissant du visuel scolaire comprenant des fillettes voilées, le DIP avait de plus estimé qu’il portait atteinte à la laïcité en versant dans le prosélytisme. Peut-on considérer que l’affiche montrant une personne voilée participe à son tour d’une forme de prosélytisme? La responsable de la maison de quartier à l’origine de l’affiche répond sur ce point:
La même responsable précise encore:
Cette noble mission nécessite-t-elle la représentation d’un signe religieux, un voile musulman en l’occurrence? Les femmes voilées, probablement des mères parmi elles, qui fréquentent cette maison de quartier et dont nul ne conteste le droit de porter le voile, se sentiraient-elles moins bien accueillies sans la présence de ce marqueur confessionnel sur une affiche?
La municipalité de Genève, qui cofinance les maisons de quartier de la ville et dont le «parlement» communal a modifié le règlement des piscines de façon à y autoriser de facto le port du burkini, la procédure référendaire pour s'y opposer ayant échoué, n’a visiblement pas souhaité prendre position sur l'affiche. A titre anonyme, l’un des collaborateurs de la mairie ne mâche pas ses critiques à son sujet:
La Ville de Genève avait-elle ces valeurs en tête lorsqu’elle a produit son affiche pour «La Fête des Voisin.e.s» du 2 juin ? La diversité y est célébrée, mais sans aspect religieux. 👇
L’anthropologue française Florence Bergeaud-Blackler, auteure du livre Le frérisme et ses réseaux, l’enquête (éditions Odile Jacob), constate à regret qu’«on considère les attributs religieux comme étant des attributs culturels».
Si la meilleure inclusion possible des populations immigrées, l’objectif de la maison de quartier genevoise, est une intention des plus louables, il convient sans doute d'interroger les moyens symboliques mobilisés pour y parvenir.