L'affaire Dittli, ce sont beaucoup de bruits de bouche médiatiques, et peu de renvois du côté de la principale intéressée. Pourtant, ils sont nombreux, ceux à parler pour elle.
Dans un premier temps, Valérie Dittli s'est montrée collégiale, en se soumettant de bonne grâce au rapport objectif d'un expert genevois, mandaté par le Conseil d’Etat. Mais, comme le révélait Blick, ce lundi, les choses se sont corsées. Un rapport commandé par ses soins et conduit par Yves Noël, professeur en droit fiscal à l'Université de Lausanne, a fuité dans la presse. Celui-ci estime que la ministre vaudoise des Finances n'a pas transgressé les règles. Une conclusion favorable à la centriste, mais dont le timing fait effet de «surprise».
En outre, alors que la principale intéressée devrait se montrer soulagée, pourquoi ne l'entend-on toujours pas s'exprimer? S'estime-t-elle lavée de tous soupçons? «Nous lui avons adressé dimanche soir l'ensemble de ces questions. Mais la conseillère d'Etat n'a pas souhaité faire de commentaire», expliquait sobrement Blick en conclusion de son article.
Pourtant, aux balbutiements de l'affaire, Valérie Dittli a communiqué. Notamment sur cette tranche de vie de moins de trente ans, «un âge où l'on se cherche encore», et qui l'a fait voguer entre deux lieux de cœur. Mais ensuite, la conseillère d'Etat s'est murée dans le silence. Pure stratégie pour certains, retenue de bon aloi pour d'autres, l'attitude ne manque pas de questionner.
En prenant de la hauteur, d'autres questionnements surgissent. Un mandat politique requiert que l'on rende des comptes. Mais à quel rythme, en quelle quantité? En temps de crise, a-t-on droit au silence? Une experte nous aide à y voir plus clair.
«En temps de crise, les consultants en communication conseillent de s'exprimer rapidement, de dire les choses telles qu'elles sont, et surtout de s'en tenir à la vérité», explique Anke Tresch, Professeure associée à l'Institut d'études politiques de l'Université de Lausanne. Il s'agit de bien réfléchir aux faits, et aux éléments qui y sont associés. L'idée est de maîtriser l'agenda politique au plus vite, afin d'éviter d'avoir à courir après de nouvelles révélations.
Dans un premier temps, l'on peut dire que Valérie Dittli a doctement suivi les règles du «manuel»; elle a pris position dans les médias sur le sujet de son domicile fiscal, a admis les faits, et a accepté de se soumettre à une expertise objective. «Par rapport à la question initiale, il est légitime de sa part d'attendre l'expertise mandatée par le Conseil d'Etat, et de ne pas se positionner maintenant sur ce premier rapport», avance la chercheuse.
Mais ce sont les révélations consécutives sur son titre de docteur et la gestion interne du parti que l'élue aurait manqué de bien gérer. Car, dès qu'un scandale montre le bout de son nez, il est évident que médias et adversaires politiques n'hésiteront pas à chercher plus loin.
Une autre stratégie peut s'avérer payante, et c'est peut-être la ligne adoptée par la ministre: observer un temps de silence. «Un élu doit communiquer sur les affaires d'intérêt public. Mais il peut aussi décider que certaines informations appartiennent à sa sphère privée.» D'ailleurs, c'est ce que n'avait pas manqué de souligner la ministre sur le plateau de la RTS.
A l'échelon fédéral, Alain Berset a plusieurs fois évité d'alimenter le débat sur la place publique, notamment sur certaines affaires privées, dont la presse avait fait ses choux gras. Entre l'histoire de sa maîtresse, et celle de son vol privé, sa stratégie a été d'en dire un minimum. «Il ne m’a pas semblé nécessaire de faire des commentaires», avait en effet laconiquement commenté le Conseiller fédéral, un mois après son contrôle par la police aérienne française.
Tenir sa langue revient à exercer son droit à ne pas s'incriminer soi-même. Cette position, si elle passe à travers les mailles de la solidarité de son propre camp, a cependant des limites. «Si l'on ne communique pas assez, l'on risque d'être sanctionné plus tard, aux urnes», indique encore Anke Tresch.
Pour Dittli, la situation est particulière; elle n'a certes pas un parti fort derrière elle, mais elle est le maillon maître d'une alliance gagnante. C'est en effet moins pour sa personnalité ou son expérience qu'elle a été élue, que pour l'alliance des partis bourgeois dont elle est le ciment. Et cette dernière a peu d'intérêt à l'affaiblir.
Attendre simplement l'expertise avec retenue semble un bon calcul de la part de son camp, en évitant de s'exprimer à nouveau sans les données complètes. Et l'avis de droit qui a fuité dans la presse? La chercheuse préfère ne pas encore s'avancer, mais force est de constater que le cas commence à sortir des clous en matière de stratégie de communication.
Dittli, ni remise en cause par son propre parti ni par ses partenaires, peut décider de laisser passer la tempête, avec un avantage non négligeable; celui de ne pas attiser les foudres de l'opinion publique, en s'enlisant dans une inévitable bataille de tweets et de communiqués. Certes, comme le relève Le Temps avec justesse, «le monde politique vaudois est en ébullition. Gauche et droite se sont affrontées, parfois violemment, tant sur les réseaux sociaux que dans les travées du Grand Conseil.»
Mais du côté de la rue, «cette histoire d'impôts» semble bien plus provoquer des haussements d'épaules chez les Vaudois qu'une quelconque furie demandant réparation. Aux charges de la gauche, notamment de la Jeunesse socialiste qui a lancé lundi une pétition pour demander la démission de la ministre des finances, aucune caisse de résonance émanant de la principale intéressée ne vient réellement amplifier le débat. Dittli, ni absoute ni crucifiée, s'est suspendue dans une dimension qui échappe aux griffes de la vindicte populaire, pour mieux se reposer dans celles des expertises. Sans un mot de trop.