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Livraison d'armes suisses à l'Ukraine, le dilemme de neutralité

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Livraison d'armes suisses à l'Ukraine: la réalité se fracasse contre la neutralité

Dans la réalité, il n'y a pas de position neutre. Si aucun matériel de guerre de fabrication suisse ne peut être livré en Ukraine, c'est la Russie qui en profite. Ce n'est que sur le plan juridique que le cas est clair: une interdiction de livraison s'applique.
28.04.2022, 07:0428.04.2022, 12:05
Stefan Bühler / ch media
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Le président du Centre, Gerhard Pfister, a mis le pied dans un guêpier dimanche. Sur Twitter, il s'est prononcé en faveur de la livraison à l'Ukraine de matériel de guerre de fabrication suisse. Il s'est attiré quelques encouragements, mais aussi de vives oppositions.

La conseillère nationale verte bâloise, Sibel Arslan, a écrit mardi: «Les armes font que les âmes sont également blessées. (...) On ne crée pas la paix avec des armes. Même à long terme. Point final». Elle a également reçu des commentaires la contredisant: «Devons-nous abandonner l'Ukraine à son sort ?», a demandé un utilisateur.

Même Stefan Holenstein, président de longue date de la Société suisse des officiers, apporte, désormais, son soutien à Pfister:

«Je suis d'avis que nous devrions autoriser les livraisons de matériel de guerre suisse à l'Ukraine. Et ce, en partant du principe que ce sont nos valeurs intrinsèques telles que la liberté, les droits de l'homme et la démocratie qui sont défendues là-bas. Il en va aussi en premier lieu de notre sécurité.»

Holenstein, qui préside actuellement la Conférence nationale des associations militaires (CNAM), plaide pour une «interprétation plus généreuse de la neutralité». Et ce également dans l'intérêt de l'industrie suisse de l'armement: «Celle-ci fait également partie des chaînes internationales de production et de livraison. Avec notre interdiction, nous paralysons aussi nos partenaires d'armement dans d'autres pays». Cela remettrait en question la production en suisse.

D'un point de vue juridique, le cas est clair

Pfister a manifestement touché un point sensible: La Suisse est prise dans un dilemme entre le droit de la neutralité et la réalité de la politique de neutralité

Car juridiquement, le cas est clair: la Convention de La Haye de 1907 interdit aux pays neutres comme la Suisse de fournir des troupes ou des armes à des Etats en guerre. Notre loi sur le matériel de guerre se base également sur cette convention. Cette loi a été renforcée par le Parlement l'automne dernier.

Le Parlement a supprimé une disposition du projet qui aurait permis au Conseil fédéral d'accorder des exceptions et d'autoriser des livraisons dans des cas particuliers. Cette demande a été réalisée par la conseillère aux Etats Andrea Gmür du parti du Centre.

Interrogé à ce sujet, le Secrétariat d'Etat à l'Economie, responsable du contrôle des exportations d'armes au sein du Département de l'économie, écrit: en supprimant cette disposition, le Parlement a:

«Explicitement réglé les faits qui s'appliquent désormais au conflit entre la Russie et l'Ukraine et selon lesquels les exportations de matériel de guerre vers ces deux pays doivent impérativement être refusées».

Coïncidence: la loi révisée entrera en vigueur dimanche prochain, le 1ᵉʳ mai, une semaine seulement après que Pfister ait remis en question ses dispositions essentielles.

Si la situation juridique est donc claire, la réalité en Ukraine n'offre bien sûr aucune possibilité à la Suisse de rester effectivement neutre:

  • Si elle interdit la livraison d'armes et de munitions de fabrication suisse, elle affaiblit les troupes ukrainiennes.
  • Si elle fournit des armes, elle renforce l'Ukraine contre la Russie.

Il n'y a pas donc pas de solution intermédiaire.

L'industrie suisse de l'armement n'est pas neutre

De plus, l'industrie suisse de l'armement est intégrée dans des chaînes de production internationales. Et ce à bon escient: les stratèges militaires sont convaincus que l'interdépendance renforce la sécurité. Cela signifie aussi que l'industrie suisse de l'armement n'est pas neutre, mais fermement intégrée dans l'alliance militaire occidentale. Par conséquent, un embargo sur les livraisons suisses touche également les partenaires étrangers.

L'épisode de l'Allemagne concernant les munitions pour le char antiaérien Gepard illustre bien cette situation. Un autre exemple est l'arme antichar NLAW «Next Generation Light Anti-Tank Weapon» (Arme antichar légère de nouvelle génération). La dernière touche de sa fabrication a lieu au Royaume-Uni, mais l'ogive provient de l'Oberland bernois. Comme l'a révélé le Rundschau début avril, l'arme est utilisée en Ukraine.

FILE - A Ukrainian serviceman fires an NLAW anti-tank weapon during an exercise in the Joint Forces Operation, in the Donetsk region, eastern Ukraine, on Feb. 15, 2022. Western weaponry pouring into U ...
Il n'y a pas de ravitaillement: un soldat ukrainien avec une arme antichar NLAW, dont l'ogive vient de Thoune (Dontesk, 15 février 2022).image: keystone

Les nouvelles ogives ne peuvent donc pas être livrées à l'Ukraine. Le Seco a même renforcé les dispositions lors du déclenchement de la guerre en Ukraine: jusqu'alors, les pièces détachées d'une arme de fabrication suisse pouvaient être revendues même sans autorisation de la Confédération. Cela a été stoppé afin d'éviter que du matériel de guerre suisse ne parvienne en Russie ou en Ukraine. le Seco argumente:

«La sous-traitance de matériel de guerre sous forme de pièces détachées ou de sous-ensembles et leur exportation sous forme de produit fini à l'une des parties du conflit pourrait (...) porter atteinte à la crédibilité de la neutralité suisse.»

Convention de La Haye ou Constitution fédérale?

Comment résoudre le dilemme entre le droit de la neutralité et la situation réelle en Ukraine? Difficilement avec une décision de droit d'urgence du Conseil fédéral qui autoriserait les livraisons d'armes, comme le propose Pfister. Cela ne serait légitime qu'en l'absence d'une base légale pour une décision urgente et nécessaire. Or, la loi sur le matériel de guerre en contient une.

Ce qu'il faut, c'est un débat approfondi au Parlement. Il doit décider ce qui est le plus important: s'en tenir strictement à la neutralité juridique selon la Convention de La Haye de 1907 ou «renforcer la liberté et la démocratie, l'indépendance et la paix dans un esprit de solidarité et d'ouverture au monde», comme le stipule le préambule de la Constitution fédérale.

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