Peu avant de s'attaquer à un juif orthodoxe à Zurich, le terroriste s'est rendu dans un magasin Migros pour se procurer un couteau à steak à lame ondulée. Anis T. (nom modifié), 15 ans, a ensuite utilisé ce couteau pour poignarder sa victime jusqu'à ce que la longue et fine lame soit complètement tordue.
Le fait que l'arme blanche ait été endommagée en heurtant un os ou un objet dur pourrait avoir sauvé la vie de la victime, âgée de 50 ans. Lorsque trois pratiquants d'arts martiaux romands, qui se trouvaient par hasard dans un bar près du lieu du crime, se sont précipités à l'extérieur pour arrêter Anis T., celui-ci s'était déjà débarrassé du couteau, devenu inutilisable.
Nos recherches montrent que le couteau provient de Migros. Un modèle à steak au prix d'environ 15 francs. Anis T. se serait procuré l'arme blanche peu avant l'attentat, et n'avait même pas pris le temps d'enlever le serre-câble noir avec lequel le grand distributeur s'assure que ces couteaux tranchants ne tombent pas de leur emballage.
Le serre-câble était bien apparent sur le manche du couteau tordu, même après le crime. Il semble qu'Anis T. ait arraché l'arme du crime de son emballage – peut-être alors qu'il se trouvait encore à l'intérieur de la Migros – et qu'il n'ait pas réussi à enlever le serre-câble.
Un témoin à qui nous avons fait visionner la vidéo de revendication d'Anis T. a confirmé que lors de l'attentat, l'auteur portait le même sweat à capuche que sur les images. Anis T. s'y décrit comme un «soldat du califat», c'est-à-dire un combattant de l'Etat islamique.
Anis T. s'est blessé lors de l'attentat. Lors de l'un des coups assénés à sa victime, sa main droite a glissé du manche du couteau et a terminé sa course sur la lame. Il s'est alors entaillé les doigts, raison pour laquelle il a dû être soigné.
Le choix du lieu de l'attentat peut paraître étrange, car seuls quelques juifs orthodoxes vivent à proximité immédiate de cet endroit situé dans le 2ᵉ arrondissement de Zurich. Pourquoi Anis T. a-t-il frappé là et non pas dans un quartier où vivent de nombreux habitants clairement identifiables comme juifs?
Il se peut que ce soit dû à la synagogue proche du lieu du crime, que la victime fréquentait également. L'adolescent avait peut-être repéré le lieu de culte – et sa future victime – au préalable. Il est possible qu'il ait ensuite suivi sa cible, jusqu'à son lieu de résidence, alors que son intention était de s'en prendre à plusieurs juifs.
Bien qu'Anis T. soit né en Suisse et ait grandi à Zurich, son suisse-allemand semblait relativement limité après son arrestation. Cet aspect, ainsi que le fait qu'il publiait des vidéos sur Youtube, dans lesquelles il s'exprimait exclusivement en arabe, laissent supposer qu'il n'était pas intégré au mieux, du moins sur le plan linguistique. Le fait qu'il ait été décrit par ses camarades d'école comme un individu solitaire irait également dans ce sens. Il semblerait qu'il était en quête de reconnaissance sur Internet auprès d'arabophones. L'été dernier, il a publié pour la première fois sur l'un de ses profils un message en arabe qui pouvait indiquer chez lui un intérêt pour des contenus islamistes.
En novembre, après le massacre du Hamas et l'invasion israélienne de la bande de Gaza, il a diffusé des bribes de vidéos montrant des cadets de l'armée de l'air irakienne capturés par l'Etat islamique en 2014, juste avant leur exécution. On ignore encore comment Anis T. est passé d'amateur de jeux vidéo à «soldat du califat» et si cette évolution s'est faite uniquement dans l'espace virtuel ou si elle a été encouragée par des contacts dans le monde réel.
Pourquoi le Service de renseignement de la Confédération (SRC) n'a-t-il pas pu arrêter Anis T. avant son passage à l'acte, alors que son principal profil Instagram était localisé en Suisse et reconnaissable par tous? En Suisse, les comptes de réseaux sociaux sur lesquels des contenus de l'EI sont ouvertement diffusés sont rares. Le SRC aurait donc pu être averti à temps.
Il y a plusieurs raisons à cela. Premièrement, le SRC est le service de renseignement le plus réglementé au monde. On peut effectivement parler d'un service secret castré. Face à la masse de recommandations, les collaborateurs ne savent souvent pas jusqu'où ils peuvent aller dans leurs investigations et s'ils ont le droit d'enregistrer les résultats dans une banque de données. C'est au politique de décider de cela. Deuxièmement, c'est justement en cette période particulièrement incertaine que le SRC s'est vu imposer par la conseillère fédérale Viola Amherd une restructuration profonde, pouvant provoquer une certaine paralysie.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci