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Gaza-Shoah: l'expo qui fait polémique à l'Uni de Genève

L'une des notes explicatives de l'exposition «Gaza: un génocide en 4K» à l'Unige.
L'une des notes explicatives de l'exposition «Gaza: un génocide en 4K» à l'Unige.image: dr

Gaza-Shoah: l'expo qui fait polémique à l'Uni de Genève

Une exposition organisée par une association étudiante à l'Université de Genève dresse un parallèle entre la Shoah et la situation des Palestiniens face à la répression israélienne. Le rectorat est mal à l'aise, la Cicad est indignée.
02.05.2025, 12:0002.05.2025, 14:37
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C’est un peu l’expo interdite aux moins de 18 ans. Le rectorat de l’Université de Genève (Unige) aura voulu couper la poire en deux: dans le grand hall d’Uni Mail, à la vue de tous, les photos sur la tragédie humanitaire à Gaza; au troisième étage, quasi dans les combles, la partie qui dresse des parallèles entre le conflit israélo-palestinien et le sort des autochtones au Canada, la colonisation française en Algérie et la Shoah.

Intitulée «Gaza: un génocide en 4K» (4K veut dire en haute définition), l’exposition était présentée du 28 avril au 2 mai dans le cadre d'«une semaine de sensibilisation autour de la situation dramatique en Palestine, à travers des événements engagés».

A l’origine de cette démarche, on trouve l’Association musulmane des étudiants de l’Unige (Ameug). La répression israélienne aveugle à Gaza depuis les massacres du Hamas du 7 octobre 2023, le blocus complet de l’enclave palestinienne depuis deux mois avec les bombardements qui se poursuivent, le nombre de morts gazaouis dépassant les 50 000 selon le Hamas, donnent des arguments sur les campus à ceux qui se réclament de la résistance à l’«entité sioniste». Ce mouvement se caractérise par sa remise en cause de l’existence d’Israël et sa difficulté sinon son refus de nommer les attaques terroristes du 7 octobre 2023.

La parallèle qui fâche

C’est le parallèle dressé avec la Shoah qui nourrit la polémique. Dans un «avertissement» destiné aux visiteurs, l’Ameug écrit:

«Attention: il ne faut pas confondre le peuple juif avec les politiques sionistes menées par Israël. La Shoah visait les Juifs en tant que peuple. Un grand nombre de Juifs ne soutiennent pas les politiques israéliennes et ne cautionnent pas les actes criminels par l’occupation israélienne!»
L'avertissement de l'Ameug

Sur la parallèle en tant que tel, l'Ameug indique aux visiteurs:

«Bien que la Shoah et la situation à Gaza soient différentes par leur contexte historique et les acteurs impliqués, il est possible de tirer certaines leçons universelles sur les mécanismes de déshumanisation, d'oppression et de résistance. L'objectif n'est pas de comparer directement les souffrances, mais de réfléchir aux principes éthiques et humains que ces événements soulèvent. Les contextes, les époques et les acteurs sont radicalement différents. Toute tentative de relativiser, de minimiser ou d'instrumentaliser l'un ou l'autre de ces événements serait à la fois injuste et dangereux.»

«Cette exposition nourrit les stéréotypes antisémites»

La Cicad (Coordination intercommunautaire contre l'antisémitisme et la diffamation) a vivement réagi à la comparaison entre le sort des Palestiniens et le génocide juif. Son secrétaire général Johanne Gurfinkiel écrit dans un communiqué:

«En invoquant l’imagerie de la Shoah pour qualifier l’action militaire à Gaza, cette exposition alimente les stéréotypes antisémites contemporains, délégitime la souffrance des victimes et attise un environnement délétère à l’université.»
Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la Cicad

Johanne Gurfinkiel ajoute:

«Bien que les organisateurs affirment ne pas vouloir comparer les souffrances, l’exposition établit en réalité une mise en parallèle directe»
Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la Cicad

Le secrétaire général de la Cicad en veut à la rectrice de l’Unige Audrey Leuba d’avoir autorisé cette partie de l’exposition mettant en vis-à-vis la répression des Palestiniens et le génocide juif.

«Tout en reconnaissant le caractère choquant de l’exposition, la rectrice Audrey Leuba a préféré valider cette initiative sous couvert de pluralisme universitaire. Cette posture, qui prétend concilier débat libre et respect des sensibilités, échoue à prendre en compte la gravité du contenu exposé. (…) La Mémoire de la Shoah n’est pas un outil de polémique politique. La liberté d’expression ne saurait justifier sa banalisation.»
Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la Cicad

Le «dilemme» de la rectrice

Dans une lettre à la communauté universitaire, la rectrice de l’Unige expliquait être «confrontée une nouvelle fois à un dilemme», en rapport avec les actions militantes menées sur le campus en défaveur d’Israël depuis le 7 octobre 2023.

Elle écrit:

«Depuis plus d’un an et demi, des manifestations de tous ordres se sont succédé, témoignant d’une émotion et d’un besoin d’agir légitimes (réd : face aux bombardement israéliens). Certaines étaient surtout porteuses d’un message politique, d’autres cherchaient d’abord à éclairer une situation, à énoncer des faits et à proposer des clés d’interprétation. Conférences, expositions, films ou débats ont ainsi été organisés, portés pour la plupart par des associations favorables à la cause palestinienne.»
La rectrice Audrey Leuba

La rectrice ajoute: «Nos étudiantes et étudiants israéliens, celles et ceux de confession juive ou ayant des liens familiaux, culturels ou affectifs avec l’Etat d’Israël ont pu ressentir une forme de vulnérabilité face à des questions et des mots choquants mais protégés par la liberté d’expression, une occupation de l’espace dont ils ou elles ont pu se sentir exclus. L’Université a, à leur égard, un devoir de protection dont elle est pleinement consciente, et qui doit être porté par chacune et chacun des membres de sa communauté.»

«L’université doit rester le lieu du débat»

Affirmant que «l’université est et doit rester le lieu du débat et du questionnement, même lorsqu’il génère de l’inconfort», la rectrice s’est opposée à l’interdiction de la partie de l’exposition sur laquelle porte le litige, mais décision a été prise de la montrer à part, à un endroit mois immédiatement accessible au public.

En décembre 2023, dans le hall d’Unil Mail déjà, l’Ameug avait coorganisé une exposition qui rendait hommage aux près de 15 000 Gazaouis tués en trois mois par les bombardements israéliens. Une frise historique rappelait le «martyr palestinien» depuis les débuts du «sionisme». Le 7 octobre n’était pas mentionné. «Nous avons pensé qu’il n’était pas nécessaire de parler du 7 octobre, une date abondamment commentée par ailleurs dans la presse», nous avait répondu l’Ameug.

Israël illégitime comme la France en Algérie?

La comparaison, dans l’actuelle exposition qui prend fin ce vendredi 2 mai, avec la colonisation française en Algérie, permet de saisir le point de vue véhiculé par certains sur l’Etat d'Israël, fruit illégitime d’une entreprise coloniale, comprend-on. Dans un jeu de miroir, le Hamas prend les habits du FLN, le Front de libération national qui avait mis fin à la domination française et dont la victoire s’était accompagnée de l’exode des Européens d’Algérie. Par ce rapprochement entre l'Algérie française et Israël, l'Ameug a voulu signifier «les massacres perpétrés par la France en Algérie, ainsi que sa politique d’apartheid et d’expropriation qui vise à annihiler une culture, comme cela est présent à Gaza», indique l'association dans un communiqué.

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