C’est un peu l’expo interdite aux moins de 18 ans. Le rectorat de l’Université de Genève (Unige) aura voulu couper la poire en deux: dans le grand hall d’Uni Mail, à la vue de tous, les photos sur la tragédie humanitaire à Gaza; au troisième étage, quasi dans les combles, la partie qui dresse des parallèles entre le conflit israélo-palestinien et le sort des autochtones au Canada, la colonisation française en Algérie et la Shoah.
Intitulée «Gaza: un génocide en 4K» (4K veut dire en haute définition), l’exposition était présentée du 28 avril au 2 mai dans le cadre d'«une semaine de sensibilisation autour de la situation dramatique en Palestine, à travers des événements engagés».
A l’origine de cette démarche, on trouve l’Association musulmane des étudiants de l’Unige (Ameug). La répression israélienne aveugle à Gaza depuis les massacres du Hamas du 7 octobre 2023, le blocus complet de l’enclave palestinienne depuis deux mois avec les bombardements qui se poursuivent, le nombre de morts gazaouis dépassant les 50 000 selon le Hamas, donnent des arguments sur les campus à ceux qui se réclament de la résistance à l’«entité sioniste». Ce mouvement se caractérise par sa remise en cause de l’existence d’Israël et sa difficulté sinon son refus de nommer les attaques terroristes du 7 octobre 2023.
C’est le parallèle dressé avec la Shoah qui nourrit la polémique. Dans un «avertissement» destiné aux visiteurs, l’Ameug écrit:
Sur la parallèle en tant que tel, l'Ameug indique aux visiteurs:
La Cicad (Coordination intercommunautaire contre l'antisémitisme et la diffamation) a vivement réagi à la comparaison entre le sort des Palestiniens et le génocide juif. Son secrétaire général Johanne Gurfinkiel écrit dans un communiqué:
Johanne Gurfinkiel ajoute:
Le secrétaire général de la Cicad en veut à la rectrice de l’Unige Audrey Leuba d’avoir autorisé cette partie de l’exposition mettant en vis-à-vis la répression des Palestiniens et le génocide juif.
Dans une lettre à la communauté universitaire, la rectrice de l’Unige expliquait être «confrontée une nouvelle fois à un dilemme», en rapport avec les actions militantes menées sur le campus en défaveur d’Israël depuis le 7 octobre 2023.
Elle écrit:
La rectrice ajoute: «Nos étudiantes et étudiants israéliens, celles et ceux de confession juive ou ayant des liens familiaux, culturels ou affectifs avec l’Etat d’Israël ont pu ressentir une forme de vulnérabilité face à des questions et des mots choquants mais protégés par la liberté d’expression, une occupation de l’espace dont ils ou elles ont pu se sentir exclus. L’Université a, à leur égard, un devoir de protection dont elle est pleinement consciente, et qui doit être porté par chacune et chacun des membres de sa communauté.»
Affirmant que «l’université est et doit rester le lieu du débat et du questionnement, même lorsqu’il génère de l’inconfort», la rectrice s’est opposée à l’interdiction de la partie de l’exposition sur laquelle porte le litige, mais décision a été prise de la montrer à part, à un endroit mois immédiatement accessible au public.
En décembre 2023, dans le hall d’Unil Mail déjà, l’Ameug avait coorganisé une exposition qui rendait hommage aux près de 15 000 Gazaouis tués en trois mois par les bombardements israéliens. Une frise historique rappelait le «martyr palestinien» depuis les débuts du «sionisme». Le 7 octobre n’était pas mentionné. «Nous avons pensé qu’il n’était pas nécessaire de parler du 7 octobre, une date abondamment commentée par ailleurs dans la presse», nous avait répondu l’Ameug.
La comparaison, dans l’actuelle exposition qui prend fin ce vendredi 2 mai, avec la colonisation française en Algérie, permet de saisir le point de vue véhiculé par certains sur l’Etat d'Israël, fruit illégitime d’une entreprise coloniale, comprend-on. Dans un jeu de miroir, le Hamas prend les habits du FLN, le Front de libération national qui avait mis fin à la domination française et dont la victoire s’était accompagnée de l’exode des Européens d’Algérie. Par ce rapprochement entre l'Algérie française et Israël, l'Ameug a voulu signifier «les massacres perpétrés par la France en Algérie, ainsi que sa politique d’apartheid et d’expropriation qui vise à annihiler une culture, comme cela est présent à Gaza», indique l'association dans un communiqué.