L’événement est annoncé comme une première. Ce samedi 3 mai, un tournoi de football réunissant huit associations étudiantes musulmanes de Suisse aura lieu à Berne. Des équipes de garçons et de filles s’affronteront dans des compétitions séparées. Cette manifestation sportive se tiendra sous la bannière de la Muslim Students Association (MSA).
En Suisse, sept universités (Zurich, Bâle, Berne, Saint-Gall, Lucerne, Lausanne et Fribourg) comptent une association étudiante portant la mention MSA. Ce n'est pas le cas de l’Association musulmane des étudiants de l'Université de Genève (Ameug), qui participera toutefois au tournoi de Berne.
D’autres associations étudiantes musulmanes dans le monde sont siglées MSA. La MSA première du nom a été créé en 1963 aux Etats-Unis et au Canada par des membres en exil de la confrérie islamiste et fondamentaliste des Frères musulmans fuyant la répression des régimes nationalistes arabes.
Comme elle l’indique sur son site, la MSA Etats-Unis et Canada s’est assigné la «mission» suivante:
La MSA Etats-Unis et Canada se donne également pour but d’«enraciner dans le dîn (la religion) toutes les associations d'étudiants musulmans» et de faire en sorte que ceux-ci, hommes et femmes, «continuent à servir l’Oumma (la communauté des croyants) après l'obtention de leur diplôme».
Il existe une MSA aux Pays-Bas également, comme l'écrit le directeur du programme de recherche sur l'extrémisme à l'université américaine George-Washington, Lorenzo Vidino, dans son livre The Muslim Brotherhood's Pan-European Structure, consacré à l’implantation de l’idéologie des Frères musulmans en Europe.
Sur son site, la MSA Pays-Bas se présente comme «l’association faîtière de 18 associations d'étudiants d'inspiration islamique». «Sa tâche principale, écrit-elle, est d'unir, de renforcer et de représenter ses membres au niveau national. Son objectif est de créer une communauté forte et fière d'étudiants musulmans néerlandais qui ont un impact important et précieux sur la société néerlandaise.»
En 2020, la MSA Pays-Bas s’est vue attribuer le prix Robert-Schuman du FEMYSO – Robert Schuman est l’un des pères de la construction européenne. Le FEMYSO est le Forum des jeunes et des étudiants musulmans européens. Cette association, décrite comme proche des Frères musulmans, mais elle se défend de cette accusation, était et est peut-être encore un interlocuteur privilégié de la Commission européenne et du Conseil de l’Europe.
En 2021, le FEMYSO, qui entend œuvrer pour l’«intégration des musulmans en Europe» et lutter contre l’«islamophobie», avait pris part à une campagne pro-voile islamique, relayée par les institutions européennes. «La beauté se trouve dans la diversité comme la liberté dans le hijab», «Apportez de la joie, acceptez le hijab», clamaient deux de ses slogans. Face au scandale provoqué par cette campagne, les institutions européennes avaient retiré leur parrainage.
En 2022, Le Point révélait que le FEMYSO avait sollicité en 2016 de l’argent auprès de l'ONG para-étatique Qatar Charity dans le cadre d’un projet immobilier, le projet ne se réalisant finalement pas. Cité par l’hebdomadaire français, Lorenzo Vidino affirmait alors:
Sur son site, le FEMYSO dit compter 32 membres issus de 22 pays européens. Aucun des membres répertoriés n’est suisse.
En Suisse, les associations musulmanes étudiantes MSA ne semblent pas avoir de site Internet dédié, mais elles ont un logo, qui comprend une coiffe de diplômé universitaire, le croissant musulman et une évocation des Alpes. Chacune de ces associations possède un compte Instagram. Nous avons demandé par e-mail à l’organisation du tournoi de Berne si la MSA suisse avait des liens ou s’inspirait d’une manière ou d’une autre de la MSA Etats-Unis et Canada. Nous n’avons pas obtenu de réponse pour l’heure.
Ces organisations regroupées sous l’appellation MSA constituent à ce jour et à notre connaissance la seule offre associative musulmane dans les universités suisses précitées. Leurs publications Instagram se signalent entre autres par une iconographie féminine marquée par l’omniprésence du voile, l’Ameug, à Genève, n’échappant pas à ce biais.
Datée du 16 avril, une publication Instagram de la MSA de l’Université de Fribourg dédiée à la pratique du football abonde dans cette représentation. Elle encourage les étudiantes musulmanes à s’inscrire à la «SWISS MSAs Sisters Cup 2025»: «Sister – The Field is Yours!» (Sœur – le terrain est à toi !), clame une affiche montrant dans une posture pleine d’allant une jeune femme voilée vêtue de noire. On pense au mouvement des hijabeuses, ces footballeuses voilées interdites de compétitions officielles en France.
«Il n’est pas bien compliqué de décrypter cette image», réagit la Suisso-Tunisienne Saïda Keller-Messahli, auteure du livre-enquête La Suisse, plaque tournante de l'islamisme: un coup d'œil dans les coulisses des mosquées (éditions Alphil). Qui développe:
Dans une vidéo datant d’il y a une dizaine d’années, le prédicateur islamiste marocain né en France Hassan Iquioussen, qui fut longtemps un proche de Hani Ramadan, le directeur du Centre islamique de Genève fondé par les Frères musulmans, donnait au voile le nom de «tenue islamique». Il indiquait par-là que la «musulmane» ne saurait s'y soustraire.
Comme on peut s'en apercevoir sur leurs comptes Instagram, les associations étudiantes suisses MSA incitent au bon comportement, multiplient les actions caritatives, organisent des sorties de loisirs, invitent à la piété et appellent aux dons pour venir en aide à la population de Gaza. Aucun appel à la violence.
«Leur islam n’en est pas moins fondamentaliste et politique», rétorque Saïda Keller-Messahli.
L’ambiance sera certainement à la détente et à la fête, ce samedi à Berne, au tournoi MSA des associations étudiantes, l’Ameug comprise. La question, très politique, de la diffusion, dans les universités suisses, d’une vision conservatrice et identitaire de l’islam, prônant implicitement le voilement de la femme, quand d’autres courants de l’islam pour l’heure très minoritaires encore proposent de s'émanciper de la rigidité doctrinale, reste entière.